vendredi 27 septembre 2019

NOUS NE VOULONS PAS DE GUERRE

NOUS NE VOULONS PAS DE GUERRE


Version française – NOUS NE VOULONS PAS DE GUERRE – Marco Valdo M.I. – 2019

Chanson allemande – Wir wollen keinen Krieg – Paul Burmann & AGB Band – 2014



Parfois, disons-le franchement, on se demande s’il existe encore des « chansons contre la guerre », les simples, les pacifistes, les qui disent non à la guerre, qui disent oui à l’amour qui entoure la Terre (! ! !), avec les peuples et le « Non à la guerre ! ». La réponse est oui : il y en a encore. Un exemple nous vient d’Allemagne, avec cette chanson de Paul Burmann et de son « band » : une chanson contre la guerre absolument classique, sans chichis, avec le vidéo qui s’ouvre sur l’enfant qui tend à son père musicien le formulaire d’appel aux armes et la scène dans un (authentique) cimetière de guerre, avec la jeune veuve qui pleure et jette les fleurs sur la tombe, et l’enfant blond devenu orphelin de père. À dire cependant que, dans ce contexte résolument « classique », cette chanson dit au moins une chose absolument vraie et importante, et elle insiste : la guerre fomentée et incitée par les mensonges des « médias », de plus au temps des « réseaux sociaux » et autres choses du genre. Il en a toujours été ainsi, et il en sera ainsi toujours et les « peuples d’Europe » ne la refuseront pas du tout, semble-t-il, la guerre. Ils ont périodiquement du besoin de leurs stupides nationalismes, de l’« ennemi », des « frontières » et de la « sécurité », et donc par les mensonges des médias toujours plus sophistiqués et capillaires, ils se laissent prendre joyeusement. Bienvenue, alors, même une chanson « classique », naïve, directe qui, évidemment, ne servira absolument à rien comme toutes les autres. [RV]


Dialogue maïeutique


Tu vois, Lucien l’âne mon ami, cette chanson dans sa présentation originelle et avec sa traduction italienne de la main de Riccardo Venturi, traînait dans ma liste de versions françaises « à faire ». Il y en a d’ailleurs des centaines. Mais voilà, je ne sais trop comment, ni pourquoi, je suis retombé dessus l’autre jour et je me suis dit, il faut vraiment que je la fasse, cette version.


Oh, dit Lucien l’âne, mieux vaut tard que jamais.


Mais elle n’est dans mes réserves que depuis 2018, autant dire hier, répond Marco Valdo M.I., et il y en a de bien plus anciennes, qui attendent, qui attendent et peut-être même, attendront toujours. Car, c’est inévitable, il y en a toujours de nouvelles qui arrivent. Et comment faire ? Quel critère, l’ancienneté ? En fait, c’est comme ça tombe. Pas vraiment le hasard, mais un sursaut, un clin d’œil, que sais-je ? Toujours est-il que j’ai fait celle-ci ; peut-être pour son affirmation péremptoire ou pour le commentaire de Riccardo Venturi, que je m’en vais te commenter à mon tour.


Oui, j’ai vu son commentaire et je suis fort curieux de ce que tu vas en dire, dit en riant Lucien l’âne. Personnellement, je trouve qu’il n’a vraiment pas tort de mettre les choses au point en ce qui concerne la guerre et les illusions populaires.


De fait, Lucien l’âne mon ami, j’allais commencer ainsi à reprendre un peu son argumentation afin de l’agrémenter de quelques réflexions supplémentaires. D’abord, il est vrai que cette chanson fait partie d’une espèce qui était plus en vogue, il y a déjà quelques temps : la chanson pacifiste naïve, diront certains, directe, diront d’autres. Moi, je dirais directe et naïve et même, directe, parce que naïve. Mais il me faut m’expliquer, je le vois à ton œil papillonnant. Le qualificatif « directe » ne suscite sans doute pas de controverse ; c’est le mot « naïve » qui pose problème, car d’aucuns y verront une sorte de dédain, une forme d’ironie ou une tentative de déconsidération. Rassure-toi, il n’en est rien, c’est une pure description, sans arrière-pensée. Tout comme en peinture, je n’ai rien contre le « naïf ». Cependant, nous savons ici, toi et moi et d’autres, que la guerre est un phénomène complexe et en grande partie, récurrent. En ça, la conclusion « pessimiste » de Riccardo Venturi est tout à fait pertinente ; si l’on n’y prend garde et si on laisse monter les populismes et les nationalistes, les discours haineux, les tirades patriotiques, on va tout droit à la guerre militaire, à la guerre directe, brutale, méchante et somme toute, « naïve » elle aussi.


