TOURNEZ LA CARTE
Version
française – TOURNEZ
LA CARTE – Marco Valdo M.I.
– 2019,
augmentée
de deux autres versions CONCETTA et ARLEQUIN.
Dialogue
Maïeutique
Ici,
Lucien l’âne mon ami, je vais d’abord te poser une devinette à
propos de ces comptines, car sous la chanson de De André, se cachent
des comptines populaires plus anciennes. Voici la devinette :
qu’évoquent pour toi – qui est familier des arcanes les plus
secrets – la carte, la mort, la guerre le vilain bêcheur,
le valet de cœur,
l’amoureux.
Oh,
dit Lucien l’âne, c’est une devinette bien simple. C’est le
tarot.
Eh
bien exactement, cette comptine, c’est un tarot. Mais, dit Marco
Valdo M.I., un tarot divinatoire évidemment, comme en avait fait
fabriqué un le premier de la lignée des Visconti-Sforza,
prolongeant ainsi l’existence d’un jeu milanais du siècle
précédent (sans doute le XIVe). La comptine doit être
lue – dans toutes les versions – comme une séance de tirage de
cartes, destinée à prédire l’avenir. Comme ici, il y a trois
versions et que celle de Fabrizio De André porte le titre de
« TOURNEZ LA CARTE », j’ai donné un titre aux autres
versions pour m’y retrouver. Il y a donc trois versions :
TOURNEZ LA CARTE (Angiolina) ; CONCETTA et ARLEQUIN. Cela dit,
tu connais mon goût pour les comptines et pour Arlequin. J’ai
d’ailleurs commencé une série (actuellement inachevée) de
chansons dont le principal personnage est Arlequin, conçues sous la
forme de comptines où la ritournelle est d’ailleurs tirée d’une
comptine enfantine du répertoire des enfants :
« Oui,
Monsieur Po, oui, Monsieur Li,
Oui, Monsieur Chi,
Oui, Monsieur Nelle,
Oui, Monsieur Polichinelle. »
Oui, Monsieur Chi,
Oui, Monsieur Nelle,
Oui, Monsieur Polichinelle. »
Je
m’en souviens très bien, Marco Valdo M.I. mon ami, elle commençait
à Marengo
et présentait notamment, « L’Amoureuse
d’Arlequin ». J’attends d’ailleurs la suite avec une
certaine impatience. Mais, je t’en prie, poursuis.
Donc,
Lucien l’âne, on a ici trois versions d’une même comptine
italienne – en italien, on dit filastrocca ; j’insiste
sur le « ici », car il en existe forcément d’autres ;
par exemple, la version de Caterina Bueno – La
donnina che semina il grano [No alla guerra], très
proche de CONCETTA. Sur le fond, toutes évoquent la guerre, les
soldats, la mort. J’ajouterais volontiers que souvent les cartes
sont sollicitées quand il s’agit de connaître le destin de celui
qui part à la guerre, même si tous savent que cartes ou pas, on
revient de là que si on le doit ou pour mieux dire encore – car il
n’est pas de destin écrit par avance – si on le peut. C’est
d’ailleurs pour ça qu’ils se donnent de l’espoir avec les
cartes, mais les cartes – si belles et si futées soient-elles, ne
peuvent rien contre le hasard, seul guide de la destinée.
Évidemment, derrière tout ça, court l’angoisse et la
superstition qui en découle. Enfin,
pour ce qui est de mes versions, elles se démarquent quelque peu de
la version italienne dont elles sont chacune respectivement issue. Il
y a par exemple, certaine allusion à une certaine Annie, bien connue
de Serge Gainsbourg – La
chanson s’intitule naturellement « Les
sucettes » et c’est, à sa façon, une comptine, mais
comme toutes les comptines, elles a au moins un double sens.
