dimanche 1 mars 2020

LA CHOSE EN LOMBARDIE

LA CHOSE EN LOMBARDIE


Version française – LA CHOSE EN LOMBARDIE – Marco Valdo M.I. – 2020
Chanson italienne – Quella cosa in Lombardia – Franco Fortini – Interprètes : Enzo Jannacci, Laura Betti con l’orchestra di Piero Umiliani – 1960
Texte : Franco Fortini
Musique : Fiorenzo Carpi (1960).



Tu vois, Lucien l’âne mon ami, toute cette discussion autour de cette chanson qui parle de « la chose », si tu vois de quoi il s’agit.

Oui, je vois, dit Lucien l’âne. La chose en question a toujours été une préoccupation fondamentale des ânesses et des femmes, en même temps qu’elle titillait aussi bien les hommes et les ânes. Et, entre parenthèses, tout au long de mes interminables pérégrinations, le long des chemins, dans les plaines, dans les bois, dans les champs, dans les prairies, sur le bord des rivières ou dans les combes des montagnes, j’ai vu bien des animaux s’y livrer, j’ai toujours vu des humains s’y adonner. Quant à ce qui se passait dans leurs intérieurs, évidemment, je n’y avais pas accès. Donc, je sais de quoi il s’agit. Par pudeur, je ne te dirai rien de mes propres expériences en la matière.

Soit, Lucien l’âne mon ami, tu as raison et tu fais bien de garder une certaine discrétion quant à tes relations intimes. Je ferai pareil ; de mes intimes, je ne dirai rien non plus. Par contre, la chanson est une conversation intime et plus exactement, c’est une jeune fille qui interpelle son compagnon et lui parle explicitement de sexe. C’est elle qui prend en mains, si j’ose dire, la direction des affaires communes pour mettre à bas tout le mensonge, toute la dissimulation obligée qu’impose la « police » des mœurs qui avait été instaurée dans la société depuis des siècles et que le régime avait renforcée encore dans le quart de siècle qui précédait.

Comment donc, dit Lucien l’âne, cette histoire d’amourette, banale en somme, aurait un caractère plus vaste ?

En effet, c’est même pour ça qu’elle a été écrite par Franco Fortini, répond Marco Valdo M.I., et même qu’elle a été reprise et mise en musique et interprétée par Enzo Jannaci. Cette chanson doit être évidemment resituée dans le temps ; aujourd’hui, elle n’a plus le même air révolutionnaire, mais vers 1960 et quand Fortini l’a écrite, c’était une bombe sociale ; c’est la marque que la « libération sexuelle » se met en marche ; peu après, viendront la libéralisation de la pilule, la légalisation de l’avortement et au-delà, à la revendication de la liberté en matière de suicide (Ballata del suicidio) et d’euthanasie – laquelle se pratique clandestinement depuis des siècles dans les villages italiens, tout comme l’avortement ; la revendication homosexuelle, pratique tout aussi ancienne et récurrente. On en viendra au mouvement contre toute l’hypocrisie de la société. À côté et en parallèle au « boum » économique, il y avait ce « boum » moral où les jeunes générations se libéraient de l’emprise sociétale et cléricale et du poids du Ventennio de mensonges, de forfanteries, d’idioties et d’oppression morale, psychologique et sociale. Cette confrontation est d’ailleurs toujours en cours – voir la répression qui a frappé le juge Luigi Tosti, voir le combat de l’association Luca Coscioni et de Marco Cappato pour le droit de mourir librement. Ce mouvement de liberté de paroles est le moment où la révolte contre la tartufferie, le mensonge social, où le béton ecclésiastique et l’oppression sexuelle et morale des jeunes femmes et hommes vont être mis en cause et en s’épanouissant vont conduire quelques années plus tard à 1968, Make love, not War ; c’est la première brèche dans le patriarcat… Une sorte de XX settembre de la jeunesse. Un coup d’œil à Wilhelm Reich (Écoute, petit homme !) aiderait à mieux le déceler. Il me paraît important de faire place à cette génération qui a changé l’Italie, comme ce fut le cas ailleurs.

