LA
CANTATE
DES
ENFANTS DE THÉRÉSINE
Version
française -
La
Cantate des Enfants de Thérésine – Marco Valdo M.I. – 2009
(revue
et corrigée 2020)
d’après
la version italienne publiée dans l’ouvrage « I Bambini di
Terezin – Poesie e disegni dal Lager, 1942-1944 »
– Mario
De Micheli – Feltrinelli – 1979, telle
qu’elle apparaît dans le site « Canzoni contro la Guerra ».
La
Cantate des Enfants de Thérésine est composée de neuf poèmes
écrits par des enfants juifs internés au camp de Theresienstadt
(République Tchèque), mieux et plus tristement connu (en
français)
sous le nom de Thérésine.
À
partir de 1940, les nazis équipèrent Thérésine d’abord d’une
prison, puis d’un vrai ghetto qui servit de camp de transit pour
les Juifs envoyés vers Auschwitz et les autres camps
d’extermination.
15 000
enfants passèrent par Thérésine. Il en survécut 150.
« La
communauté hébraïque de Thérésine s’assura que tous les
enfants déportés puissent
continuer leur parcours scolaire. Chaque jour, on donnait des leçons
et des activités sportives ;
en outre, la communauté réussit
à publier une revue illustrée « Vedem », qui traitait
de poésie, de dialogues et de recensions littéraires et était
complètement produite par des enfants d’un âge compris entre
douze et quinze ans… »
La
professeure
d’art Friedl Dicker-Brandeis créa une classe de dessin pour les
enfants du ghetto ;
le résultat de cette activité fut quatre mille dessins qu’elle
cacha dans deux valises avant d’être déportée à Auschwitz.
Cette
collection échappa aux inspections nazies et fut redécouverte dix
ans après la fin de la guerre. Nombre de ces dessins peuvent être
admirés aujourd’hui au Musée juif de Prague où la section de
l’Holocauste est responsable de l’administration de la collection
de Thérésine.
La
Cantate des Enfants de Thérésine a été composée par Robert
Convery à la mémoire de tous ces enfants morts durant l’Holocauste.
Elle a été jouée la première fois à Washington en 1993.
Commentaire
de Marco Valdo M.I.
J’ai
traduit du mieux que je pouvais ces poèmes d’enfants ;
j’espère ne pas avoir trahi ces « âmes
mortes »
et pouvoir donner ainsi à leurs mots un public qui les ignorait.
Car,
sauf à me tromper, je n’ai vu aucun trace en langue française de
ces chants de Thérésine ; peut-être
ai-je mal cherché. Qu’importe
finalement, si j’ai refait un travail existant, il y aura aussi
cette trace-ci. De toute façon, je ne pouvais supporter l’idée
qu’ils restent occultés.
Ainsi
Parlait Marco Valdo M.I.
« Mais
regarde bien et garde-toi bien de l’oubli des choses que tes yeux
ont vues ; qu’elles ne quittent pas ton cœur, tout au long de ta
vie. Tu les enseigneras aussi à tes enfants et aux enfants de tes
enfants. »
(Chap.
4, vers. 9 du Deuteronome, livre cinq de la Torah et de la Bible
chrétienne).
Le
Jardin
Poème
conservé avec sept autres, tous écrits à la main. Il s’agit sans
doute de copies.
Devant :
la signature “Franta Bass”.
Frantizek
Bass, né à Brno le 4.9.1930, fut déporté à Thérésine le
2.12.1942. Mort le 28.10.1944 à Auschwitz.
C’est
un petit jardin
Parfumé
de mille roses ;
Son
sentier est étroit
Où
court l’enfant.
Un
enfant joli, un petit enfant
Comme
un bouton qui s’ouvre
Quand
la fleur s’entrouvrira.
L’enfant
ne sera plus là.
À
Thérésine
Fragments
retrouvés, écrits au crayon, sur un buvard par une main d’enfant
maladroite, mais sans erreurs d’orthographe. Comme signature, on
trouve dans le coin droit le prénom “Teddy”. Ajoutées d’une
main étrangère les indications 1943 et L 410. On n’a pas pu
identifier leur jeune auteur. Il devait toutefois appartenait au
cercle de Piroslav Košek, en compagnie duquel il était logé dans
le bloc L 410.
Dès
le moment où quelqu’un arrive ici
Chaque
chose lui semble étrange.
Comment…
Je dois me coucher par terre ?
Non,
je ne mangerai pas ces patates pourries.
Et
ça, ça sera ma maison ? C’est crasseux !