Je le pense également, dit Lucien l’âne. À voir les discours imbéciles et les positions de matamore de certains, on pourrait y avoir droit. Mais, je t’en prie, poursuis.


Donc, Lucien l’âne mon ami, quand on veut vraiment comprendre la guerre et éventuellement, pouvoir s’en prémunir, il convient de la regarder dans toute sa complexité, autrement dit, dans le cadre de la Guerre de Cent Mille Ans, celle que les riches font aux pauvres pour assurer leur domination, protéger leurs privilèges, accroître leurs richesses et renforcer l’exploitation. Dans cette dimension, la guerre n’est pas que ce phénomène occasionnel où des gens en armes tuent, envahissent, écrasent, liquident occupent, etc. Celle-là, c’est la guerre « naïve », la guerre « bête et méchante » que font les militaires ou les para-militaires. Mais c’est un phénomène périphérique, c’est un moment épisodique, c’est l’acmé de la guerre. C’est contre cette forme virulente que s’élève notre « band » naïf, mais à l’analyse, ces passages de crise sont l’arbre qui cache la forêt. Les ravages de la guerre souterraine, de la guerre qui se meut ornée du masque de la paix, sont de loin pires. Par exemple, la Deuxième guerre mondiale a fait des dizaines de millions de morts – arrondissons à cent millions ; c’était certainement un bilan atroce. Mais la « paix », qui est l’état ordinaire de la Guerre de Cent Mille Ans, depuis lors, a tué énormément plus, terriblement plus par la faim, par la maladie qu’on ne soigne pas jusqu’à ce que mort s’ensuive, par les épidémies, par les inondations ou les sécheresses, par le sous-développement des uns dû au surdéveloppement des autres, par le racisme, par le mépris, etc. Cette guerre-là, cette forme-là de la guerre est bien plus atroce ; elle est endémique ; c’est la guerre silencieuse et permanente, qui rampe dans le corps de l’humanité comme un cancer irrémédiable. Alors, cette façon naïve de condamner seulement la « guerre naïve » est une véritable impasse, pour ne pas dire un leurre, une tromperie – sans doute, naïve, en ce qu’elle cache la vraie nature de la « guerre ». Dans la Guerre de Cent Mille Ans, la paix est la poursuite de la guerre par des moyens civils.


Soit, dit Lucien l’âne, comme je vois la chose, c’est pareil pour le climat, qui finalement n’est qu’un aspect de cette Guerre de cent Mille Ans, dont tu parles tout le temps et puis quoi ? Que faire ?


Oh, Lucien l’âne mon ami, ce qu’il faut faire, est aussi complexe que le phénomène. D’abord, je dis qu’on sait à quelles conditions, cette guerre cessera, si évidemment, un jour elle cesse. Il faut et il suffit que l’homme cesse de vouloir la richesse, arrête sa course à la possession des choses, du monde, des autres êtres, restreigne ses appétits et ses consommations, arrête de s’arrêter aux apparences, abandonne ses ambitions, mette de côté son orgueil, son racisme, sa bêtise et se contente de vivre et du simple bonheur de la vie. Je précise toutefois que l’homme ici doit être compris comme chacun, sans distinction de race, de sexe, d’âge, etc. Autant te dire que c’est pas demain la veille que cela se fera, mais chacun peut commencer à tisser le linceul de ce vieux monde, à chaque geste de sa vie, à chaque heure de son destin.


D’accord, Marco Valdo M.I. mon ami, restons-en là et tissons, en effet, le linceul de ce vieux monde avide, amer, ambition, avare, absurde et cacochyme.


Heureusement !


Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Depuis des décennies, les guerres hantent la Terre.
Et se font toujours sous un faux prétexte,
Par les mensonges, suscitées et fomentées.
Et combien vies humaines ruinées ?

Nous ne voulons pas de guerre,
Levons-nous pour qu’il n’y en ait plus aucune.
Les peuples d’Europe refusent cette guerre,
Où tous perdent et personne ne gagne.

