LÉROS
Version
française – LÉROS – Marco Valdo
M.I. – 2019
d’après la traduction italienne de Riccardo Venturi – 2018
d’après la traduction italienne de Riccardo Venturi – 2018
Paroles :
Martha Frintzila
Musique : Vasilis Mantzoukis
Interprète : Martha Frintzila
Musique : Vasilis Mantzoukis
Interprète : Martha Frintzila
Léros,
ses moulins à vent, son château
médiéval
|
1.
Léros et son histoire.
L’île
de Léros, en grec Λέρος, dans le Dodécanèse et face à l’Asie
Mineure, a une histoire aussi longue que sa distance de la Grèce
continentale. Il est à cent nonante-six milles (317 kilomètres) du
Pirée, et il faut huit heures et demie pour s’y rendre par bateau.
Elle s’étend sur un peu plus de soixante-quatorze kilomètres
carrés et compte environ huit mille habitants. Au large de la côte
de Léros se trouve une autre petite île qui en fait partie,
Farmakonisi, l’île aux herbes médicinales, qui compte dix
habitants. À Léros, qui a toujours été un avant-poste, se trouve
un imposant château médiéval des Chevaliers de Saint-Jean,
probablement construit sur les ruines d’une forteresse byzantine.
Il s’appelle Léros depuis l’antiquité, un nom d’origine
inconnue et, selon toute vraisemblance, pré-grecque.
Une
longue, très longue histoire, comme peut-être la plus longue de
toutes les îles de la Méditerranée. Dans l’Antiquité, on disait
que c’était l’île de Parthénos Iokallis, la « Belle
Vierge des Violes », qui y était la déesse vénérée.
Pendant la guerre du Péloponnèse, comme l’a souligné Thucydide,
les baies et les ports de Léros étaient considérés comme très
importants ; Léros était un allié d’Athènes lointaine,
mais après la fin d’une des guerres qui reste sans conteste,
encore considérée des milliers d’années plus tard, parmi les
plus imbéciles de l’histoire, elle passa sous le contrôle
spartiate. Il y avait aussi un temple d’Artémis, c’est pourquoi
on l’appelle souvent « l’île d’Artémis ».
Au
fil des siècles, et après les périodes hellénistique et romaine,
elle fit partie de l’Empire byzantin. Au XIIIe siècle, elle fut
occupée par les Génois, puis par les Vénitiens, jusqu’en 1309,
date à laquelle elle fut conquise par les Chevaliers de Saint-Jean,
ou Hospitaliers, qui la fortifièrent. Près de deux siècles plus
tard, en 1505, l’amiral ottoman Kemal Reis (connu en Italie sous le
nom de "Camali" ou "Camalicchio") tente de
l’assiéger et de la conquérir avec trois galères et soixante-dix
autres navires de guerre, mais en vain. La légende raconte que le
seul chevalier de Saint-Jean qui survécut au siège, un jeune homme
de seulement dix-huit ans, fit porter aux femmes et aux enfants
l’armure et les armes des défenseurs morts, faisant ainsi croire
aux Ottomans que la garnison était encore forte. Le 24 décembre
1522, après le siège de Rhodes, un traité fut signé entre le
sultan Soliman et le Grand Maître des Chevaliers de Saint-Jean,
Philippe Villiers de L’Isle-Adam, ancêtre de l’écrivain
Auguste Villiers de l’Isle-Adam, prétendant légitime au trône de
Grèce [qu’il disait, car Jean-Marie-Mathias-Philippe-Auguste de
Villiers de L’Isle-Adam était un hâbleur ; d’ailleurs, ce
fut un excellent conteur, susurre Lucien l’âne], auteur des
« Contes cruels ». Avec ce traité, Léros et tous les
autres biens des Chevaliers Hospitaliers de la Mer Egée passèrent à
l’Empire Ottoman. Avec de brèves interruptions, Léros resta
ottoman pendant quatre siècles. Sous la domination ottomane, Léros
jouissait de prospérité et d’autonomie : c’était une île
privilégiée pour les Turcs, qui n’opprimaient pas du tout la
population grecque. Dans la pratique, les Ottomans ont donné aux
Lérites une forme d’autonomie gouvernementale. Avec la Révolution
grecque et la guerre d’indépendance de 1821, cependant, Léros fut
occupée par les Grecs et devint une base importante pour
l’approvisionnement de la marine hellénique, passant sous la
juridiction de la commission temporaire des Sporades orientales. Avec
le traité de Londres de 1830, cependant, l’île n’a pas été
assignée à l’État hellénique nouveau-né, et est passée de
nouveau à l’Empire ottoman. Aucune vengeance n’a été prise par
les Turcs : comme auparavant, le conseil d’administration de
Léros a été formé à parts égales par des Grecs et des Turcs.
