LA
CHOSE EN LOMBARDIE
Version
française – LA CHOSE EN LOMBARDIE – Marco Valdo M.I. – 2020
Chanson
italienne – Quella cosa in Lombardia – Franco Fortini –
Interprètes
:
Enzo
Jannacci, Laura
Betti con l’orchestra di Piero Umiliani – 1960
Texte :
Franco
Fortini
Musique :
Fiorenzo Carpi (1960).
Tu
vois, Lucien l’âne mon ami, toute cette discussion autour de cette
chanson qui parle de « la chose », si tu vois de quoi il
s’agit.
Oui,
je vois, dit Lucien l’âne. La chose en question a toujours été
une préoccupation fondamentale des ânesses et des femmes, en même
temps qu’elle titillait aussi bien les hommes et les ânes. Et,
entre parenthèses, tout au long de mes interminables pérégrinations,
le long des chemins, dans les plaines, dans les bois, dans les
champs, dans les prairies, sur le bord des rivières ou dans les
combes des montagnes, j’ai vu bien des animaux s’y livrer, j’ai
toujours vu des humains s’y adonner. Quant à ce qui se passait
dans leurs intérieurs, évidemment, je n’y avais pas accès. Donc,
je sais de quoi il s’agit. Par pudeur, je ne te dirai rien de mes
propres expériences en la matière.
Soit,
Lucien l’âne mon ami, tu as raison et tu fais bien de garder une
certaine discrétion quant à tes relations intimes. Je ferai
pareil ; de mes intimes, je ne dirai rien non plus. Par contre,
la chanson est une conversation intime et plus exactement, c’est
une jeune fille qui interpelle son compagnon et lui parle
explicitement de sexe. C’est elle qui prend en mains, si j’ose
dire, la direction des affaires communes pour mettre à bas tout le
mensonge, toute la dissimulation obligée qu’impose la « police »
des mœurs qui avait été instaurée dans la société depuis des
siècles et que le régime avait renforcée encore dans le quart de
siècle qui précédait.
Comment
donc, dit Lucien l’âne, cette histoire d’amourette, banale en
somme, aurait un caractère plus vaste ?
En
effet, c’est même pour ça qu’elle a été écrite par Franco
Fortini, répond Marco Valdo M.I., et même qu’elle a été reprise
et mise en musique et interprétée par Enzo Jannaci. Cette
chanson doit être évidemment resituée dans le temps ;
aujourd’hui, elle n’a plus le même air révolutionnaire, mais
vers 1960 et quand Fortini l’a écrite, c’était une bombe
sociale ; c’est la marque que la « libération
sexuelle » se met en marche ; peu après, viendront la
libéralisation de la pilule, la légalisation de l’avortement et
au-delà, à la revendication de la liberté en matière de suicide
(Ballata
del suicidio) et d’euthanasie – laquelle se pratique
clandestinement depuis des siècles dans les villages italiens, tout
comme l’avortement ; la revendication homosexuelle, pratique
tout aussi ancienne et récurrente. On en viendra au mouvement contre
toute l’hypocrisie de la société. À côté et en parallèle au
« boum » économique, il y avait ce « boum »
moral où les jeunes générations se libéraient de l’emprise
sociétale et cléricale et du poids du Ventennio de mensonges, de
forfanteries, d’idioties et d’oppression morale, psychologique et
sociale. Cette confrontation est d’ailleurs toujours en cours –
voir la répression qui a frappé le juge Luigi
Tosti,
voir le combat de l’association
Luca Coscioni et de Marco Cappato pour le droit de mourir librement.
Ce mouvement de liberté de paroles est le moment où la révolte
contre la tartufferie, le mensonge social, où le béton
ecclésiastique et l’oppression sexuelle et morale des jeunes
femmes et hommes vont être mis en cause et en s’épanouissant vont
conduire quelques années plus tard à 1968, Make love, not War ;
c’est la première brèche dans le patriarcat… Une sorte de XX
settembre de la jeunesse. Un coup d’œil à Wilhelm Reich (Écoute,
petit homme !) aiderait à mieux le déceler. Il me paraît
important de faire place à cette génération qui a changé
l’Italie, comme ce fut le cas ailleurs.
