dimanche 14 avril 2019

La Sagesse de la Nation



La Sagesse de la Nation


Lettre de prison 21
24 mai 1935

Jacopo da Barbari

Luca Pacioli et son disciple (1495)



Dialogue Maïeutique

En fait, Lucien l’âne mon ami, le titre « La Sagesse de la Nation » aurait dû être plus long, mais pour toutes ces lettres de prison, j’ai définitivement opté pour des titres courts.

Bonne idée, Marco Valdo M.I., mais du coup, tu m’intrigues. Qu’aurait été ce titre court, s’il avait pu être long ?

Bonne question, Lucien l’âne mon ami, il aurait été formulé comme ceci : « La Sagesse de la Nation, de la Justice et de la Raison », mais tout compte fait, ce n’était pas nécessaire et je vais te dire pourquoi. Vois-tu, mon ami l’âne Lucien, quand on choisit un titre, il faut savoir pourquoi. Dans mon cas, je veux dire, dans ce cas-ci, j’utilise le titre pour attirer l’attention sur le point focal de la canzone. Ceci vu qu’une chanson parle de diverses choses et qu’il faut bien lui faire exprimer un caractère qui la distingue de toutes les autres. Pour mieux me faire comprendre, j’aurais pu intituler tout simplement « Lettre de Prison » toutes les chansons de cette compilation qui elle-même s’intitule « Lettres de Prison ». Et pour chacune, ç’aurait été un titre exact. Cependant, on aurait eu beaucoup de mal à les différencier. Évidemment, j’aurais pu les nommer : Lettre de Prison 1, Lettre de Prison 2, et ainsi de suite et d’une certaine manière, sous un certain angle, ce pouvait être une excellente formule. Elle aurait reflété la monotonie de ce séjour en isolement. J’aurais pu mettre comme titres : Lettre de Prison du 17 mars 1934, et ainsi de suite. D’ailleurs, le numéro et la date figurent en sous-titre à chaque chanson.

Bien sûr, dit Lucien l’âne, et à la vérité, ça n’aurait pas manqué d’ordre et de clarté.

Certainement, Lucien l’âne mon ami, mais c’eût été un peu monotone comme les longs sanglots d’un violon et surtout, c’eût été manquer de poésie et la table aurait tous les airs d’un livre comptable ou d’un abaque de références dont raffolent les gens de sciences et les mathématiciens ou d’un inventaire de huissier ou de notaire.

Quelle horreur, Marco Valdo M.I. mon ami ! En matière d’inventaire, je préfère celui de Prévert, qui est d’un modèle plus poétique.

C’est dans ce sens-là qu’il faut considérer la chose, reprend Marco Valdo M.I.. Les titres donnent un parfum poétique à la chanson et une fois rassemblés sur une table, ils constituent eux-mêmes un singulier poème. Ils content toute l’histoire.

Oh, dit Lucien l’âne, on reste rêveur devant une telle table. Parfois même, à condition d’avoir lu le livre, on peut le reparcourir rien qu’en le regardant ; c’est fascinant. Mais que me dis-tu de cette lettre de prison ?

Rien qu’elle ne te dira mieux elle-même, répond Marco Valdo M.I.. Laissons-la faire !

Eh bien, Marco Valdo M.I. mon ami, comme tu dis, laissons chanter la canzone et tissons au point d’ironie le linceul de ce vieux monde monotone, sage, juste raisonnable et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Cette admonition
Qui dure depuis un an
Est comme une autre prison
Et ce deuxième emprisonnement
Tuent la création.

Pourtant, je supporte avec patience
Ce supplément de prison
Car j’ai grande confiance
En la sagesse de la nation,
De la justice et de la raison.

Hier, on m’avait dit
Qu’on viendrait me chercher
Après le souper.
Je croyais être libéré.
J’ai lu au lit jusqu’à la nuit.

Il y a encore des livres intéressants
À la bibliothèque. C’est rassurant.
J’ai trouvé en cherchant
Un roman anglais d’il y a cent ans.
Ici, on lit pour passer le temps.

Bientôt, je ne lirai
Plus ces romans.
Bientôt, dans mon atelier,
Je peindrai
Des tableaux surprenants.

Deux semaines sont passées
Et voilà,
Je suis toujours là.
Et j’attends de savoir pourquoi
Les heures s’en sont allées.

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