LA
TEMPÊTE EST ARRIVÉE
Version
française – LA TEMPÊTE EST ARRIVÉE – Marco Valdo M.I. – 2019
Chanson
italienne – È
arrivata la bufera – Renato
Rascel – 1939
La Tempête arrive
Jean-François Millet - 1867 |
« La
Bufera » est née en Afrique de l’Est lorsque Rascel
rencontra Italo Balbo, alors gouverneur de la Libye. Renato lui posa
la question que tous les Italiens avaient sur les lèvres :
« L’Italie va-t-elle entrer en guerre aux côtés de l’allié
allemand ? » Balbo répondit avec un parfait accent
émilien : « Maintenant comprenez-moi bien, M. Rascel, si
l’Italie fait la guerre à Hitler, moi je me coupe les … »
Rascel est retourné en Italie et a dit à tout le monde de se
rassurer, mais quand la guerre est arrivée, il n’a pas eu d’autre
choix que de chanter « La tempête est
arrivée / La bourrasque
est arrivée / On
va mal et on
va bien / Et on
va comme ça vient… ».
(Giancarlo Governi in
"TuttoRascel", Roma, Gremese, 1993)
En
effet, en 1939, lors d’une pause dans sa
loge, Renato Rascel écrivit
soudain les premiers vers de ce qui ressemble à une de ses comptines
surréalistes :
« La tempête est arrivée / La
bourrasque est arrivée / On
va mal et on
va bien / Et on
va comme ça vient… »,
que le public accueille avec un rire général et libérateur, comme
pour atténuer l’épaisseur d’une nouvelle guerre européenne, à
quoi les mots du chant semblent même voilé.
Dialogue
Maïeutique
« La
Tempête est arrivée » est, Lucien l’âne mon ami, une
chanson italienne de 1939 et une chanson pas du tout clandestine. On
la classe généralement dans les « chansons
de la fronde », qui faisaient sonner de petites notes
discordantes dans le grand concert fasciste.
Eh
bien oui, dit Lucien l’âne, une chanson de 1939 en Italie. Ce ne
devait pas être la seule chanson qu’on entendait alors, il me
semble.
Pour
ça, tu as parfaitement raison, répond Marco Valdo M.I. et même, il
y en avait beaucoup et les chansons étaient même fort appréciées
du régime en place ; enfin, la plupart des chansons, car elles
avaient comme usage de mettre de l’ambiance, du sentiment, de
focaliser l’attention des gens sur des thèmes d’une grande
innocuité, de créer un courant d’unanimité, de susciter une
ambiance de cohésion et de sympathie, un sentiment partagé d’être
« tous comme tout le monde » et pour certaines d’entre
elles, de faire la propagande du système – carrément ou de façon
un peu plus larvée. Donc, bien sûr, on chantait sous le fascisme,
comme d’ailleurs, on chante sous tous les régimes avec les mêmes
effets. Et sous tous les régimes, outre les raisons que je viens
d’évoquer, il en est une qui vaut la peine qu’on s’y arrête.
Je la formule sous la forme interrogative : « Que peut
faire un chanteur sous un régime qu’il n’aime pas ou même,
qu’il exècre ? » Il peut fuir et s’exiler, me
dira-t-on ; et ça s’est vu. Mais il ne le fera pas tout de
suite. Donc, il faut d’abord prendre en compte la dimension
temporelle. On ne passe pas du jour au lendemain (ou du moins, ce fut
le cas de l’Italie fasciste) de la liberté à la répression pure
et dure. Le régime s’installe progressivement et pendant ce temps,
les chanteurs chantaient dans les salles de spectacle, dans les rues,
dans les cabarets, les radios diffusaient.
Oui
sans doute, Marco Valdo M.I. mon ami, les musiciens musiquaient, les
écrivains écrivaient et même, pour certains, usaient de leur art
pour combattre le système. Ce n’est que par la suite qu’une
censure s’installe et que parallèlement, l’autocensure commence
à moduler les voix et les chansons. Pour certains, la question est
comment se faire bien voir et être dans la ligne ; pour
d’autres, la question est comment chanter quand même, sans se
déjuger, sans en quelque sorte se renier et sans collaborer, comment
aller au plus loin dans son expression artistique sans encourir
(trop) les foudres des autorités. Évidemment, la définition du
« trop » va en se resserrant au fur et à mesure que le
pouvoir s’intoxique de sa propre importance et développe son
intolérance. Dès lors, pour l’artiste, la chose n’est pas
simple, car elle est très évanescente et sujette à d’infinies
variations. Mais précisément, qu’en est-il de cette histoire de
tempête ?