Nous ne voulons pas de guerre,
Levons-nous pour qu’il n’y en ait plus aucune.
Les populations d’Europe refusent cette guerre,
Où tous perdent et personne ne gagne.

Pas de guerre ! Oh non !

Trompés par les médias et les commentaires,
On va aujourd’hui à nouveau vers la guerre,
Contre
l’Iran, contre la Chine, contre la Russie,
Vous menez les peuples à la mort par votre folie.

Nous ne voulons pas de guerre,
Levons-nous pour qu’il n’y en ait plus aucune.
Les peuples d’Europe refusent cette guerre,
Où tous perdent et personne ne gagne.

Nous ne voulons pas de guerre,
Levons-nous pour qu’il n’y en ait plus aucune.
Les peuples d’Europe refusent cette guerre,
Où tous perdent et personne ne gagne.
Nous n’irons jamais à la guerre,
Refusez-la, pour avoir la paix demain.
Tenons-nous ensemble par la main
Pour entourer ainsi d’amour la Terre.

Nous n’irons jamais à la guerre,
Refusez-la, pour avoir la paix demain.
Tenons-nous ensemble par la main
Pour entourer ainsi d’amour la Terre.

lundi 23 septembre 2019

LE JOUR S’EST LEVÉ

LE JOUR S’EST LEVÉ


Version française – LE JOUR S’EST LEVÉ – Marco Valdo M.I. – 2019

Chanson italienne – È fatto giornoMaria Monti – 1972



Écrit par Mario Pogliotti à partir du poème et du recueil poétique "È fatto giorno" de Rocco Scotellaro. Le dernier vers reprend de façon créative le texte original du grand poète lucanien :



« Le jour s’est levé, nous sommes entrés dans le jeu nous aussi.
Avec les vêtements et les souliers et les faces que nous avions.
Les lièvres se sont cachés et les coqs chantent,
Revient le visage de ma mère au foyer.

(extrait de "È fatto giorno. 1940-1953", 1954)




Dialogue Maïeutique


Lucien l’âne mon ami, « Les lièvres s’étaient retirés », sauf l’un ou l’autre distrait qui vaguait encore dans le champ moissonné, disait le poète de Tricarico, là-bas en Lucanie. Écoute bien ceci qu’il dit qui me paraît convenir parfaitement à notre monde : « Qui da noi nessuno è mai mortoIci, chez nous, personne n’est jamais mort ». Oui, chez nous personne ne meurt jamais, car tout un chacun qui y est entré persiste dans sa mémoire. Il y a ici, là, une version plausible de l’éternité, de l’éternité à l’échelle humaine, car l’éternité plausible ne saurait excéder cette durée : l’éternité ne durera qu’autant qu’il y aura des hommes pour la penser.

Évidemment, répond Lucien l’âne, sans cela, l’éternité n’existe pas. À mon sens, et je pense que tu en conviendras, l’éternité est faite de la matière étrange de la mémoire, qui s’étage sur trois niveaux : la mémoire du passé (à quoi on réduit communément la mémoire) ; la mémoire du présent (sans elle, on est perdu, comme le sont ceux que les médecins nomment les « désorientés ») et la mémoire du futur (qui le voit sous de multiples formes, une mémoire infinie faite d’imagination et de poésie). Ainsi, la mémoire est la mesure de l’éternité.

Et, reprend Marco Valdo, Rocco Scotellaro est une pierre de cette mémoire, tout entière faite de pierres imputrescibles. Cependant, la chanson – même si elle reprend quasi-mot pour mot – le poème « È fatto giorno », qui très court comporte 4 vers, elle l’amplifie, le paraphrase, l’illumine ; en quelque sorte, elle le célèbre. Et dans la chanson, comme dans toute la poésie de Scotellaro, celui qui parle, celui qui chante est soi un « Nous » ou fait référence à un « nous » dans lequel il s’incarne, il s’enfonce, il se meut ; il se lie indissolublement à un « chez nous » (« da noï »), à un « nous aussi » (« anche noï ») qui se lève avec le jour pour entrer dans le jeu, dans le grand jeu de la vie.

Oui, dit Lucien l’âne, je vois bien tout ça. Cependant, je pressens un sens caché derrière l’évidence.

