MARENG
Version
française – MARENG – Marco Valdo M.I. – 2019
d’après
la version italienne – MARENGO – de Piero Milanese
C’est
l’histoire de la bataille de Marengo vue du côté des paysans
locaux. Il est écrit en Piemontese mandrogno (Alessandria), dialecte
piémontais
d’Alexandrie
comme
« La
balada’d Pipu Majen ».
Dialogue
maïeutique
Nous
connaissons bien ici la bataille de Marengo et son histoire, car
comme tu t’en souviens certainement, Lucien l’âne mon ami ;
on en avait déjà parlé à l’occasion de la présentation de
trois chansons : toutes issues de la saga de notre Arlequin
amoureux.
Oui,
dit Lucien l’âne, je me souviens parfaitement de tout ça. La
première « Marengo »
racontait
la bataille vue par Matthias,
simple
soldat de l’armée autrichienne et
sa mue en déserteur, dès le soir de la bataille et en fugitif, dès
le lendemain matin. La seconde, je veux dire « La
Marengo du Lieutenant »
rapportait la même bataille, vue par le Lieutenant qui commandait le
régiment où était incorporé le futur Arlequin. Quant à la
troisième, « Les
Coquets Lieutenants »,
elle narre la défaite autrichienne. En somme, on voit la bataille de
Marengo du côté autrichien. C’est évidemment intéressant pour
nous qui avons l’habitude de voir ces histoires du côté français.
Ainsi
donc, je n’ai pas besoin de trop resituer l’affaire, reprend
Marco Valdo M.I. ; mais résumons cependant. Au matin, face à
face – mais quand même étalés entre le Piémont, le Milanais et
la Ligurie, près de Marengo : l’armée autrichienne sous le
commandement de
Michael Friedrich Benedikt von Melas, à ce moment
Feldmarschall du Saint Empire Romain Germanique, environ 30 000
hommes et l’armée française du Premier Consul Napoléon
Bonaparte, environ 22 000 hommes. À midi : victoire
autrichienne. Au soir : Bonaparte finit par l’emporter. Pour
le maréchal autrichien, c’est la déroute et la capitulation. Son
armée se replie vers l’Est au-delà du Mincio. Pendant ce temps,
notre futur Arlequin s’est planqué dans une grange à Marengo et
attend la nuit pour déserter, espérant qu’on le tiendrait pour
mort.
Oui,
répond Lucien l’âne, je savais vaguement tout cela, mais par
contre, je ne sais toujours rien de la chanson que tu viens de
versifier en français.
En
effet, dit Marco Valdo M.I., mais je vais combler cette lacune sur le
champ. Voici une quatrième chanson à propos de la bataille de
Marengo. Elle s’intitule « Mareng » ; c’est le
nom en piémontais du village de Marengo, actuellement Spinetta
Marengo, incorporé à la ville d’Alessandria. C’est la même
bataille de la mi-juin 1800, vue cette fois par les paysans de
Mareng. C’est une vision de spectateurs, fortement inquiets et
soucieux de se tenir à l’écart de la bataille, qui dans le fond,
ne les concerne pas. Sauf évidemment, si on se place d’un point de
vue plus général ; par exemple, celui qui transparaît à la
fin de la chanson :
« Vie
de paysan, terrible destin :
Les
combats des soldats venus de loin
Ont
détruit la vigne et les ceps sont écrasés.
Cet
automne, il faudra arracher les pieds et semer le blé. »
Il
y a là deux mondes qui se croisent sans jamais s’interpénétrer,
si ce n’est à la marge quand les paysans viennent aider les
soldats à remettre la charrette sur la route, comme ils l’auraient
fait pour n’importe quelle charrette en difficulté. Deux mondes :
le monde immobile, immédiat et en quelque sorte, apolitique, sans
État, car lié à la terre, le monde des paysans et celui
évanescent, toujours mouvant, assez hasardeux des États, des
nations, des institutions, un monde administratif et urbain. C’est
une autre version du « Cristo si è fermato a Eboli »,
roman écrit un siècle et demi plus tard par le Piémontais Carlo
Levi.
Oui,
dit Lucien l’âne, ce fut toujours ainsi partout. Les paysans
regardent passer les armées ; une fois dans un sens, une fois
dans l’autre ; ils regardent aussi tomber les bombes, ils
regardent brûler leurs villages, tuer leurs enfants ; puis, ils
reprennent leur vie et recommencent à choyer la terre, qui les fait
vivre. Xénophon racontait déjà cette histoire dans son Anabase ;
les armées finissent toujours par se dissoudre dans le paysage. Et
nous nous tissons le linceul de ce vieux monde guerrier, volatil,
évanescent, passager et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Les
ombres longues
des étés
lointains,
Les
odeurs
des terres rouges de Fraschette,
Les
clochers des villages,
le laïus
des cloches,
Et
tous ces gens
autour d’une charrette
De
soldats français avec ses
roues dans le trou.
« Donnons
un coup de main, poussons tous ensemble.
Attention
que les caisses ne tombent pas sur nous ;
Il
n’y a rien à
faire, c’est un vrai
problème. »
« Vite,
Félix va
chercher deux bœufs.
Écoutez
ces échos de Bormida, ce sont les canons.
Ces
Français sont pressés ; sous peu,
Sur
la grande route, il y aura de
l’animation. »
« Merci
messieurs ! »,
dit un officier
en passant ;
Il
remercie les paysans pour la charrette
Remise
sur le chemin ; éperonnant,
Il
repart vers la fusillade à l’Épinette.
La
musique des
fusils, la grosse
caisse des canons,
Le
boucan gronde toujours plus fort ;
La
campagne est devenue un grand sablon
Pour
une folle fête, la Foire de la Mort.
À
chaque instant, on
tue sur cette terre.
L’été
a mal commencé son voyage
Et
des soldats venant de Voguère
Au
pas de course, traversent
le village.
Les
escadrons
français
avancent sur la
route de Tortona :
Infanterie,
grenadiers, tirs de canon,
La
fanfare qui sonne la musique et la
confusion,
Et
Napoléon à
cheval au milieu
de tout ça.
La
tempête de la bataille approche.
« J’en
ai déjà vu tout un tas fuyant.
Femmes
courez aux écuries, à la cave !
Cachez-vous
bien, ne laissez
pas sortir les
enfants ! »
Un
nuage de cavaliers
sort d’un songe
Comme
des loups, hors de la broussaille.
Ils
viennent de Pozzolo vers Mandrogne :
Trompettes,
cris, lueurs,
sabres : bataille.
Vagues
de chevaux, tremblement de
terre,
Poussière
rouge plus haute que les mûres,
Bruit
de lames, horreurs de la guerre, jurons,
Jets
de sang, écume de rage et
destruction.
Puis,
un silence de mort couvre tout :
Les
lamentations des blessés, les cris de corneilles,
Les
fossés, les champs, les plantes, tout
Et
couleur sang, va mourir le soleil.
Vient
la nuit qui cache, le hibou
qui chante.
Les
sabots des chevaux qui courent, les derniers drapeaux,
Le
général tué dans la Vigne Sainte :
On
dit qu’il était jeune, on dit qu’il
était beau.
Vie
de paysan, terrible destin :
Les
combats des soldats venus de loin
Ont
détruit la vigne et les ceps sont écrasés.
Cet
automne, il faudra arracher les pieds et semer le blé.
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