Oh,
Lucien l’âne mon ami, ce n’est pas simple à exposer. D’abord,
parce que nous ne sommes plus en 1939 et que donc, ce qui était
perçu immédiatement dans ces moments – l’imminence de la guerre
et le sens de l’allusion : « la tempête », ne
l’est plus aujourd’hui. Il est actuellement peu probable que
toute l’Italie soit appelée sous les drapeaux demain matin pour
cause de guerre ; il est peu probable – à court terme –
qu’elle s’élance à la conquête militaire de l’Afrique et à
la construction d’un Impero qui irait jusqu’en Inde. Il est peu
probable qu’à court terme, l’Allemagne envahisse militairement
la Pologne ou se relance militairement à la conquête de l’Europe.
Mais donc, quand même, on peut penser que, quelle que fut l’opinion
d’une personne qui vivait dans l’Italie d’alors, il était
évident – pour n’importe qui sous la houlette du Duce – que la
« bufera », la « tempête » était la guerre
toute proche. À partir de là, les interprétations sont multiples.
Ce qui est certain, ce qu’on peut voir assurément, c’est ce que
la chanson dit et ce qu’elle ne dit pas, ce qu’elle s’efforce
de faire comprendre et ce qu’elle entend occulter, à commencer par
elle-même qu’elle se doit de faire entendre et en même temps, de
dissimuler aux oreilles des censeurs. Et le résultat de tout cet
embrouillamini, c’est qu’ainsi, peut-être même sans le vouloir,
la chanson génère le doute, c’est qu’ainsi elle force à se
poser la question de sa signification. Et ça, en soi, est déjà une
mise en question et toute mise en question est une mise en question
du système ; et dans un système autoritaire, fondé sur
l’autocertitude sans cesse réaffirmée, une mise en question –
répétée autant de fois que la chanson sera chantée et perçue,
c’est autant de remises en question, c’est quasi de
l’insubordination, c’est déjà un acte (multiple) de résistance.
« Ora
e sempre, Resistenza ! » : ça crée des lézardes
dans les fondations.
Oh,
dit Lucien l’âne, des lézardes dans les fondations, ça peut
entraîner l’écroulement de la maison. Certes, il en faut
beaucoup, il faut qu’elles grandissent ou à tout le moins,
qu’elles s’étendent et se multiplient. Mais, tu as raison, c’est
souvent comme ça avec la chanson, quand elle laisse sonner l’impertinence de sa voix – et comment pourrait-elle s’en
empêcher, sauf à ne plus se chanter ? Quant à nous, tissons
le linceul (encore et toujours) de ce vieux monde caduc,
autoencenseur, suffisant, fier, arrogant, fat, sot snob et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Quand
du haut du ciel, le soir tombe
Et
la tempête gronde,
Le
printemps est fini,
La
fauvette ne chante pas,
Elle
vous salue et s’en va.
L’eau
tombe et mouille tout le monde,
Beaux,
laids, grands, petits,
Pour
les militaires, c’est moitié prix …
Sous
l’eau qui verse, qui bat et qui transperce,
Inquiet,
Pierino a ses souliers qui percent.
La
tempête est arrivée,
La
bourrasque est arrivée :
On
va mal et on va bien,
Et
on va comme ça vient…
Dans
la nuit profonde,
Il
semble qu’on lui ait dit, mais on ne lui avait rien dit.
Et
alors même si on lui avait dit,il n’avait pas entendu, lui.
Vous
savez comment ça va ces choses-là, ces choses-ci.
La
tempête est arrivée,
La
bourrasque est arrivée,
Sans
légumes, sans poivre, sans sel,
On
ne fait pas la soupe aux vermicelles.
Dans
son doux petit lit ,
Pierino
est endormi
Et
son oncle de Voghera
Danse
la habanera
Alors
que gronde la tempête
Son
père est mineur.
Et
chaque jour bat son cœur
Mais
si un jour, il s’arrête
Certainement,
il se pourrait peut-être, qu’il meure…
La
tempête est arrivée,
La
bourrasque est arrivée :
On
va mal et on va bien,
Et
on va comme ça vient…
Un
homme fait le saut de la mort et se surpasse ;
Son
père l’embrasse, son père l’embrasse,
Lui
donne un autre baiser
Et
une tape sur le nez ;
Puis
un autre baiser,
Puis
rien que de penser à ça,
Il
lui donne une autre tape sur le nez.
Et
puis s’en va.
La
tempête est arrivée,
La
bourrasque est arrivée :
On
va mal et on va bien,
Et
on va
comme ça vient…
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