Et tu as raison, Lucien l’âne mon ami, ce sens caché est ce dialogue entre deux frères, entre deux liés au-delà de l’amitié. Voici ce qu’en dit Rocco Scotellaro dans son roman « L’Uva Putanella » – il s’adresse à ses codétenus de la prison de Matera, où il fut enfermé 45 jours avant d’être acquitté, codétenus – la plupart analphabètes, ce qui ne veut pas dire incultes ou idiots – à qui il lit chaque jour un passage du livre dont ils lui réclament de connaître la suite.

« Io ho avuto la fortuna di conoscere l’uomo che l’ha scritto, non è veramente moi amico, non è nemmeno, vi avverto, un vostro amico… Pero, vi dicevo, dello scrittore, che non è un amico… Amico è l’avvovato, il medico, il testimone, il deputato, il prete. Questo uomo è un fratellastro, mio, nostro, che abbiamo un giorno incontrato per avventura. Cio che ci lega a lui è la fiducia… È stato lui anche in galera e va dicendo che ognuno dal presidente al cancelliere, dal miliardario al pezzente, dovrebbe andarci una volta. » (Laterza, 1977, pp.75-76)
« Moi, j’ai eu la chance de connaître l’homme qui l’a écrit, ce n’est pas vraiment mon ami, ni même, je vous en avertis, votre ami… Donc, je vous disais de l’écrivain qu’il n’est pas un ami… Ami est l’avocat, le médecin, le témoin, le député, le prêtre. Cet homme est un grand frère, le mien, le nôtre, que nous avons un jour rencontré par hasard. Ce qui nous lie à lui est la confiance… Il a été lui aussi en prison et il s’en va disant que chacun du président au chancelier, du milliardaire au puissant, devrait y aller une fois. »

Pour la forme, Marco Valdo M.I., je te demande quel est ce livre et qui est ce « fratellastro » des contadini, des somari.


Il s’agit, comme tu l’as sans doute deviné, Lucien l’âne mon ami, le livre que Rocco lit dans la cour de la prison est de Carlo Levi et s’intitule « Le Christ s’est arrêté à Eboli », qui a précisément pour sujet ce « nous » des paysans pauvres de Lucanie et du monde. Et si j’ai fait ce détour par l’Uva Putanella, c’est parce que cette anecdote de Rocco Scotellaro permet de comprendre tout le non-dit de cette chanson, tout l’arrière-plan de cette longue, très longue, aussi infinie que la Guerre de Cent Mille Ans, révolte des pauvres contre le monde des puissants, des riches, des dominateurs.

Oh, dit Lucien l’âne, « Noi, non siamo cristiani, siamo somari » et nous tissons le linceul de ce vieux monde engoncé dans ses richesses, étouffant, glouton, avide et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane




Je suis moins que rien
Dans cette foule faite de loques.
J’ai préparé mon sac de voyage.
Comme quelqu’un de passage.


Quai numéro dix :
Ne plus entendre le crissement du tram,
Les voix fatiguées, les voix éteintes
De vos pauvres gens.


Dans la grotte au fond de l’impasse,
Ils étaient tous autour de la morte,
Ils lui liaient les pointes serrées
De ses chaussures de toile cirée.


Quitter cette ville,
Frontière vide pleine d’attente,
Où pleuraient leurs pères
En émigration outremer.


Je suis seulement de passage,
Moi qui retourne à ma montagne,
Où ma maison est une cage suspendue
À l’aube du ciel libre.


Ici, chez nous, jamais personne n’est mort,
Jamais personne n’a changé de toilette :
Ici, on porte encore les guêtres,
Les mêmes que nos ancêtres.


Chez nous, on ne peut pas mourir.
Viens avec moi qui veut venir ;
Nous jouerons de notre cornemuse
Sur la peau d’une jeune chèvre.


Nous battrons notre tambour :
Il fait jour !
La la la la larara la la la la la…


Nous sommes entrés dans le jeu nous aussi
Avec les vêtements et les visages que nous avons.
Les lapins s’en vont
Et les coqs chantent déjà dans le ciel : le jour s’est levé !


La la la la larara la la la la la

samedi 21 septembre 2019

LETTRE À MON FILS

LETTRE À MON FILS


Version française – LETTRE À MON FILS – Marco Valdo M.I. – 2019
Chanson allemande – Brief an meinen SohnErich Kästner – 1931
Poème d’Erich Kästner, in "Gesang zwischen den Stühlen", 1932
Interprétée par Ernst Busch avec Erich Kästner ‎sur le disque "Erich Kästner Liest Kästner" (Erich Kästner lit Erich Kästner), Aurora Schallplatten, 1969








Dialogue Maïeutique

Voici, Lucien l’âne mon ami, une lettre-chanson ou une chanson-lettre, comme tu voudras ; en tout cas, la chose importante, car c’est un père qui s’adresse au fils qu’il n’a pas encore enfanté et dont, en outre, il ne connaît pas la mère ; il ne la connaît pas et il se contente d’une figure évasive, à peine esquissée, une supposition de mère, un artefact. Il est vrai que ce qui le préoccupe dans l’instant, c’est son fils tout aussi supposé, un fils théorique, une figure de fils et de fait, il ne pourrait être autre chose. Il s’incarnera (ou non) en temps utile. C’est son fils, ce fils qu’il pourrait avoir et surtout, ce que ce fils pourrait devenir qui l’inquiète.

Voilà, dit Lucien l’âne, un père bien prévoyant et même aussi, assez imaginatif. Prudent peut-être également, surtout si on imagine qu’il pourrait s’agir d’un fils collectif, de toute la génération qui suit.

Il y a de ça, répond Marco Valdo M.I., et en effet, la chose prêterait à sourire, si elle était le reflet d’une banale ambition paternelle. Mais, en fait, il ne s’agit pas de ça ; il y a plus, énormément plus, dans cette chanson et derrière ce poème, ainsi que tu parais l’avoir deviné. Car il s’agit d’Erich Kästner et qu’il écrit cette « lettre à mon fils » en 1931 à Berlin et ce sont là des éléments non négligeables, des indications d’importance. Je les prends l’une après l’autre pour en éclairer le sens. D’abord, le poème (ou la chanson – c’est la même chose) est une forme d’expression forte, qui permet de faire passer et durer une opinion ou telle Cassandre, un avertissement. Un article de journal – Erich Kästner le savait, lui qui était journaliste – passe avec le jour de diffusion ; un autre article le chasse dès le lendemain. Un poème, une chanson sortent de l’ordinaire, perdurent dans le cœur et l’esprit du lecteur en raison de leur rythme, de leur air, de leur style.

Halte, Marco Valdo M.I. mon ami, arrête-toi un instant. Je voudrais à mon tour dire que si tout ça est exact – et ce l’est, il faut ajouter que plus le poème-chanson est de qualité, plus il élève le ton, plus il est riche d’originale création, plus il s’enfonce dans l’esprit et le cœur. C’est là que l’importance de la forme se fait sentir ; mais je t’en prie continue.

Donc, reprend Marco Valdo M.I., ensuite, il y a l’auteur. Ici, Erich Kästner, dont il faut une fois encore rappeler qu’il s’agit d’un poète, écrivain, romancier pour enfants et d’un journaliste et aussi, d’un moraliste. Puis, viennent le lieu et la date : ici, Berlin, 1931. Erich Kästner est aux avant-postes dans la lutte à mort qui se déroule à Berlin à ce moment ; c’est la montée de la terreur ; il y règne un climat de folie méchante et une atmosphère de déréliction. C’est cette même année 1931 qu’ Erich Kästner publie Fabian. Die Geschichte eines Moralisten (Fabian : Histoire d'un moraliste), publié en français sous le titre prémonitoire de « Vers l'abîme ». Tel est le contexte de cette lettre.

Alors, oui, dit Lucien l’âne, je comprends tout ça, mais quid de cette « lettre à mon fils » ?

Oh, répond Marco Valdo M.I., c’est une lettre prétexte pour explorer l’avenir de la génération suivante et de prendre position par avance dans le monde qui viendra. Mais, dit-il en ayant bien conscience de l’incoercible liberté et de la nécessaire dignité de ce « fils » :

« Je ne vais pas discuter de comment vont les choses,
Je vais te montrer comment sont les choses,
Car la raison doit toute seule emplir ta tête.
Je veux être ton père et pas un prophète. »

D’autant, comme tu l’as dit, que ce fils pourrait être le peuple allemand lui-même ; ce qui donne tout son sens à la fin de la chanson-poème :

« Si tu deviens quand même un homme comme la plupart,
Méprisant tout ce que je t’ai fait voir,
Un gars quelconque, un n’importe quoi,
Alors jamais mon fils, tu ne seras. »

