lundi 24 février 2020

LA PESTE NOIRE


 LA PESTE NOIRE

Version française – LA PESTE NOIRE – Marco Valdo M.I. – 2020

Chanson italienne – Pesta neraDSA Commando2012



 Dialogue Maïeutique

La Peste, la Peste noire, telle est la chanson. Tel est le récit de la chanson ; mais, dis-moi, Lucien l’âne mon ami, as-tu toi-même connu la peste ?

Personnellement, franchement, Marco Valdo M.I. mon ami, je ne l’ai pas subie et pour cause, je suis un âne et les ânes sont connus, comme court la légende, pour être des animaux fort résistants. Cela dit, je l’ai vue, j’en ai vu les ravages et pas qu’une fois. J’ai vu tomber Constantinople, souviens-toi. Je dis ça pour rappeler que la peste n’est pas pour rien dans l’effondrement de cet Empire millénaire ; la grande peste avait tué la moitié de la population européenne. Le bon La fontaine avait raison dans sa façon de la caractériser : « Ils n’en mourraient pas tous, mais tous étaient frappés. » L’épouvantable fut qu’un âne, précisément, un lointain parent – non, ce n’était pas moi, sinon je ne serais pas là pour t’en parler – a dû subir le contrecoup. Écoute donc – en partie – cette fable des « animaux malades de la peste ». L’histoire commence ainsi :

« Un mal qui répand la terreur,
Mal que le Ciel en sa fureur
Inventa pour punir les crimes de la terre
La Peste (puisqu’il faut l’appeler par son nom)
Capable d’enrichir en un jour l’Achéron,
Faisait aux animaux la guerre.
Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés »

et elle finit ainsi que le bouc émissaire s’était mué en âne expiatoire.

Et de cela, demande Marco Valdo M.I., quelle leçon l’âne expérimenté que tu es peut tirer, hors les banalités qu’on nous a enseignées ?

La plus importante, Marco Valdo M.I., est pour les gens d’aujourd’hui : c’est qu’il ne sert à rien d’accuser l’âne, car à la vérité, le pauvre baudet n’y est pour rien. Ce serait même, comme on dit couramment à présent, dans cette langue technicole, contreproductif. Pour le reste, je ne suis ni médecin, ni virologue, ni en charge des maux des humains. Comme je t’ai de cette manière répondu, parle-moi quand même de la chanson qui me semble fort intéressante.

Eh bien, allons-y, Lucien l’âne mon ami. Il est d’abord à noter que ce n’est pas une chanson d’aujourd’hui, elle date de 2012. Le fait a son importance tant elle paraît anticiper les événements actuels. Comme tu le sais, j’aime beaucoup cette aptitude de la chanson, que j’appelle son profil de Cassandre. Elle anticipe. Pour les détails, j’ai définitivement pris le pli de renvoyer au texte lui-même, sans trop le paraphraser – chose inutile et superfétatoire, ni même, comme c’était coutume de le faire chez mes professeurs, d’en expliquer tous les mystères, qui dès lors n’auraient plus rien d’énigmatique et ce serait malheureux.

Donc, Dit Lucien l’âne, si je résume ton sentiment : ni commentaires directs, ni explication de texte. Soit, on n’est pas à l’école et tu ne te vois pas en professeur, ni les lecteurs, en élèves ignorants. C’est fort bien ainsi. Mais alors, quoi ?

Oh, juste un petit bout e phrase ou d’idée, de temps en temps, ça suffit, dit Marco Valdo M.I. Par exemple, celle-ci est un choral à quatre voix, qui sont notées dans le texte en tête de leur intervention : [Heskarioth] – [Macmyc] – [Hellpacso][Krin 183]. C’est une chanson complexe qui nécessiterait à elle seule une encyclopédie, ce que je ne peux faire. J’insisterais cependant sur deux points : le premier, c’est sa prescience, sa clairvoyance, son discours quasi-incantatoire, sa voix de Cassandre ; le second, c’est la luxuriance baroque de cette incantation. Même si elle est pure imagination, même si elle puise toute sa force dans la poésie, même si de quelque façon, elle est intemporelle, elle me paraît jeter ses sombres lueurs sur le monde du temps présent. Elle arrive à donner toue sa voix à la grande peur séculaire, à la simuler assez exactement. Ainsi, elle met en garde contre ce délire paranoïaque qui accompagna pendant des décennies et des décennies, des siècles pour tout dire, les vagues successives de la peste ancienne, laquelle pourrait se relancer de nos jours.

