LA
RÉCESSION
Version
française – LA RÉCESSION – Marco Valdo M.I. – 2020
Texte
de Pier
Paolo Pasolini,
tirés de ‘La meglio gioventù’” (Einaudi, 1974).
Le
texte original avait été écrit en frioulan, avec une traduction
italienne par Pasolini lui-même, qui a ensuite écrit une nouvelle
version pour qu’elle puisse être chantée.
Interprétation
– Alice,
d’abord
dans son album "Mezzogiorno sulle Alpi" en 1992, puis dans
l’album collectif "Luna di giorno
– Le
canzoni di Pier Paolo Pasolini" en 1995.
Pier
Paolo Pasolini
Autoportrait
1947
|
Dialogue
maïeutique
Cette
fois, Lucien l’âne mon ami, même si elle s’intitule « La
Récession », il ne faudra pas s’y tromper et imaginer que
cette chanson puisse s’appliquer aux jours d’aujourd’hui, ni
même à ceux de demain.
Ah
bien, dit Lucien l’âne, tu penses qu’il n’y aura pas de
récession prochainement. Ce n’est pas l’avis des spécialistes,
des économistes, des prévisionnistes et des journalistes.
Halte-là,
Lucien l’âne mon ami, je n’ai pas dit ça. J’ai seulement dit
que cette chanson « Récession » de PPP (Pier Paolo
Pasolini), publiée en 1974, ne s’applique pas à la situation
présente ; ce qui est tout autre chose. De quoi causait PPP en
1974 quand il évoquait la récession et de quoi peut-on parler
aujourd’hui qu’on pourrait mettre sous le même vocable ?
Oui,
en effet, dit Lucien l’âne en riant, je me le demandais aussi.
Heu,
dit Marco Valdo M.I. un peu décontenancé, Pasolini écrit ce texte
au sortir d’une période de forte expansion et de relance
économiques consécutives à la guerre – période que curieusement
on a appelé le « boum » ; cette période s’étale
grosso-modo de 1946-47 à 1970. La machinerie économique tourne à
plein régime, mais déjà en son sein s’installe progressivement à
partir des années 50, une récession, une vraie récession, celle
dont parle Pasolini. Cette récession était elle aussi la
conséquence de la guerre. Je m’explique : par exemple, au
sortir de la guerre, il a fallu refaire les infrastructures de
transport et de production, il a fallu rebâtir les villes et les
usines. On a eu besoin d’énormes quantités de rails, de wagons,
de poutrelles, de ciment, de charbon, de minerais, etc. Et au plus
vite, les appétits étaient immenses. Il en alla de même du blé,
des patates, des légumes, des fruits, de la viande, etc. Puis, il a
fallu rééquiper les gens, les rhabiller, les rechausser et ensuite,
le niveau moyen des revenus s’élevant du fait du quasi-plein
emploi , il y eut la possibilité de nouvelles dépenses et l’envie
de nouveaux objets : frigo-auto-radio, télé, machines à laver
et une demande de loisirs. Toutes les fringales connurent un pic vers
1960, puis une sorte de palier, dont elles ne sont jamais descendues.
C’est
sans doute la naissance de la société de consommation, dit Lucien
l’âne de la voix de l’élève appliqué.
Oui,
effectivement, dit Marco Valdo M.I. ; mais, comme je te l’ai
dit, à partir de 1950, la machine commençait à donner des signes
d’essoufflement et de fait, il n’y avait plus besoin de tant de
rails, de tuyaux, de wagons. Les infrastructures étaient refaites.
Pour commencer, on ferma les charbonnages et le reste de l’industrie
suivi progressivement. La sidérurgie et les fabrications
métalliques, et les verreries ont suivi le mouvement de quelques
années. C’est de cette récession que parle la chanson de PPP.
Elle est d’ailleurs toujours en cours. Ce n’était assurément
pas une crise, il s’agissait d’une évolution ; dans nos
régions, on passait d’un monde industriel lourd à un autre plus
évanescent ; doublement, tout semblait se dissoudre et renaître
dans le lointain. Dès lors, cette récession n’est en rien
comparable à ce qui se passe aujourd’hui ou demain. Certes, il
faudrait nuancer, mais à la grosse, c’était ça.
Bien,
dit Lucien l’âne, je veux bien le penser, mais si tu pouvais un
peu argumenter.
C’est
assez simple, Lucien l’âne mon ami, car pour le moment, si une
récession est en cours ou va se développer, elle ne va pas durer ;
j’aurais tendance cette fois à parler de crise ; un peu comme
si le monde des humains était grippé. Bien sûr, il va y avoir du
dégât, mais il y aura aussi la reprise – plus ou moins rapide,
qui n’était pas du tout possible dans la récession évoquée par
PPP. Par exemple, les centaines de milliers d’emplois de mineurs et
d’ouvriers de l’industrie lourde du siècle dernier ont disparu
et ne seront jamais réactivés ; c’est assez comparable à la
disparition de la main d’œuvre agricole, qui avait cependant mis
beaucoup plus de temps à se résorber, absorbée par les usines, les
mines, les carrières, la (re)construction, les grands travaux.
Oh,
dit Lucien l’âne, te voilà bien savant et sans doute, as-tu
raison. Cependant, il nous faut faire court, car il est temps de
tisser le linceul de ce vieux monde désuet, essoufflé, obèse et
cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Nous
reverrons des pantalons rapiécés,
Des
crépuscules rouges sur les chemins
Des
villages de leurs autos vidés,
Assiégés
de pauvres rentrés
D’Allemagne
ou de Turin.
Les
vieux resteront maîtres
De
leurs murs et de leurs sièges de sénateurs.
Les
enfants sauront que la soupe est rare
Et
ce que signifie un morceau de pain sans beurre.
La
nuit sera plus noire que la fin du monde,
La
nuit, nous entendrons les grillons ou le tonnerre.
Et
un jeune, peut-être revenu d’une mine,
De
retour au bercail, sortira une mandoline.
L’air
aura un goût de loques trempées,
Tout
sera loin. Dans les fumées,
Des
trains et des bus passeront
Parfois
comme dans un rêve
Et
des villes grandes comme des mondes
Se
rempliront de gens qui se promèneront
En
vêtements gris
Et
ils auront
Dans
leurs yeux aigris
Une
question qui ne porte pas sur l’argent,
Mais
seulement, seulement
Sur
l’amour, sur l’amour,
Uniquement
l’amour.
Les
petites usines sur la plus belle partie
De
vertes prairies,
Dans
un coude de la rivière,
Au
cœur d’une vieille chênaie,
S’effondreront
peu à peu à la soirée :
Mur
par mur, pierre après pierre,
Feuille
tôlée par feuille tôlée.
Et
les vieux bâtiments
Seront
des montagnes de pierre,
Seuls
et clos comme ils étaient avant.
Le
soir sera plus noir que la fin du monde
Et
la nuit, nous entendrons les grillons grésillant
Ou
le tonnerre qui gronde.
L’air
aura un goût de loques trempées,
Tout
sera loin. Dans les fumées,
Des
trains et des bus passeront
Parfois
comme dans un rêve.
Les
bandits auront leur vieux front
Avec
leurs cheveux courts sur la nuque
Et
les yeux de leur mère
Pleins
du noir des nuits de lune
Et
ils seront armés d’une seule lame.
Le
sabot du cheval touchera la terre
De
la démarche légère
Du
papillon et rappellera
Ce
que le monde
A
été, en silence, le monde
Et
pressentira ce
qui sera.
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