Les
Fontaines jumelles
Chanson
française – Les Fontaines jumelles – Marco Valdo M.I. – 2019
ARLEQUIN
AMOUREUX – 26
Opéra-récit
historique en multiples épisodes, tiré du roman de Jiří Šotola
« Kuře na Rožni » publié en langue allemande, sous le
titre « VAGANTEN, PUPPEN UND SOLDATEN » – Verlag C.J.
Bucher, Lucerne-Frankfurt – en 1972 et particulièrement de
l’édition française de « LES JAMBES C’EST FAIT POUR
CAVALER », traduction de Marcel Aymonin, publiée chez
Flammarion à Paris en 1979.
Dialogue
Maïeutique
Tiens,
dit Lucien
l’âne,
voici
encore un titre assez énigmatique. Que peuvent être ces fontaines
jumelles ? D’où coulent-elles ? Où est leur source ?
À
cela,
rétorque Marco Valdo M.I., il est facile de te répondre, mais t’y
répondre immédiatement serait en quelque sorte déflorer
l’histoire, lui enlever tout son mystère.
Donc,
si je comprends ce que tu me dis, enchaîne Lucien l’âne, tu vas
me narrer – un peu, pas trop – l’histoire que raconte cette
chanson. Et pourquoi pas ? Moi, je ne demande pas mieux.
C’est
ça que j’avais en tête, Lucien l’âne mon ami ; c’était
précisément ce que j’avais l’intention de faire, non sans
d’abord avoir fait un petit retour sur ce qui a précédé.
Pourquoi,
Marco Valdo M.I. mon ami, veux-tu à nouveau
raconter
cette épouvantable et sordide mésaventure de Barbora. Pourquoi
insister alors que tu en as déjà fait écho ?
Je
sais, Lucien l’âne mon ami, à l’ordinaire, on passe sur ces
questions, on évite d’en reparler. Par pudeur ? Mais c’est
fausse pudeur, c’est plutôt par embarras. Moi, si j’en reparle,
si j’insiste si lourdement, si je répète (Le
Coq aveugle,
L’Ombre
du Régiment,
La
Morte Eau),
c’est
que justement, l’affaire se réplique quotidiennement, depuis des
jours et des jours et que Barbora doit subir ce supplice depuis des
jours et des jours et qu’il dure et qu’il se répète.
Comprends-tu ça ? On voudrait l’ignorer, on voudrait
l’oublier, un peu comme le fait la mère de Barbora et comme le
fait une grande partie du village, autorités comprises. Je veux
faire traîner pour faire sentir ce qui traîne ; pour faire
comprendre que c’est
coupable négligence que cette non-assistance à personne en danger,
que
c’est complicité de ne rien dire, de ne rien faire.
Ah,
dit Lucien l’âne, je vois et je t’approuve totalement, même
si elle me fait mal au cœur cette affaire, même si elle me donne la
nausée.
À
moi aussi,
reprend Marco Valdo M.I., et
de ce fait, il m’est bien pénible de la raconter, mais il le faut.
Donc,
il
y a eu, et
c’était un moment-clé, le mariage de Lukas, le frère cadet de
Matěj,
avec
Rosalie, la veuve du savetier et la mère de Barbora. Dès le départ,
ce mariage bat de l’aile et tourne rapidement à l’aigre.
D’autant plus que
la nuit-même de ses noces, Lukas a violé Barbora et
que depuis, il a pris goût à la chose et a instauré une routine
crapuleuse ; une sorte de rite « familial » :
chaque soir, après avoir accompli le devoir conjugal, il se relève
et s’en va violer une fois de plus, la jeune fille. Au
retour, il honore une fois encore Rosalie,
qui sait tout, laisse faire. Soumise à un tel traitement, Barbora
n’en peut plus de peur et de honte et elle sombre dans une profonde
dépression, elle se traîne mélancolique dans sa propre existence.
Matthias
ne soupçonne rien – rappelle-toi que les faits se déroulent en
dehors de sa vue et que d’autre part, il ne parle à personne ;
tout le village – ou presque, car
il
y a des bébés innocents
– est au courant, mais lui, il vit sa vie d’ermite. La seule
personne qu’il voit et à qui il peut parler, c’est précisément,
Barbora. Cependant, Matthias se tracasse de voir cette enfant
s’enfoncer
dans la mutitude et dépérir sur pied. Il
pense :
« Qu’a
cet enfant ?, pense Matthias inquiet.
Elle
fond comme neige, elle se tait,
Elle
ne peut plus lever un seilleau ;
Elle
se meurt, c’est une morte eau. »
Jusque-là,
opine Lucien l’âne, j’avais suivi.
Arrivé
à ce point de la réflexion, continue Marco Valdo M.I., Matthias
n’en peut plus et, en dépit de toute sa délicatesse et de toute
sa réserve, il se décide à questionner Barbora pour savoir la
cause de son mutisme et aussi pour, s’il le peut, la consoler et
l’aider à sortir de son marasme.