Soit, dit Lucien l’âne, il me vient en tête que c’est une chanson qui, en dépit du contexte historique de sa naissance, vaut tout autant tout au long de la Guerre de Cent Mille Ans, celle que les riches font aux pauvres ainsi évoquée dans la chanson :

« Je vais aller dans les mines de charbon avec toi,
Je vais te montrer des parcs avec des villas de marbre »

et si j’avais un fils ou un petit-fils, je lui enverrais. Alors, tissons le linceul de ce vieux monde toujours recommencé, malade de la peste brune, infecté et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane








Finalement, je voudrais avoir un garçon,
Comme sont les enfants d’à présent, fort et intelligent.
Une seule chose me fait défaut pour ce garçon :
Une mère pour concevoir l’enfant.


N’importe quelle demoiselle peut convenir pour nous.
Il y a déjà de nombreuses années que je cherche,
Mais le bonheur est plus rare que les vacances.
Et mon fils, ta mère ne sait encore rien de nous.


Mais un beau jour, tu arriveras,
Je m’en réjouis beaucoup déjà.
Tu grandiras, tu marcheras, tu apprendras,
Et de tout ça, l’aventure de ta vie sortira.


Au début, tu cries seulement et tu fais des gestes,
Jusqu’à temps que tu passes à d’autres actes,
Jusqu’à temps que toi et tes yeux puissiez voir,
Entendre et comprendre, tout ce qu’il faut savoir.


Celui qui commence à comprendre, comme toi, mon garçon
Regarde le théâtre du monde avec admiration.
Au début, un enfant a besoin d’une mère ;
Quand tu seras grand, tu auras besoin de ton père.


Je vais aller dans les mines de charbon avec toi,
Je vais te montrer des parcs avec des villas de marbre,
Tu me regarderas et tu ne comprendras pas.
Je vais t’apprendre, enfant, et me taire.


Je vais aller avec toi à Vaux et à Ypres
Regarder la mer de croix blanches.
Là aussi, je vais rester silencieux et ne rien commenter.
Mais si tu pleures, mon enfant, je t’approuverai.


Je ne vais pas discuter de comment vont les choses,
Je vais te montrer comment sont les choses,
Car la raison doit toute seule emplir ta tête.
Je veux être ton père et pas un prophète.


Si tu deviens quand même un homme comme la plupart,
Méprisant tout ce que je t’ai fait voir,
Un gars quelconque, un n’importe quoi,
Alors jamais mon fils, tu ne seras.

LES CAMÉLÉONS



LES CAMÉLÉONS


Version française – LES CAMÉLÉONS – Marco Valdo M.I. – 2019
Chanson italienne – I CameleoniMaria Monti – 1974
Texte et musique : Gino Negri (1919-1991), pianiste et compositeur lombard.


« Il Bestiario (Le Bestiaire) est un album très expérimental, fait de bases musicales entre jazz de cabaret et minimalisme électronique, avec la participation de musiciens de renommée internationale dont Alvin Curran, arrangements et instrumentation électronique, et Steve Lacy au saxo soprano. Les animaux sont des métaphores qui représentent les fauts, les peurs, les obsessions des hommes ».
(de Maria Monti, fuori dal coro, par Chiara Ferrari, sur Patria Indipendente, Année V n. 67)






Autrefois, vivaient les caméléons,
Qui de temps en temps changeaient de peau.
Les caméléons étaient des animaux.
Par nature, changeants et bons.


Il y avait aussi les hommes-caméléons
Pas aussi sympathiques que les serpents.
Des messieurs et des professeurs, sentant le vent,
Avides et prêts à retourner leur veston.


Des hommes très enclins à quitter leur patron,
Quand pour ce patron, ça tournait mal.
Capables de freiner, de changer de direction,
Animés d’un infaillible instinct animal.


Heureusement, des gens du genre, aujourd’hui,
Il n’y en a plus dans le monde, m’a-t-on dit.
Le temps des manigances d’État est mort.
Ici, on vit en paix, en parfait accord.


Heureusement, des gens du genre, aujourd’hui,

Il n’y en a plus dans le monde, m’a-t-on dit.
Le temps des manigances d’État est mort.
Ici, on vit en paix, en parfait accord.


Autrefois, vivaient les caméléons