Tout
cela jusqu’en 1912, date à laquelle Léros, avec toutes les autres
îles du Dodécanèse, sauf Kastellorizo ou Castelrosso, fut occupée
par les Italiens après la guerre italo-turque, ou « Guerre de
Libye ». Le 12 mai 1912, Léros fut pris par les marins du
cuirassé « San Giorgio ». Les habitants grecs de l’île
déclarèrent leur autonomie sous le nom d’« État égéen »,
en vue d’une future réunification avec la Grèce promise par les
Italiens ; mais au début de la première guerre mondiale, tout
restait lettre morte et l’Italie garda le contrôle du Dodécanèse.
Cependant, de 1916 à 1918, Léros servit de base navale aux
Britanniques ; selon l’accord Venizelos-Tittoni de 1919, l’île
devait être rendue à la Grèce avec tous les Dodécanésiens sauf
Rhodes ; mais, après la défaite grecque de 1922 dans la guerre
gréco-turque, cet accord fut annulé et le Dodécanèse resta
italien.
Le
régime fasciste a tenté d’italianiser de force le Dodécanèse en
rendant obligatoire l’usage de la langue italienne, en encourageant
la population locale à acquérir la nationalité italienne et en
réprimant les institutions grecques. Pendant les 31 années de
domination italienne sur Léros, des fortifications ont été
construites en raison de la position stratégique de l’île et de
ses grands ports naturels (le plus grand d’entre eux, Lakki, en
italien Portolago, est le plus grand port en eau profonde en
Méditerranée). En pratique, Léros est entièrement militarisée :
avec sa transformation en une grande base navale, l’Italie prend le
contrôle d’une zone d’intérêt vital pour les Alliés (Égée,
Dardanelles et Proche-Orient). Mussolini appelait Léros « le
Corregidor de la Méditerranée ». La grande base navale de
Portolago / Lakki a été achevée en 1930 : elle a également
pris place dans l’histoire de l’art, comme l’un des meilleurs
exemples de l’architecture rationaliste italienne. On dit que
Mussolini avait aussi fait construire une maison à Lakki, on voit
ainsi qu’il aimait l’île.
À
partir de 1940, lorsque l’Italie fasciste « brisa les reins
de la Grèce » – pour ainsi dire – avec « l’aide
minuscule des alliés nazis », la base navale de Léros fut
bombardée à plusieurs reprises par la Royal Air Force. Le résultat
fut très peu enviable : c’est, après la Crète, l’île
méditerranéenne qui subit le plus de bombardements pendant la
seconde guerre mondiale. Le 8 septembre 1943, avec l’Armistice et
l’effondrement total des forces armées italiennes, Léros passe
aux Alliés, avec l’arrivée de renforts importants comme sur
toutes les autres îles du Dodécanèse. C’était intolérable pour
les Allemands, qui à leur tour commencèrent à déverser une pluie
de bombardements sur Léros. Le navire amiral de la marine grecque,
la reine Olga, fut coulé à Portolago par les Allemands le 26
septembre 1943, en même temps que l’Intrepid britannique ;
entre le 12 et le 16 novembre 1943, avec l’opération Taifun, Léros
fut conquis par les Allemands du Bataillon aéroporté du
Brandenbourg, soutenus par les interventions massives de la
Luftwaffe. Léros resta sous occupation allemande jusqu’à la fin
de la guerre.
2.
Après la guerre. L’asile, le camp, les immigrants.
Après
la guerre, Léros a connu une histoire à la fois différente et
identique. Après la défaite allemande et l’évacuation qui
s’ensuivit, l’île passa sous administration britannique directe
jusqu’au 7 mars 1948. Ce jour-là, les Britanniques, qui avaient
résolument soutenu les forces anticommunistes grecques dans la
guerre civile, ont remis Léros et toutes les autres îles du
Dodécanèse à la Grèce, un retour de Léros après sept cents ans
d’une île très éloignée, et bien défendue par la nature.
L’usage qui en sera fait par l’État hellénique sera, d’une
part, « historique », une base navale (utilisant la base
italienne préexistante) et, d’autre part, une toute nouvelle :
elle sera utilisée comme un hôpital psychiatrique. En 1959, le plus
grand asile de Grèce fut établi à Léros, utilisant en partie
d’anciennes installations militaires italiennes, et l’île devint
ainsi l’« île des fous », détenus loin à l’écart
et dans des conditions inimaginables (ou peut-être terriblement
imaginables). Bientôt, des centaines de patients psychiatriques ont
été internés à Léros, maintenus en isolement et constamment
enchaînés ou en contention. Le 21 avril 1967, avec le coup d’État
des colonels, arrive et la Junte (Χούντα) décide d’ajouter à
l’asile un joli camp de concentration pour les opposants, profitant
de l’ancienne caserne italienne ; et c’est ainsi que Léros
devient aussi une île-lager pour des centaines d’antifascistes
grecs. Parmi les prisonniers de Léros, il y eut le poète Yannis
Ritsos. En 1974, le camp de Léros a été démantelé, mais pas
l’asile.
