L’Errance
Chanson
française – L’Errance – Marco Valdo M.I. – 2019
ARLEQUIN
AMOUREUX – 3 ter
Opéra-récit
historique en multiples épisodes, tiré du roman de Jiří Šotola
« Kuře na Rožni » publié en langue allemande, sous le
titre « VAGANTEN, PUPPEN UND SOLDATEN » – Verlag C.J.
Bucher, Lucerne-Frankfurt – en 1972 et particulièrement de
l'édition française de « LES JAMBES C'EST FAIT POUR
CAVALER », traduction de Marcel Aymonin, publiée chez
Flammarion à Paris en 1979.
Dialogue
Maïeutique
L’Errance,
dit Lucien l’âne, je connais ça ; je la pratique depuis la
plus haute Antiquité et même avant – peut-être. Mais quel
merveilleux titre que l’errance et surtout quel moteur de
l’aventure et du récit. Et de l’histoire ; oui, de
l’Histoire, car elle est au cœur de l’Histoire et même de la
Préhistoire. L’errance, c’est le destin des vivants ; ils
ne font rien d’autre que d’errer, d’aller à l’aventure, de
migrer. Le vivant est une histoire de migration. Demandez aux
oiseaux, demandez aux poissons, demandez aux virus, demandez aux
bactéries.
Certainement,
Lucien l’âne mon ami, l’errance est l’âme du mouvement et le
moteur premier de l’évolution qui est le sens même de la vie. En
fait le sédentaire est un migrant qui s’est arrêté. Le
sédentaire est un migrant qui se terre et un jour, comme tous les
autres migrants, il lui faudra bouger, il lui faudra se remettre en
marche. Mille circonstances l’y amènent : la famine,
l’inondation, les pluies, la sécheresse, le mildiou, le froid, le
chaud, l’ambition, la religion, le désir d’un ailleurs meilleur,
l’illusion, les pogroms, les massacres, la guerre, que sais-je et
je ne sais quoi d’autre encore. Il n’est pas un vivant qui ne
soit migrant, en mouvement ou provisoirement arrêté. Seuls les
morts atteignent vraiment à la sédentarité définitive. Les
Gaulois et les Francs, pour ne citer qu’eux, n’étaient rien
d’autres que des migrants.
Oh,
Marco Valdo M.I., tu peux y ajouter les Lombards et les Germains et
tant d’autres encore jusqu’au milieu des océans. En effet, et
même avec le recul des temps et des temps, je peux voir le monde
comme un grand carrousel, qui tourne, qui tourne. Mais, foin des
considérations générales, il nous faut progresser et j’aimerais
savoir ce que raconte la chanson.
J’hésitais
à t’en parler directement, répond Marco Valdo M.I., car elle est
triste cette chanson.
Triste ?
Triste à pleurer ?, demande Lucien l’âne.
Triste
à pleurer, exactement !, Lucien l’âne mon ami. Tellement
triste que le ciel lui-même débonde ses nuages et s’en donne à
cœur joie ; il déverse une insondable averse sur ce moment
d’indicible désespoir de ces deux vieux amoureux que le destin
contrariant réunit et sépare. L’errance, c’est aussi ça, la
séparation d’Arlequin et d’Arlequine. Et pourquoi ? Tout
simplement ceci que pour l’une comme pour l’autre, il faut bien
vivre. Alors, elle repart dans la carriole du cirque ; lui
reprend son chemin chaotique et forcément clandestin de déserteur.
Bohémien, il retourne vers sa Bohême ; il retrouve cette
errance qui caractérise aux yeux des sédentaires d’Europe, les
bohémiens. Comme l’archétype, il lui faut se cacher des autorités
et ne jamais longtemps s’attarder parmi les sédentaires. Il ne
peut être que fugace ; un souffle, à peine entrevu, il lui
faut fui ; passer comme l’ombre d’un nuage. Encore et encore
perdre son Arlequine, se perdre dans le paysage, ça le désespère
et ça l’attriste.
« Faust,
mon Faust, de ma terre lointaine,
J’étais
venue à toi,
Et
tu te détournes de moi.
Je
pars, Marguerite, j’ai trop de peine. »
Il
aurait sans doute aimé le vieil amoureux pour arrêter l’errance
en un mariage d’amour, avoir un cortège nuptial :
« dans
un char à bœufs, s’il faut parler bien franc
Tiré par les amis, poussé par les parents
Que les vieux amoureux firent leurs épousailles
Après long temps d’amour, long temps de fiançailles »
Tiré par les amis, poussé par les parents
Que les vieux amoureux firent leurs épousailles
Après long temps d’amour, long temps de fiançailles »
Voilà
bien toute sa tristesse et voilà le trop de peine qui l’emporte
vers sa Bohême, tenant son amour bien serré dans son mouchoir.
Je
comprends, Marco Valdo M.I., pourquoi tu as si longtemps retenu ses
larmes et je trouve si triste sa tristesse, mais sans doute aussi,
n’y avait-il pas d’autre issue ; c’est le lot des
déserteurs que d’être contraint à l’errance et à l’exil
jusque chez eux. Enfin, reprenons notre tâche et tissons le linceul
de ce monde hostile, soupçonneux, rébarbatif et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
La
pluie fait rage, on n’y voit pas.
Pollo,
où donc te mène ton errance ?
Déserteur,
où aller sinon en haut là-bas
En
Bohême, mon chez moi en déshérence.
Arlequine
retrouvée, l’Arlecchina !
Avant
l’hiver froid, retour à Venezia.
Et
le cirque déjà s’en reva.
Arlequine
reperdue, l’Arlecchina !
Oui,
Monsieur Po, oui, Monsieur Li,
Oui,
Monsieur Chi,
Oui,
Monsieur Nelle,
Oui,
Monsieur Polichinelle.
Pollo,
dis-moi, la Bohême ?
La
Bohême, oh, je ne sais pas.
Tu
trembles, la belle, tu as froid ?
Je
ne sais pas, Pollo, quand même.
Pollo,
tu as quelqu’un, là-bas ?
Où
là-bas ? En Bohême, chez toi ?
Depuis
le temps, on ne sait pas.
Personne,
sans doute ; on verra.
Oui,
Monsieur Po, oui, Monsieur Li,
Oui,
Monsieur Chi,
Oui,
Monsieur Nelle,
Oui,
Monsieur Polichinelle.
Assis
sous la galerie de bois,
Écoutant
la pluie qui s’obstine
Sous
sa cape mouillée, l’Arlequine
Frissonne
et Mathias lui tient le bras.
Faust,
mon Faust, de ma terre lointaine,
J’étais
venue à toi,
Et
tu te détournes de moi.
Je
pars, Marguerite, j’ai trop de peine.
Oui,
Monsieur Po, oui, Monsieur Li,
Oui,
Monsieur Chi,
Oui,
Monsieur Nelle,
Oui,
Monsieur Polichinelle.
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