samedi 30 novembre 2019

Les Fontaines jumelles

Les Fontaines jumelles


Chanson française – Les Fontaines jumelles – Marco Valdo M.I. – 2019

ARLEQUIN AMOUREUX – 26

Opéra-récit historique en multiples épisodes, tiré du roman de Jiří Šotola « Kuře na Rožni » publié en langue allemande, sous le titre « VAGANTEN, PUPPEN UND SOLDATEN » – Verlag C.J. Bucher, Lucerne-Frankfurt – en 1972 et particulièrement de l’édition française de « LES JAMBES C’EST FAIT POUR CAVALER », traduction de Marcel Aymonin, publiée chez Flammarion à Paris en 1979.




Dialogue Maïeutique

Tiens, dit Lucien l’âne, voici encore un titre assez énigmatique. Que peuvent être ces fontaines jumelles ? D’où coulent-elles ? Où est leur source ?

À cela, rétorque Marco Valdo M.I., il est facile de te répondre, mais t’y répondre immédiatement serait en quelque sorte déflorer l’histoire, lui enlever tout son mystère.

Donc, si je comprends ce que tu me dis, enchaîne Lucien l’âne, tu vas me narrer – un peu, pas trop – l’histoire que raconte cette chanson. Et pourquoi pas ? Moi, je ne demande pas mieux.

C’est ça que j’avais en tête, Lucien l’âne mon ami ; c’était précisément ce que j’avais l’intention de faire, non sans d’abord avoir fait un petit retour sur ce qui a précédé.

Pourquoi, Marco Valdo M.I. mon ami, veux-tu à nouveau raconter cette épouvantable et sordide mésaventure de Barbora. Pourquoi insister alors que tu en as déjà fait écho ?

Je sais, Lucien l’âne mon ami, à l’ordinaire, on passe sur ces questions, on évite d’en reparler. Par pudeur ? Mais c’est fausse pudeur, c’est plutôt par embarras. Moi, si j’en reparle, si j’insiste si lourdement, si je répète (Le Coq aveugle, L’Ombre du Régiment, La Morte Eau), c’est que justement, l’affaire se réplique quotidiennement, depuis des jours et des jours et que Barbora doit subir ce supplice depuis des jours et des jours et qu’il dure et qu’il se répète. Comprends-tu ça ? On voudrait l’ignorer, on voudrait l’oublier, un peu comme le fait la mère de Barbora et comme le fait une grande partie du village, autorités comprises. Je veux faire traîner pour faire sentir ce qui traîne ; pour faire comprendre que c’est coupable négligence que cette non-assistance à personne en danger, que c’est complicité de ne rien dire, de ne rien faire.

Ah, dit Lucien l’âne, je vois et je t’approuve totalement, même si elle me fait mal au cœur cette affaire, même si elle me donne la nausée.

À moi aussi, reprend Marco Valdo M.I., et de ce fait, il m’est bien pénible de la raconter, mais il le faut. Donc, il y a eu, et c’était un moment-clé, le mariage de Lukas, le frère cadet de Matěj, avec Rosalie, la veuve du savetier et la mère de Barbora. Dès le départ, ce mariage bat de l’aile et tourne rapidement à l’aigre. D’autant plus que la nuit-même de ses noces, Lukas a violé Barbora et que depuis, il a pris goût à la chose et a instauré une routine crapuleuse ; une sorte de rite « familial » : chaque soir, après avoir accompli le devoir conjugal, il se relève et s’en va violer une fois de plus, la jeune fille. Au retour, il honore une fois encore Rosalie, qui sait tout, laisse faire. Soumise à un tel traitement, Barbora n’en peut plus de peur et de honte et elle sombre dans une profonde dépression, elle se traîne mélancolique dans sa propre existence. Matthias ne soupçonne rien – rappelle-toi que les faits se déroulent en dehors de sa vue et que d’autre part, il ne parle à personne ; tout le village – ou presque, car il y a des bébés innocents – est au courant, mais lui, il vit sa vie d’ermite. La seule personne qu’il voit et à qui il peut parler, c’est précisément, Barbora. Cependant, Matthias se tracasse de voir cette enfant s’enfoncer dans la mutitude et dépérir sur pied. Il pense :

« Qu’a cet enfant ?, pense Matthias inquiet.
Elle fond comme neige, elle se tait,
Elle ne peut plus lever un seilleau ;
Elle se meurt, c’est une morte eau. »

Jusque-là, opine Lucien l’âne, j’avais suivi.

