mardi 11 février 2020

PAPA EST AUSSI LÀ

 

PAPA EST AUSSI LÀ



Version française – PAPA EST AUSSI LÀ – Marco Valdo M.I. – 2020
d’après la version italienne – C'E PURE IL BABBO – de Riccardo Venturi d’une
Chanson allemande – Vater ist auch dabei Klabund [Alfred Henschke] – 1919

Texte d’Alfred Henschke (1890-1928), plus connu sous le pseudonyme de Klabund, écrivain allemand.
Dans la collection "Die Harfenjule", publiée en 1927, peu avant sa mort prématurée.
Musique de Béla Reinitz (1878-1943), compositeur hongrois.
Interprété par Ernst Busch dans le disque Aurora-Schallplatten intitulé "Erich Mühsam / Klabund Zeit-, Leid-, Streitgedichte" de 1966, réédité en 1972.



Quand part un train de faim et de souffrance
Pour l’éternité – dans l’éternité,
Papa est aussi là.
Les inaptes au travail – David Olère – circa : 1950


Dialogue Maïeutique

Je me demande, Lucien l’âne, si tu te souviens que nous avons déjà croisé Klabund dans ce labyrinthe en expansion infinie, qui ressemble à un univers de big bang en expansion. Je ne serais donc pas étonné que toi aussi, tu en aies perdu la mémoire. Enfin, moi, je me souviens de Klabund, mais je serais infoutu de te dire quelles étaient les chansons que j’en ai traduites, ni quand.

Oh, Marco Valdo M.I. mon ami, les humains perdent beaucoup de leur mémoire avec l’âge, mais on ne peut ignorer combien la mémoire de l’âne peut parfois garder précieusement la trace de certaines choses. Par exemple, que dis-tu si je te cite le titre des trois versions françaises que tu as faites de chansons de Klabund, il y a environ cinq ans. C’étaient : la BALLADE DES OUBLIS (Ballade des Vergessens), LE SOLDAT FATIGUÉ (Der müde Soldat) et POGROM (Pogrom).

Alors, tu sais combien Klabund est un auteur, un poète intéressant et assez synthétique. Par parenthèse, j’ai l’impression que de nos jours que – comme disait ma grand-mère – « On n’en fait plus des comme ça ». Cela dit, j’espère me tromper, tant il est vrai que les poètes ont souvent la « renommée » posthume. De son vivant, un poète, comme nombre d’écrivains, est souvent carrément ignoré et d’une certaine manière, pour lui, il vaut mieux ainsi. Pour l’anecdote, je rappelle qu’Alexandre Vialatte se présentait lui-même comme « le plus célèbre des écrivains inconnus ».

Oh, dit Lucien l’âne, Rimbaud aurait pu en dire autant. J’ai entendu dire que durant sa vie, il aurait vendu une vingtaine d’exemplaires de ses plus célèbres poèmes. Jarry vivait de misère avec son vélo, poursuivi jusqu’au bout par son marchand de bicyclettes, qu’il ne pouvait payer. Balzac lui-même se tuait au travail pour couvrir ses dettes. Sans rien dire de tous les poètes que j’ai croisés au bord des chemins, ni de l’aède aveugle qui de village en village allait traînant son odyssée. Mais venons-en à la chanson. Qu’en est-il ?

D’abord, répond Marco Valdo M.I., elle s’intitule « PAPA AUSSI EST LÀ », c’est son leitmotiv, sa récurrence, son antienne, le dernier vers de chacune des trois strophes. C’est une sorte de petite pièce de théâtre en trois actes (les « strophes ») ou vu du côté de la peinture, un triptyque. Au milieu de chaque strophe, on trouve un élément fixe : l’enfant et la mère, qui assistent aux trois épisodes dont le père est l’acteur : le départ à la guerre, le retour de la guerre et la révolution avortée. C’est l’histoire immédiate de l’Allemagne des années 1914-19. Une dernière précision : le papa était un Maikäfer. Mais sais-tu ce que c’est ?

À proprement parler, dit Lucien l’âne, pour ce que j’en sais, il me fait penser d’abord un cafard de mai – même si ce n’est pas vraiment un cafard, à un hanneton – ce qu’il est ; c’est ensuite, un militaire, un soldat qu’on appellerait en français, un « voltigeur », c’est-à-dire un fantassin léger opérant de façon isolée, voltigeant en ordre dispersé et désordonné comme un hanneton en avant du gros du gros de la troupe.

Parfait, Lucien l’âne mon ami, il ne me reste plus qu’à te dire que Maikäfer flieg ! Est une des plus célèbres berceuses allemandes, qui sans doute remonte à la nuit des temps et qui avait déjà son usance militaire du temps de Till lors de la Guerre de Trente Ans. Il en existe des dizaines de versions, dont celle de Klabund.

Et maintenant, la tienne, dit Lucien l’âne. J’espère toutefois que ta version rend grâce à la poésie de Klabund. Quoi qu’il en soit, tissons le linceul de ce vieux monde cafardeux, mortifère, lamentable et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane






Quand ils sont partis à la guerre -
Papa était un Maikäfer – Maikäfer vole -
À la fenêtre, ils se tenaient là ces deux-là
Meurtris, affamés, l’enfant et la mère,
Les larmes rendaient leurs yeux aveugles :
Papa est aussi là.


La guerre finie, il rentra chez nous.
Il ôta son uniforme plein de trous.
À la fenêtre, ils se tenaient là ces deux-là
« Ne va pas dans la rue ! » « Je dois, je dois !
Vive Spartacus ! Rendre coup pour coup ! »

Papa est aussi là !


Le rêve de la révolution avorté,
Au matin, on va à la corvée en cadence
À la fenêtre, ils sont là ces deux-là
Quand part un train de faim et de souffrance
Pour l’éternité – dans l’éternité,
Papa est aussi là.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire