jeudi 24 octobre 2019

Arlequin et l’Histoire

Arlequin et l’Histoire

Chanson française – Arlequin et l’Histoire – Marco Valdo M.I. – 2019

ARLEQUIN AMOUREUX – 5 bis

Opéra-récit historique en multiples épisodes, tiré du roman de Jiří Šotola « Kuře na Rožni » publié en langue allemande, sous le titre « VAGANTEN, PUPPEN UND SOLDATEN » – Verlag C.J. Bucher, Lucerne-Frankfurt – en 1972 et particulièrement de l'édition française de « LES JAMBES C'EST FAIT POUR CAVALER », traduction de Marcel Aymonin, publiée chez Flammarion à Paris en 1979.



Dialogue Maïeutique

C’est terrible Lucien l’âne mon ami, de vivre avec la poésie, car la poésie est une personne exigeante et entêtée. Elle veut souvent plus ; elle en veut toujours mieux. Mieux, s’entend : à ses yeux ! Elle redemande à la fois rigueur et fantaisie ; ordre et déroute des mots. Sans cesse, elle rebat les cartes ; elle refait, elle redessine, elle redestine, elle reforme ; du vieux, de l’épars, elle se vêt.

Que barbotes-tu là, Marco Valdo M.I. mon ami ?

Oui, Lucien l’âne mon ami, je te le dis, la poésie, c’est toute une histoire, comme l’histoire d’Arlequin, de Matthias Pollo Arlecchino. Vois, il y avait un temps – en fait, il y a quelques jours à peine –, dix chansons laissées en chantier des mois durant. Et à la reprise du cycle de l’Arlequin amoureux, il m’a fallu tout revoir et inventer le bis et le ter pour combler les creux de l’histoire. Tout ça pour te dire que celle-ci, Arlequin et l’Histoire est faite de bric et de broc de pages anciennes qui étaient excédentaires par rapport à la structure générale commune : trois fois deux quatrains suivis d’un refrain du même format. Et certains – les excédentaires – en comportaient curieusement quatre. Il a donc fallu raboter.

Ah !, dit Lucien l’âne en riant, raboter, raboter, c’est malin, ça ! Et qu’as-tu fait des morceaux ?

Eh bien, vois-tu, Lucien l’âne mon ami, que je n’ai rien perdu au change, car en fin de compte, je me suis aperçu – miracle de la poésie – qu’il me restait en trop précisément : trois fois deux quatrains et un refrain et en les regroupant, j’en ai fait cette chanson.

Alors, te voilà structuraliste, maintenant, Marco Valdo M.I. mon ami. Moi, je veux bien, mais quel sens peut avoir pareille histoire ainsi inventée ?

Justement, Lucien l’âne mon ami, et c’est là le mystère poétique, cet assemblage hétéroclite fonctionne fort bien et donne in fine le sens de l’histoire et de la manière la plus orthodoxe et formelle qui soit. Arlequin qui, lourd d’ennui, voulait repartir sur les routes de traverse, sur les entiers détournés, s’était laissé convaincre par la Comtesse Hohenfeld de rester auprès d’elle comme bouffon. Ils formaient un étrange couple devisant souvent, assis sur un banc dans la cour du château. C’est au cours de cette étrange stase qu’Arlequin pense ; il se met à méditer.

Naturellement, dit Lucien l’âne. Très bon, la méditation, c’est un remède pour ceux qui s’ennuient d’eux-mêmes et même aussi, pour ceux que la vie coince dans l’ennui.

Quoi ?, Toi aussi, mon ami Lucien l’âne ! Toi, je ne peux l’imaginer, tu t’ennuies ? Je n’aurais jamais pensé que cette détestable habitude t’aurais même un instant poursuivi.

Que nenni, Marco Valdo M.I. mon ami, je n’ai jamais connu l’ennui. Quand donc eût-ce été possible ? Et puis, dis-moi l’ami, ce que c’est que l’ennui.

Oh, répond Marco Valdo M.I., l’ennui ? L’ennui, je ne sais pas, je n’ai jamais eu que des ennuis ; mais, paradoxalement, avec les ennuis, on n’a pas le loisir de connaître l’ennui. Ce qui fait que comme toi, je ne sais ce qu’est l’ennui. Cependant, ma curiosité m’empêche de découvrir ce qu’il est.

Évidemment, rétorque Lucien l’âne en riant, c’est logique ; je veux dire qu’il est logiquement impossible de découvrir l’ennui en le cherchant puisque le simple fait de faire quelque chose l’empêche d’exister. C’est une étrange chose que l’ennui. Donc, Arlecchino médite et comme il en a la manie, il devise avec Arlecchina, ou plutôt avec ce double d’Arlecchina, ce fantôme qui depuis leur séparation pour cause de voyages contradictoires, lui tient compagnie. Tel un mentiloque, qui serait un anti-ventriloque, il cause silencieusement avec elle de tout ça et du sens de l’histoire, de son histoire enclose dans l’Histoire.

On dirait, conclut Lucien l’âne, qu’il philosophe, on dirait que lui, l’Arlequin et son Arlequine, comme toi et moi, pratiquent le dialogue maïeutique, question de s’entretenir et de meubler le temps agréablement et somme toute, utilement. Mais, foin d’Histoire, voyons ta chanson recomposée et tissons le linceul de ce vieux monde morne, ennuyeux, désolant, aberrant et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane

Arlecchina, ma rose blanche
Refais-toi une beauté, Arlecchina
Un peu de poudre à tes yeux, c’est dimanche.
Galop, galop, on va, on va, on va…
Demain ma mie, il y aura du pain, de la viande
Des saucisses, des anchois, des anguilles
Un citron, deux oranges, des airelles
De la crème, des raisins, des amandes.

Oui, Monsieur Po, oui, Monsieur Li,
Oui, Monsieur Chi,
Oui, Monsieur Nelle,
Oui, Monsieur Polichinelle.

Faust, mon cher Faust, regarde-moi !
Arlecchina, je te reconnais, c’est bien toi :
Ces épaules nues, ce corps dans la soie.
Suc de pavot, mon rêve, Arlecchina.
Oh, Pollo Sevastiano, je suis ta mie
Tu parles tchèque, n’est-ce pas ?
Was ist Leben ? Qu’est donc la vie ?
À quoi peut bien rimer tout ça ?

Oui, Monsieur Po, oui, Monsieur Li,
Oui, Monsieur Chi,
Oui, Monsieur Nelle,
Oui, Monsieur Polichinelle.

À l’Histoire, il n’y a pas d’échappatoire !
L’Histoire, c’est toute une histoire ;
Mais l’Histoire, Matthias, ne se soucie pas de toi,
L’Histoire ne te connaît pas.
Le sergent-recruteur, lui, se souvient de toi.
Longtemps après, il te retrouvera.
Matĕj, Matthias, Mathieu le déserteur,
Cache-toi dans le trou du souffleur.

Oui, Monsieur Po, oui, Monsieur Li,
Oui, Monsieur Chi,
Oui, Monsieur Nelle,
Oui, Monsieur Polichinelle.

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