Oh,
dit Lucien l’âne, ce mouvement de libération commence aussi et à
mon sens d’abord, dans l’intime. La libération de l’être est
toujours d’abord une libération individuelle ; elle ne peut
d’ailleurs être autre chose. Comme c’est d’ailleurs le cas
actuellement dans les pays sous domination des religieux musulmans où
l’étouffoir est la règle ; la dictature religieuse est
consubstantielle à la dictature tout court – politique, morale,
sociale. La main-mise sur le corps est une main-mise sur l’être
total – enfant, femme, homme…
En
effet, reprend Marco Valdo M.I., tenir étroitement les gens dans les
règles du troupeau, c’est même la base de la
Guerre de Cent Mille Ans que les riches et les puissants font aux
pauvres pour les tenir sous le joug, pour les rabaisser, pour
contraindre la liberté de chacun jusque dans ses émotions les plus
personnelles – songe à la
légende de la Nonne, pour éteindre le désir d’être soi et
de mener sa vie librement – et même, penser et accomplir sa propre
mort en toute autonomie.
Pour
encore mieux situer cette chanson, dit Lucien l’âne, je voudrais
rappeler que Franco Fortini fut un temps valdese et logiquement,
finit athée et je suis certain que c’est lié à ce dont on vient
de parler et au parcours avec lequel il traversa le fascisme dans les
rangs proches de Giustizia e Libertà et de la Resistenza.
Dans
le même sens, je voudrais, Lucien l’âne mon ami, dire deux
mots aussi pour signaler la parodie qu’en fit Gian-Piero Testa et
qui portait
ce titre explicitement référentiel : « Quella
cosa in Regione Lombardia », dans
laquelle il dénonçait clairement la caste des riches ou des
aspirants riches. Ce pourquoi je le souligne est aussi que
je pense que
vu son âge, Gian Piero
devait avoir cette chanson en tête comme une chanson qui – en soi
– était déjà une remise en cause du carcan social, du corset de
moralité qui enserrait la jeunesse d’Italie depuis si longtemps ;
d’autant qu’il avait dû lui aussi en subir la pesante lourdeur.
Arrêtons
là, dit Lucien l’âne, il nous faut conclure cette petite
conversation avant que tu ne te lances dans une chronique du siècle
passé et ce basculement moral qui a permis aux personnes humaines
d’avoir un peu d’espace de vie libre. Tissons donc le linceul de
ce vieux monde oppressant, opprimant, dictatorial, religieux,
hypocrite et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Que
ce soit bien clair, je ne pense pas au petit logement
Deux
pièces-cuisine, au loyer, aux quelques défauts,
Ce
qui adviendra, adviendra.
Je
pense plutôt à notre après-midi de dimanche,
Aux
familles qui tombent comme des feuilles,
Aux
filles sans désir, au désir sans faute ;
Aux
Onzecents immobiles sur la route avec leurs vitres embuées,
Aux
mensonges et aux soupirs au long des fossés des faubourgs.
Chéri,
où ira-t-on, disons, pour faire l’amour ?
Je
n’ai pas dit : « Allons nous promener »
Ou
encore moins, « échanger un baiser ».
Nos
semblables, aujourd’hui, vont par deux
Dans
les escaliers, dans l’odeur puante des hôtels de passe.
Ça
aussi s’appelle l’amour.
Bien
sûr, c’est l’amour, qui libère toutes les boucles, les lacets
et les frissons.
Dans
le brouillard glacé, dans l’herbe,
Un
œil sur la Lambretta, une oreille à ces carillons
Qui
sonnent depuis le bourg la neuvaine ;
Donne
à nos deux vies une radio lointaine
Les
résultats des derniers matchs.
Chéri,
où ira-t-on, disons, pour faire l’amour ?
Je
n’ai pas dit : « Allons nous promener »
Ou
encore moins, « échanger un baiser ».
Chéri,
où ira-t-on, disons, pour faire l’amour ?
Je
parle de la chose que tu sais
Et
qui te plaît, je crois, autant qu’à moi !
Chéri,
où ira-t-on, disons, pour faire l’amour ?
Je
n’ai pas dit : « Allons nous promener »
Ou
encore moins, « échanger un baiser ».
Chéri,
où ira-t-on, disons, pour faire l’amour ?
Je
parle de la chose que tu sais
Et
qui te plaît, je crois,
autant qu’à moi !
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