Le
sol est boueux et sale
Et
je devrais me coucher là.
Comment
faire sans me salir ?
Il
y a toujours un grand mouvement de cris et de pleurs
Et
tant, tant de mouches.
Tout
le monde sait que les mouches amènent des maladies.
Quelque
chose m’a piqué : une punaise peut-être.
Comme
Thérésine est horrible.
Qui
sait quand je rentrerai chez moi…
Une
soirée ensoleillée
Poème
d’un prisonnier anonyme du bloc L 318, où étaient tous les
garçons de 10 à 16 ans. Dactylographie. En haut à droite l’année
1944. Aucune autre indication.
Par
une soirée empourprée d’un soleil couchant
Sous
les bourgeons fleuris des châtaigniers
Je
suis assis dans la poussière
C’est
un jour comme hier, un jour comme tant.
Les
arbres très beaux fleurissent
Dans
leur vieillesse ligneuse, si beaux
Que
j’ose à peine lever les yeux
Vers
leur verte splendeur, là-haut.
Une
voile dorée d’or solaire
Soudain
fait tressaillir mon corps
Quand
le ciel me lance un cri bleu
Et
me sourit, j’en suis sûr.
Chaque
chose fleurit et sans fin encor sourit.
Je
voudrais voler, mais comment, mais où ?
Si
tout est en fleurs… je me dis, pourquoi pas moi ?
Voilà
pourquoi je ne meurs pas.
La
petite souris
Deux
strophes enfantines, rimées, écrites à la plume sur un document
administratif allemand. Signé de la façon suivante : en haut à
droite : “Koleba: Košek, Löwy, Bachner”. Cette indication
est complétée au crayon : “26/11”. Le fragment est écrit
d’une main enfantine, incertaine, mais sans erreurs d’orthographe.
Miroslav
Košek était né le 30.3.1932 à Horelice, en Bohème. Déporté à
Thérésine le 25.2.1942, il mourra le 19.10.1944 à Auschwitz. À
Thérésine, il logea au bloc L 410.
Hanuš
Löwy était né à Ostrava le 29.6.1931. Déporté à Thérésine le
30.9.1942, il mourra le 4.10.1944 à Auschwitz.
On
n’a pu trouver aucun renseignement sur Bachner.
Au
fond de son nid, la petite souris
Cherche
une puce dans son pelage gris ;
Elle
s’affaire, elle fouille, elle fouine,
Mais
elle ne trouve pas, elle n’a pas de chance.
Elle
se tourne par ci, elle se tourne par là,
Mais
la puce ne s’en va pas.
Voici
qu’arrive son papa
Qui
examine ses poils ras ;
Voilà
qu’il attrape cette puce
Et
puis, il la jette dans le feu.
La
petite souris ne perd pas de temps,
Elle
court inviter son grand-père à l’instant :
« Menu
du jour,
Puce
au four ! »
Thérésine
Poème
écrit à la machine. Indication dans le coin droit : IX, 1944;
ajouté au crayon, en bas à droite : écrit par des enfants des
blocs L 318 et L 417 , 10-16 ans. Pas de signature. O. Klein qui fut
“éducateur” à Thérésine a identifié l’auteur en Hanuš
Hachenburg.
Hanuš
Hachenburg était né à Prague le 12.7.1929. Dé^porté à Thérésine
le 24.10.1942, il est mort à Auschwitz le 18.12.1943.
Une
tache sale sur un mur pourri
Et
tout autour le fil barbelé.
On
dort là à 30 000
Et
quand on s’éveillera,
On
verra la mer
De
notre sang.
J’étais
un enfant il y a trois ans,
Je
rêvais alors d’autres pays ;
Maintenant
je ne suis plus un enfant,
J’ai
vu les incendies
Et
trop vite, je suis devenu grand.
J’ai
connu la peur :
Les
jours assassins, les mots de sang.
Mais
où est le croquemitaine d’antan ?
Mais
ce n’est peut-être qu’un songe
Et
je m’éveillerai, à nouveau enfant.
Dans
mon enfance, fleur de roseraie,
Murmurante
clochette de mes songes,
Comme
une mère qui berce son bébé
Avec
l’amour débordant
De
sa maternité.
Enfance
misérable chaîne
Qui
te lie à l’ennemi et au gibet.
Misérable
enfance qui, dans sa tristesse,
Distingue
déjà le bien et le mal.
Là-bas
où doucement mon enfance repose
Dans
les petits parterres d’un parc.