Oh,
dit Lucien l’âne, je l’imagine,
car Arlequin a bon cœur et l’âme solidaire. J’ai aussi
l’impression que bien que rien ne soit dit, il
sent que
la jeune fille
recherche son aide et son assistance.
Aide
et protection, sans doute, reprend Marco Valdo M.I., mais elle n’ose
en parler tant elle a peur, tant elle a honte. Cependant, en dépit
de sa réticence à entrer dans une relation d’assistance qu’il
pressent fort pesante, un soir, Matthias s’en va l’attendre dans
sa soupente pour avoir avec elle une conversation. C’est cette
conversation que voulait raconter la chanson, mais à ce moment,
Lukas arrive pour opérer son viol quotidien et passe sans tarder à
l’action. Matthias, au début, ne comprend rien à ce qui se trame.
Barbora crie son nom et l’appelle au secours et une voix intérieure
– celle d’Arlecchina murmure à
Matthias :
« Arlecchino,
tu ne peux rester spectateur ! ». Alors,
Arlecchino
entre dans cette danse malsaine pour y mettre brusquement fin. D’un
vigoureux coup de point, il écrase le nez de Lukas d’où
s’écoulent ces deux fontaines jumelles – une pour chaque
narine ; deux fontaines de sang que Lukas recueille dans ses
mains. Puis, Matthias le chasse de la soupente et renvoie le blessé
chez sa femme.
Voilà
qui est bien, dit Lucien l’âne. Mais quelles en seront les
conséquences ?
Les
conséquences ?, dit Marco Valdo M.I. ; c’est ce
qu’Arlequin a compris immédiatement et sait qu’il va falloir à
nouveau fuir sous peine de dénonciation. Il voit aussi qu’il ne
peut abandonner
Barbora en cet endroit ; même
s’il le devine, on pourrait l’accuser de viol et d’enlèvement.
« Barbora,
ma fille, va-t’en dormir.
Tôt
demain, il nous faudra partir. »
Oui,
dit Lucien l’âne, il n’y a rien d’autre à faire. En bonne
logique, il faudrait porter plainte, il faudrait aller dénoncer le
violeur, il faudrait faire confiance à la justice ; enfin,
c’est ce qu’il faudrait faire aujourd’hui. Mais Matěj est
déserteur et ne peut se montrer au grand jour ; alors, tu as
raison, il ne lui reste qu’à fuir et à emmener Barbora, même
si tout ça aggrave son cas.
Ainsi va sa vie, ainsi va sa destinée ; un drôle d’animal
que le destin. Enfin, tissons le linceul de ce vieux monde malsain,
frelaté, faisandé, fétide, infect et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Lukas
en propriétaire tout puissant,
Lukas
vit son règne mélancolique,
Lukas
savoure sa bigamie domestique,
Lukas
est content.
Dans
la soupente, Matthias attend.
Barbora
arrive à minuit.
Matthias
lui parle très doucement :
« Barbora,
on dirait que tu as peur ici. »
Oui,
Monsieur Po, oui, Monsieur Li,
Oui, Monsieur Chi,
Oui, Monsieur Nelle,
Oui, Monsieur Polichinelle.
Oui, Monsieur Chi,
Oui, Monsieur Nelle,
Oui, Monsieur Polichinelle.
Lukas
entre dans la pièce assombrie.
« Que
viens-tu faire, Lukas ? » « Vois ! »
Lukas
prend par les cheveux la fille,
La
couche et s’abat sur elle comme un drap.
Matthias,
sans voix, muet, voit l’horreur.
Soudain,
la fille crie ; du fond de sa terreur,
Elle
appelle Matthias au secours et pleure.
« Arlecchino,
tu ne peux rester spectateur ! »
Oui,
Monsieur Po, oui, Monsieur Li,
Oui, Monsieur Chi,
Oui, Monsieur Nelle,
Oui, Monsieur Polichinelle.
Oui, Monsieur Chi,
Oui, Monsieur Nelle,
Oui, Monsieur Polichinelle.
Alors,
Matthias cogne avec fureur.
Du
poing, il fracasse le nez du violeur,
Le
sang jaillit en fontaines jumelles.
À
l’écart, Barbora sanglote et chancelle.
« Rentre
chez toi, Lukas, avale ton sang.
Retourne
chez ta femme, elle t’attend.
Barbora,
ma fille, va-t’en dormir.
Tôt
demain, il nous faudra partir. »
Oui,
Monsieur Po, oui, Monsieur Li,
Oui, Monsieur Chi,
Oui, Monsieur Nelle,
Oui, Monsieur Polichinelle.
Oui, Monsieur Chi,
Oui, Monsieur Nelle,
Oui, Monsieur Polichinelle.
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