Parfait, dit Lucien l’âne assez causé, voyons ça et puis, tissons le linceul de ce vieux monde malade de la peur, paniqué, irrationnel et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane




[Heskarioth]


Ecoutez l’écho du râle de la mort dans les couloirs de l’hôpital.
Crevant en pose fœtale, étranglé par un vomissement fécal,
Dysenterie, vertiges, fébrile infirmité mentale,
Dieu vous a abandonné ou vous déteste de façon viscérale.
Une horde de rats noirs montent de l’égout,
Mordent dans la chair, répandent la maladie, provoquent la panique,
Attirés par des piles de carcasses de corps corrompus où
Des vols de corbeaux arrachent les yeux, extatiques.
La putrescence dégorge des visages maculés
Némésis, divine, répand la ruine sous un ciel rosé.
Vous pensez aux jours passés pendant qu’enflent vos abcès,
La peste est une chanson, elle scande le tempo des décès.
Escariot, ver, oncteur, pestiféré, bouc expiatoire,
Je ris les yeux à l’envers sous les fers lors de l’interrogatoire.
Je me fous de crever, mon chemin est pavé d’os,
Jetez de la chaux et crachez sur moi dans la fosse.


[Macmyc]


Épidémie, mortalité, paralysie, cancer dans le vent
En train de métastaser, moissonnent les vivants.
Les fosses communes créent des collines de corps violets,
Le mot, un seul, terrifiant, violent, et c’est l’isolement complet.
En quarantaine, la maladie est bave dans la bouche des rats,
Le tunnel des horreurs vous sucera et vous tue, tue, tuera.
Les gens dépouillés de leur vie suent sous un linceul,
Puis font le dîner pour les vautours qui tournoient dans le ciel.
Agonie, magie, Mac Léod, Crowley le démon
À l’ange de l’Avent arrache les ailes.
Pour pleurer, je ne ressens pas assez d’émotion,
L’espoir vaut mieux qu’une vie éternelle.
Des croix peintes sur les portes, des barreaux de fenêtres cassés,
Dans les grottes, des campements de pestiférés.
J’ai vomi et j’ai vu dehors le feu, pas de soupape de sécurité.
Liez-moi avec les autres et brûlez-moi sur le bûcher !


[Hellpacso]


Déchets organiques entre les bouteilles et les rongeurs noirs,
Isolés dans de vieux quartiers conçus comme de nouveaux mouroirs,
Ici, on vit ou on meurt, on fait des expériences hors norme :
Des corps repoussant de pourriture prennent forme.
On crée l’épidémie de phobies, sans anesthésique.
Un membre à amputer nécrose sous un ciel en entonnoir,
Une autre maladie mortelle promène les têtes sur des piques,
Randonnant par les rues comme un chien noir,
Prêt à propager la gale, il mord.
Il n’y a pas de honte, brûlez doucement parmi les essences,
Sel vain et saveur d’égout pour couvrir toutes les apparences
Affligé, j’assiste, je résiste jusqu’à ma mort.
Le salut n’a pas de visage ; avec des gants de cuir, il caresse.
J’avale des blattes, je recule, je régresse ;
Je continue, je m’en vais vers l’extinction à tête basse.
Vers la fuite, je retourne dans le souterrain
Corrosif comme des larves sous la peau des mains.


[Krin 183]


Les rivières accompagnent les dépouilles
Dans un estuaire désormais saturé de charognes ;
Le mal inflige une peine immonde, un carnage social égal.
Dans les maisons, les pères se taillent la jugulaire,
Les fils oublient leur mère,
La ville sombre spectrale.
Pas de descendance, onanisme furieux sur des membres décharnés,
Lichen simplex, squames, corps pulvérisés
Nés sans zodiaque, de la même façon marqués de la croix
Sur les épaules, une voix atroce indique les renégats.
Les docteurs cherchent la cause obscure :
Poudres diaboliques, onguents, agents contre nature.
Les ventouses sucent le poison et cicatrisent
Tandis qu’à l’épuisement, les plaies conduisent.
Hors des murs, même vie, le feu guérit
Qui a fait vœu l’allume et le nourrit,
L’enfer est la seule sortie,
L’enfer sera le début d’une vie,
La fin de la contagion de la mort subite,
La mort du parasite.

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