Oh, dit Lucien l’âne, ce mouvement de libération commence aussi et à mon sens d’abord, dans l’intime. La libération de l’être est toujours d’abord une libération individuelle ; elle ne peut d’ailleurs être autre chose. Comme c’est d’ailleurs le cas actuellement dans les pays sous domination des religieux musulmans où l’étouffoir est la règle ; la dictature religieuse est consubstantielle à la dictature tout court – politique, morale, sociale. La main-mise sur le corps est une main-mise sur l’être total – enfant, femme, homme…

En effet, reprend Marco Valdo M.I., tenir étroitement les gens dans les règles du troupeau, c’est même la base de la Guerre de Cent Mille Ans que les riches et les puissants font aux pauvres pour les tenir sous le joug, pour les rabaisser, pour contraindre la liberté de chacun jusque dans ses émotions les plus personnelles – songe à la légende de la Nonne, pour éteindre le désir d’être soi et de mener sa vie librement – et même, penser et accomplir sa propre mort en toute autonomie.

Pour encore mieux situer cette chanson, dit Lucien l’âne, je voudrais rappeler que Franco Fortini fut un temps valdese et logiquement, finit athée et je suis certain que c’est lié à ce dont on vient de parler et au parcours avec lequel il traversa le fascisme dans les rangs proches de Giustizia e Libertà et de la Resistenza.

Dans le même sens, je voudrais, Lucien l’âne mon ami, dire deux mots aussi pour signaler la parodie qu’en fit Gian-Piero Testa et qui portait ce titre explicitement référentiel : « Quella cosa in Regione Lombardia », dans laquelle il dénonçait clairement la caste des riches ou des aspirants riches. Ce pourquoi je le souligne est aussi que je pense que vu son âge, Gian Piero devait avoir cette chanson en tête comme une chanson qui – en soi – était déjà une remise en cause du carcan social, du corset de moralité qui enserrait la jeunesse d’Italie depuis si longtemps ; d’autant qu’il avait dû lui aussi en subir la pesante lourdeur.

Arrêtons là, dit Lucien l’âne, il nous faut conclure cette petite conversation avant que tu ne te lances dans une chronique du siècle passé et ce basculement moral qui a permis aux personnes humaines d’avoir un peu d’espace de vie libre. Tissons donc le linceul de ce vieux monde oppressant, opprimant, dictatorial, religieux, hypocrite et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane




Que ce soit bien clair, je ne pense pas au petit logement
Deux pièces-cuisine, au loyer, aux quelques défauts,
Ce qui adviendra, adviendra.
Je pense plutôt à notre après-midi de dimanche,
Aux familles qui tombent comme des feuilles,
Aux filles sans désir, au désir sans faute ;
Aux Onzecents immobiles sur la route avec leurs vitres embuées,
Aux mensonges et aux soupirs au long des fossés des faubourgs.


Chéri, où ira-t-on, disons, pour faire l’amour ?
Je n’ai pas dit : « Allons nous promener »
Ou encore moins, « échanger un baiser ».


Nos semblables, aujourd’hui, vont par deux
Dans les escaliers, dans l’odeur puante des hôtels de passe.
Ça aussi s’appelle l’amour.
Bien sûr, c’est l’amour, qui libère toutes les boucles, les lacets et les frissons.
Dans le brouillard glacé, dans l’herbe,
Un œil sur la Lambretta, une oreille à ces carillons
Qui sonnent depuis le bourg la neuvaine ;
Donne à nos deux vies une radio lointaine
Les résultats des derniers matchs.


Chéri, où ira-t-on, disons, pour faire l’amour ?
Je n’ai pas dit : « Allons nous promener »
Ou encore moins, « échanger un baiser ».
Chéri, où ira-t-on, disons, pour faire l’amour ?
Je parle de la chose que tu sais
Et qui te plaît, je crois, autant qu’à moi !


Chéri, où ira-t-on, disons, pour faire l’amour ?
Je n’ai pas dit : « Allons nous promener »
Ou encore moins, « échanger un baiser ».
Chéri, où ira-t-on, disons, pour faire l’amour ?
Je parle de la chose que tu sais
Et qui te plaît, je crois, autant qu’à moi !

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