Là-bas,
dans cette maison, quelque chose s’est brisé
Quand
sur moi est tombé le mépris.
Là-bas
dans les jardins ou dans les fleurs
Ou
sur le sein maternel, où je suis né
Pour
pleurer…
À
la lumière d’une bougie je m’endors
Peut-être
pour comprendre un jour
Que
j’étais une bien petite chose.
Petite
comme le chœur des 30 000,
Comme
notre vie qui dort
Là-bas
dans les champs,
Qui
dort et qui s’éveillera,
Ouvrira
les yeux
Et
pour ne pas trop en voir
Se
laissera reglisser dans le noir…
La
Ville Close
Cette
poésie existe seulement en copie dactylographiée. Sans indication.
Chaque
chose tombe de travers
Comme
la bosse d’une vieille
Dans
chaque œil brille l’immobile attente
Et
un mot : quand ?
Ici,
il n’y a pas beaucoup de soldats
Et
les seuls oiseaux abattus rappellent la guerre.
On
finit par croire à toutes les rumeurs.
Les
maisons n’ont jamais été aussi pleines :
Entassés,
un corps sur l’autre.
Ce
soir, je passais par une rue déserte
Et
d’un coup, je vis un chariot qui transportait des cadavres.
Pourquoi
les tambours roulent-ils tant d’appels ?
Pourquoi
à présent tant de soldats ?
Puis
… Une semaine après la fin,
La
ville sera vide
Et
un pigeon affamé picorera nos miettes.
Au
beau milieu de la rue
Sordide
et vide
Restera
le chariot de la mort.
Thérésine
Poème
dactylographié. Au crayon, dans le coin supérieur droit :
1944. Au sixième vers, une correction au fusain : “dva roky”
(deux ans) corrigé en “ctvrty rok” (quatre ans). Dans le coin
inférieur droit, la signature “Mif” a été ajoutée au crayon.
De
pesantes roues nous écrasent le front
Et
creusent un sillon dans notre mémoire.
Nous
sommes depuis trop longtemps une colonne de maudits
Qui
veulent enserrer les temps de leurs enfants
Avec
les bandages de l’aveuglement.
Quatre
ans derrière un marais
En
attente d’une eau pure.
Mais
les eaux des rivières courent dans d’autres lits,
Dans
d’autres lits,
Que
tu vives ou que tu meures.
Il
n’y a pas de fracas des armes, les fusils sont muets.
Il
n’y a aucune trace de sang ici : rien.
Seulement
une faim sans paroles.
Les
enfants volent le pain et demandent seulement
À
dormir, à se taire, à encore dormir…
De
pesantes roues nous écrasent le front
Et
creusent un sillon dans notre mémoire.
Les
années même ne pourront effacer
Tout
cela.
La
chanson de l’oiseau
Manuscrit
écrit à la plume sur une feuille de papier blanc, avec trois autres
fragments du même
auteur.
Daté 1943. Derrière la feuille au crayon :
L 410. Pas d’autre information.
Celui
qui s’accroche à son nid,
Ne
sait pas ce qu’est le monde.
Il
ne sait pas ce que savent tous les oiseaux
Et
il ne sait pas ce pourquoi je veux chanter
Le
monde et sa beauté.
Quand
à l’aube, le rayon du soleil
Illumine
la terre
Et
l’herbe scintille de perles dorées,
Quand
l’aurore disparaît
Et
que les merles sifflent dans les haies…
Alors,
je comprends comme il est bon de vivre.
Essaye,
ô mon ami, d’ouvrir ton cœur à la beauté
Quand
tu promènes dans la nature
Pour
tresser des guirlandes à tes souvenirs.
Même
si tes larmes coulent le long de la route,
Tu
verras qu’il est merveilleux de vivre.
À
Olga
Ce
poème a été écrit au crayon sur un bout de papier ligné. Il
n’est pas signé, mais comporte le sigle du bloc L. 410. D’après
l’écriture, on l’attribue à Alena Synková, née à Prague le
24.9.1926, déportée à Thérésine le
22.12.1942. Elle a survécu.
Écoute,
Déjà
siffle la sirène du navire
Et
nous devons partir
Vers
un port inconnu !
Écoute,
C’est
l’heure déjà.
Nous
naviguerons loin,
Nos
rêves deviendront réalité.
Oh !
Doux nom du Maroc !
Écoute,
C’est
l’heure déjà.
Le
vent nous dit des chansons
De
pays lointains.
Regarde
le ciel
Et
pense seulement aux violettes.
Écoute,
C’est
l’heure déjà.
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