« Tournez
la page : voici les sucettes à l’anis,
Elles
sont si bonnes les sucettes d’Annie. »
Oui,
j’imagine, Marco Valdo M.I., que les soldats aussi ; surtout,
si on lit « Tournez la page » au second degré ;
autrement dit, la page est tournée, la guerre est finie. Enfin, je
conclus ainsi, car on n’en finirait plus avec cette comptine. Quant
à nous, cartes ou pas cartes, nous poursuivons notre tâche et nous
tissons le linceul de ce vieux monde superstitieux, croyant, crédule
et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Une
femme sème le grain.
Tournez
la carte, on voit le vilain ;
Le
vilain qui bêche la terre.
Tournez
la carte, arrive la guerre ;
Plus
de soldats pour la guerre,
Tous
ont fui les pieds à l’air.
En
chaussures bleues, marche Angiolina
Le
carabinier est amoureux,
Tournez
la carte : il n’est plus là.
Le
carabinier est amoureux,
Tournez
la carte : il n’est plus là.
Un
enfant escalade la grille,
Il
vole des plumes et des cerises.
Jetez
des pierres, il n’a pas peur.
Tournez
la carte : c’est le valet de cœur,
Le
valet de cœur est un feu de paille ;
Tournez
la carte : le coq s’éraille.
À
six heures du matin, Angiolina
Tresse
ses cheveux de bouts de bois.
Elle
tourne un collier de noyaux de pêche
Trois
fois entre ses doigts.
Elle
tourne un collier de noyaux de pêche
Trois
fois entre ses doigts.
Ma
mère a un moulin et un fils bonhomme,
Elle
tartine son nez de tarte aux pommes,
Ma
mère et le moulin tournent en riant.
Tournez
la carte, un pilote blanc,
Pilote
blanc en uniforme noir,
Sourire
d’athlète, chapeau de renard.
Assise
dans la cuisine, Angiolina pleure
Et
mange de la salade de mûres.
Un
garçon étrange met un disque
Qui
tourne vite en parlant d’amour ;
Le
garçon étrange est un disque ;
Il
tourne, tourne et parle d’amour.
Madameadorée
a perdu six filles
Dans
les bars du port et ses tortilles.
Madameadorée
voit son chat qui meurt.
Tournez
la carte et payez votre dû,
Payez
le dû avec des pleurs
Pleins
de photos de rêves perdus.
Angiolina
lit les nouvelles du front,
S’habille
en mariée, chante la victoire,
Elle
appelle ses souvenirs par leur nom,
Tournez
la carte : c’est la gloire,
Elle
appelle ses souvenirs par leur nom,
Tournez
la carte : c’est la
gloire.
CONCETTA
La
petite dame sème le grain.
Tournez
la carte : on voit le vilain,
Le
vilain bêche la terre.
Tournez
la carte : c’est la guerre,
La
guerre avec tous ces soldats.
Tournez
la carte : les malades sont là,
Les
malades avec toutes leurs douleurs.
Tournez
la carte et voici le docteur.
Le
médecin soigne les douleurs.
Tournez
la carte : voilà Concetta,
Concetta
court et s’en va.
Tournez
la carte : voilà Lucia,
Lucia
fait quelques pas.
Tournez
la carte : le coq est là,
Et
le coq donne le la.
Tournez
la carte : voici la mort,
La
mort pour tous les humains.
Tournez
la carte : on ne voit plus rien !
ARLEQUIN
La
petite dame sème le lin
Tournez
la page : voici un bambin.
L’enfant
joue par terre
Tournez
la page : c’est la guerre,
La
guerre avec tous ces soldats.
Tournez
la page : les malades sont là,
Les
malades avec toutes leurs douleurs.
Tournez
la page : voilà le docteur,
Le
médecin qui passe entre les lits
Tournez
la page : voici les sucettes à l’anis,
Elles
sont si bonnes les sucettes d’Annie.
Tournez
la page : voilà les pavés ;
Les
pavés sur le chemin empilés.
Tournez
la page : voilà Lucia ;
Lucia
dans sa robe de lin
Tournez
la page : voici Arlequin ;
Arlequin
marche sur les mains.
Tournez
la page : le coq est là,
Et
le coq donne le la.
Tournez
la page : voici les portes d’airain,
Par
les portes passent les humains.
Tournez
la page et il n’y a
plus rien !
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