En
1989, Léros revient à l’avant-plan de l’actualité
internationale. Un scandale a éclaté, d’abord lié à la
découverte de détournements de fonds alloués au centre
psychiatrique, par les dirigeants nommés par l’État (l’asile de
Léros est une institution de santé publique). Bientôt, cependant,
le scandale s’est étendu aux mauvais traitements répétés
infligés aux internés, qui ont été maintenus dans des conditions
épouvantables pendant que les dirigeants volaient à tours de bras.
Le scandale est énorme, entraînant à la fois une relative
« amélioration » et une réduction de la taille de
l’asile à un maximum de 200 personnes ; mais, en juin 2009,
un reportage de la BBC montre que tous les changements prévus n’ont
pas été effectués, et à ce moment, nous sommes déjà dans la
crise grecque. Mais ce n’est pas tout.
En
décembre 2015, le gouvernement grec alors au pouvoir, qui est déjà
le gouvernement « de gauche » de Syriza et Alexis
Tsipras, le ministre de la Politique migratoire Ioannis Mouzalas, en
accord avec le maire de Léros, Michalis Kolias, décide de
construire sur l’île un camp de réfugiés, un « hot spot »
pour environ 1000 réfugiés fuyant la Syrie et autres pays. Où est
construit ce camp de réfugiés ? Exactement dans les locaux de
l’asile, déjà connu comme « Le coupable secret de
l’Europe », selon les termes du journaliste britannique John
Merritt (dans son article publié le 10 septembre 1989 dans le London
Observer). Le camp de réfugiés est situé à Lepida, à côté de
l’asile où environ 200 patients sont encore détenus dans de
petits centres de réhabilitation. En 2015, donc, on recommence à
parler de l’asile de Léros, apprenant que, depuis 1959, environ
trois mille patients y sont morts dans des conditions très
difficiles. Entre 1967 et 1974, environ quatre mille déportés
politiques sont passés par les mêmes zones de l’asile. L’asile
et le camp de réfugiés existent toujours.
3.
La chanson.
La
chanson est consacrée, sans conteste, aux événements de l’asile
de Léros. Il n’y a pas de mention directe des prisonniers
politiques de la junte des Colonels. Les vers sont de Martha
Frintzila. Il est possible que la chanson ait été écrite vers
1989, lorsque le scandale des fonds et des conditions de l’asile de
Léros a éclaté. La chanson les décrit évidemment, même avec le
couplet final troublant. Cependant, il n’est pas exclu que ce
qu’elle dit vous fasse aussi penser aux déportés politiques des
années de la Junte, comme il est possible que l’écouter
aujourd’hui puisse faire penser aux réfugiés enfermés à Léros.
Malheureusement, je ne peux en dire plus.
Quant
à Martha Frintzila, elle est née à Elefsina le 7 avril 1972. En
plus d’être chanteuse, elle est actrice, scénographe et
professeur d’art dramatique à l’École dramaturgique du Théâtre
national d’Athènes.
Léros
est une île sauvage, venteuse et magnifique. Elle
a encore ses moulins à vent. Comme presque toutes les îles de la
mer Égée,
c’est actuellement une destination touristique de première classe,
comme Lesbos,
comme Lampedusa.
[RV]
Dans
les lits,
Les
gars, anéantis,
Ont
des chaînes à la nuque
Et
l’âme dans les yeux ;
Ils
ont un nuage à la nuque
Et
l’âme dans les yeux.
Ils
sortent pour jouer
dans
la cour en béton,
Avec
les pieds liés ;
Et
pourtant ils arrivent à courir
Avec
les pieds liés
Et
pourtant ils arrivent à courir.
Du
pain par terre,
L’eau
âpre en bouche,
Le
fleuve,
Le
pont,
Tout
change de couleur ;
Le
fleuve,
Le
pont,
Tout
change de couleur.
On
les conduit en rang,
Par
la main, à la plage.
Les
livres l’ont écrit,
Les
anges l’ont dit.
Les
livres l’ont écrit,
Les
anges l’ont dit.
Les
petits yeux l’ont vu
Et
l’aube, quand il fait jour,
Le
couteau porté au rouge,
Les
têtes seront coupées,
Le
couteau porté au rouge,
Les
têtes seront coupées.
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