LA ROUTE
Version
française – LA ROUTE – Marco Valdo M.I. – 2020
Coppi
avait des ailes,
on aurait dit qu’il volait.
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Goran
Kuzminac
(Zenum,
1953
– Trento,
2018)
est
un auteur, chanteur, guitariste et médecin italien d’origine
serbe.
Dialogue
Maïeutique
« La
route », dit Lucien l’âne, voilà un titre qui ouvre de
grands horizons sur le monde. Dans une de ses chansons, Francis
Lemarque l’a définie ainsi très bellement :
« La
route est un long ruban
Qui défile qui défile
Et se perd à l’infini
Loin des villes, loin des villes »
Qui défile qui défile
Et se perd à l’infini
Loin des villes, loin des villes »
Oui,
Lucien l’âne mon ami, je la connais cette chanson ; elle a
comme nom : « Les
Routiers », elle était chantée aussi par Yves Montand,
mais la route n’est pas seulement ce ruban, c’est une personne
polymorphe et depuis que tu erres sur les chemins, tu dois en savoir
quelque chose.
Bien
sûr, répond Lucien l’âne, je n’ai pas arrêté de marcher
depuis des centaines d’années et crois-moi, j’en ai vu des
chemins et des routes. Mais que veux-tu dire avec une personne
polymorphe ?
Je
disais une personne polymorphe, Lucien l’âne mon ami, en référence
à la chanson où la route est en effet « personnifiée »,
où elle a une vie propre. Comme la
Guerre de Cent Mille Ans, elle a mille et mille visages et elle
peut être considérée de mille et mille façons. On peut en faire
toute une histoire et la replacer dans le temps parallèle au temps
d’une personne particulière, un temps où elles ont une évolution
contemporaine. C’est ce que fait ici Goran Kuzminac. La route qu’il
évoque est celle d’un petit village d’une campagne d’un
piémont quelque part en Italie. Cette petite route est racontée
telle qu’elle est vue par son narrateur au long de sa vie et même
avant : d’abord, les souvenances d’antan :
« Un
temps y
passaient les chars à
bœufs fracassants
Quand,
chargés de bois, ils descendaient lentement. »
Puis
l’arrivée du fascisme : « D’un coup, l’obscurité
tomba » ; puis, la guerre – la deuxième guerre mondiale
et ensuite, l’évocation de la grande fête à la libération :
« Les
jeeps des Alliés se sont avancées.
Les
gens sortirent, c’était un véritable rucher.
Mais
au lieu de miel, il y avait du vin pour trinquer. »
Et
encore plus tard, les années d’après, la vie plus civile et plus
libre qui reprenait son cours.
Oh
là là, dit Lucien l’âne, quelle histoire !
Certes,
reprend Marco Valdo M.I., mais ce n’est pas tout. La petite route
est aussi le lieu des grands exploits des populaires chevaliers
modernes que sont les coureurs cyclistes et l’épopée de ce héros
quasiment mythique qu’est Fausto Angelino Coppi.
« Coppi
avait des ailes, on aurait dit qu’il volait.
Salué
par les applaudissements, il fut le premier à arriver
Et
entretemps, encore sur la route, tous les autres de pédaler. »
Et
de fait, dit Lucien l’âne, le « campionissimo » était
un coureur hors norme, un homme aux chevauchées fantastiques – et
je me demande toujours ce qui se passait dans sa tête durant ces
moments d’immense solitude – au terme desquelles il laissait loin
derrière les autres à pédaler sur la route quand lui-même était
déjà rendu. Par exemple : à son premier Giro (1940), qu’il
gagne, il finit seul l’étape Florence – Modène avec 3’45’’
d’avance ; Giro (1949) – Cuneo – Pignerolo avec 11’ 52’’
– seul pendant 192 km ; Giro del Veneto avec 8’ – seul
pendant 170 km ; Milan – San Remo (1946) – avec 14’
d’écart. Sur 110 victoires, il termina 53 fois en solitaire.
Tu
m’as l’air, Lucien l’âne, de bien connaître les histoires de
courses cyclistes ; comment se fait-il ?
C’est
tout simple, Marco Valdo M.I., j’y étais la plupart du temps, car
en tant qu’âne, je me suis toujours intéressé à la route et
quand je le pouvais, ma curiosité, un de mes plus forts traits de
caractère, me poussait à aller voir passer ces monteurs d’ânes
chinois.
Des
ânes chinois !, demande Marco Valdo M.I., je vois que tu as des
lettres.
Certes,
dit Lucien l’âne, les ânes chinois sont une invention d’Alfred
Jarry, par ailleurs, grand amateur de la bicyclette et père du Père
Ubu, qui disait que les Chinois désignaient la bicyclette comme un
petit âne mécanique qu’on tient par les oreilles et qu’on
bourre de coups de pieds pour le faire avancer.
Au-delà
de ces souvenirs cyclistes, dit Marco Valdo M.I., la route a continué
à suivre la marche du progrès et du fameux bond en avant de
l’Italie de l’après-guerre, un temps où on noya ses cailloux
sous l’asphalte pour en faire un tapis noir pour les autos et les
villégiateurs. Je te laisse la fin un peu mélancolique à
découvrir.
Moi
aussi, dit Lucien l’âne, il m’arrive d’avoir de petits coups
de bleu et de me laisser reprendre par le passé, mais heureusement,
ça finit par passer. Pour le reste, tissons le linceul de ce vieux
monde mélancolique, héroïque, cycliste et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Un
temps y passaient les chars à bœufs fracassants
Quand,
chargés de bois, ils descendaient lentement.
Au
lieu de cela, le dimanche, montaient les amants,
À
la descente, les bœufs semblaient des ures d’antan.
Les
vieux avec leur bâton regardaient
Sur
le bord de la route, curieux et chuchotaient.
D’un
coup, l’obscurité tomba et la guerre arriva.
La
colonne avec ses conducteurs endormis s’ébranla ;
Sur
la terre, les empreintes des chaussures sont restées.
Les
jeeps des Alliés se sont avancées.
Les
gens sortirent, c’était un véritable rucher.
Mais
au lieu de miel, il y avait du vin pour trinquer.
Les
premiers vélos, leurs pneus étaient vides.
Mais,
les journaux le disent, ça allait vite
Sur
les trous et les cailloux, les roues tournaient.
Coppi
avait des ailes, on aurait dit qu’il volait.
Salué
par les applaudissements, il fut le premier à arriver
Et
entretemps, encore sur la route, tous les autres de pédaler.
Et
le maire fut élu et les travaux commencèrent.
On
y mit des lampadaires, le trafic augmentait.
Sur
les côtés, on mettait des haies ; d’asphalte, on la
couvrait.
On
voyageait en autocar et c’était l’hiver.
Je
rentrais de l’école et je restais là à m’ennuyer,
Car
sur cette route, on ne pouvait jouer.
Je
suis né sur la route, je la connais comme une sœur ;
Dans
ma valise, j’emporte ma musique et mes chansons dans mon cœur.
Sur
la route, on n’est jamais seul, on peut aussi partir
Et
tant de fois, je
l’ai fait, mais toujours pour revenir.
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