Arrivé à ce point de la réflexion, continue Marco Valdo M.I., Matthias n’en peut plus et, en dépit de toute sa délicatesse et de toute sa réserve, il se décide à questionner Barbora pour savoir la cause de son mutisme et aussi pour, s’il le peut, la consoler et l’aider à sortir de son marasme.

Oh, dit Lucien l’âne, je l’imagine, car Arlequin a bon cœur et l’âme solidaire. J’ai aussi l’impression que bien que rien ne soit dit, il sent que la jeune fille recherche son aide et son assistance.

Aide et protection, sans doute, reprend Marco Valdo M.I., mais elle n’ose en parler tant elle a peur, tant elle a honte. Cependant, en dépit de sa réticence à entrer dans une relation d’assistance qu’il pressent fort pesante, un soir, Matthias s’en va l’attendre dans sa soupente pour avoir avec elle une conversation. C’est cette conversation que voulait raconter la chanson, mais à ce moment, Lukas arrive pour opérer son viol quotidien et passe sans tarder à l’action. Matthias, au début, ne comprend rien à ce qui se trame. Barbora crie son nom et l’appelle au secours et une voix intérieure – celle d’Arlecchina murmure à Matthias : « Arlecchino, tu ne peux rester spectateur ! ». Alors, Arlecchino entre dans cette danse malsaine pour y mettre brusquement fin. D’un vigoureux coup de point, il écrase le nez de Lukas d’où s’écoulent ces deux fontaines jumelles – une pour chaque narine ; deux fontaines de sang que Lukas recueille dans ses mains. Puis, Matthias le chasse de la soupente et renvoie le blessé chez sa femme.

Voilà qui est bien, dit Lucien l’âne. Mais quelles en seront les conséquences ?

Les conséquences ?, dit Marco Valdo M.I. ; c’est ce qu’Arlequin a compris immédiatement et sait qu’il va falloir à nouveau fuir sous peine de dénonciation. Il voit aussi qu’il ne peut abandonner Barbora en cet endroit ; même s’il le devine, on pourrait l’accuser de viol et d’enlèvement.

« Barbora, ma fille, va-t’en dormir.
Tôt demain, il nous faudra partir. »

Oui, dit Lucien l’âne, il n’y a rien d’autre à faire. En bonne logique, il faudrait porter plainte, il faudrait aller dénoncer le violeur, il faudrait faire confiance à la justice ; enfin, c’est ce qu’il faudrait faire aujourd’hui. Mais Matěj est déserteur et ne peut se montrer au grand jour ; alors, tu as raison, il ne lui reste qu’à fuir et à emmener Barbora, même si tout ça aggrave son cas. Ainsi va sa vie, ainsi va sa destinée ; un drôle d’animal que le destin. Enfin, tissons le linceul de ce vieux monde malsain, frelaté, faisandé, fétide, infect et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Lukas en propriétaire tout puissant,
Lukas vit son règne mélancolique,
Lukas savoure sa bigamie domestique,
Lukas est content.

Dans la soupente, Matthias attend.
Barbora arrive à minuit.
Matthias lui parle très doucement :
« Barbora, on dirait que tu as peur ici. »

Oui, Monsieur Po, oui, Monsieur Li,
Oui, Monsieur Chi,
Oui, Monsieur Nelle,
Oui, Monsieur Polichinelle.

Lukas entre dans la pièce assombrie.
« Que viens-tu faire, Lukas ? » « Vois ! »
Lukas prend par les cheveux la fille,
La couche et s’abat sur elle comme un drap.

Matthias, sans voix, muet, voit l’horreur.
Soudain, la fille crie ; du fond de sa terreur,
Elle appelle Matthias au secours et pleure.
« Arlecchino, tu ne peux rester spectateur ! »

Oui, Monsieur Po, oui, Monsieur Li,
Oui, Monsieur Chi,
Oui, Monsieur Nelle,
Oui, Monsieur Polichinelle.

Alors, Matthias cogne avec fureur.
Du poing, il fracasse le nez du violeur,
Le sang jaillit en fontaines jumelles.
À l’écart, Barbora sanglote et chancelle.

« Rentre chez toi, Lukas, avale ton sang.
Retourne chez ta femme, elle t’attend.
Barbora, ma fille, va-t’en dormir.
Tôt demain, il nous faudra partir. »

Oui, Monsieur Po, oui, Monsieur Li,
Oui, Monsieur Chi,
Oui, Monsieur Nelle,
Oui, Monsieur Polichinelle.

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