LA COMPTINE ADULTE
Version
française – LA COMPTINE ADULTE – Marco Valdo M.I. – 2019
Poème
de Mascha Kaléko (née Golda Malka Aufen, 1907-1975), poétesse
juive polonaise, originaire de Galice austro-hongroise.
Un
poème mis en musique, par exemple, par Jörg Hofmann in « Mascha
Kaléko - Den Herbst im Herzen, Winter im Gemüt ».
Mascha
Kaléko
|
Golda
Malka Aufen, alias Mascha Kaléko, est née en Galicie dans une
famille juive d’origine russe. Suite à la Guerre et à la misère
qui s’ensuivit, la famille fuit en Allemagne, où Macha a grandi à
Marbourg, puis à Berlin où elle poursuit des études de secrétaire.
En 1928, elle épouse un enseignant, Saul Aaron Kaléko. En 1930,
elle commence à publier des poèmes dans la presse. Ses œuvres la
font rapidement connaître. Elle fréquente le « Romanisches
Café », fréquenté par les journalistes, les écrivains et de
façon générale, l’intelligentsia berlinoise.
En
1933, avec l’arrivée des Nazis au pouvoir en Allemagne, son nom se
retrouve sur la liste des auteurs interdits, comme les autres
écrivains juifs. Elle s’exile (juste à temps) en 1938 à New York
avec son deuxième mari, le musicologue Chemjo Vinaver. Elle revint
vivre à Berlin en 1956, le temps d’être consacrée par le prix
Fontane, qu’elle refuse, car elle devait le recevoir des mains d’un
ancien officier nazi. Juste après, elle alla s’installer à
Jérusalem en 1960.
Dialogue
Maïeutique
Voici,
Lucien l’âne mon ami, une comptine adulte et en plus, elle parle
du voyage, du voyage qui toujours mène nulle part ou peut-être,
devrait-on dire jamais quelque part. Qu’en penses-tu, toi qui erres
depuis tant et tant de temps ?
Marco
Valdo M.I. mon ami, tu devrais savoir qu’un âne n’est pas censé
parler, il n’est même pas censé être sensé. Pourtant, comme tu
m’interroges, je m’en vais te répondre. D’abord
pour fixer le contexte de ma réponse. Pour commencer, j’aimerais
insister sur ceci que cette comptine de Mascha Kaléko s’appuie sur
sa propre histoire, sur cette vie où comme
des milliers et des milliers de familles juives, elle
erra de Silésie, en Allemagne, d’Allemagne en
Amérique, puis, elle finit son parcours en Israël. Comme je ne sais
trop quand ce texte a été réellement pensé et écrit, je ne
fixerai pas les choses. Mais ce qui me frappe, c’est que sa vie
alla ainsi brinquebalant d’un refuge à l’autre – fuir la
Pologne, la peur et la misère, puis devoir fuir l’Allemagne
devenue nazie… et que cette comptine adulte reflète cette
bousculade. J’ajouterais que dans la
Guerre de Cent Mille Ans, c’est un destin partagé par
énormément de gens. Sa chanson est universelle, cette comptine est
celle de tous les déplacés, de tous les réfugiés, de tous les
exilés.
Ainsi,
Lucien l’âne mon ami, la comptine, généralement destinée aux
enfants, aux petits enfants, par la grâce de la poétesse, est
devenue adulte. Ce n’est pas la seule comptine du genre, surtout
quand la
comptine est
prise dans le tourbillon de la guerre et qu’elle dit l’effroi du
monde ; juste deux exemples : une comptine d’Ilse Weber
Theresienstädter
Kinderreim
– Comptine de
Thérésine
et de Fritz
Löhner-Beda, la
Kindermärchen
– La Marche des Enfants, la « marche » étant elle-même
une sorte particulière de chanson ; en réalité, la traduction
exacte serait : Le Conte enfantin, qui serait l’antonyme de la
comptine adulte.
Certes,
dit Lucien l’âne, il y aurait encore beaucoup à dire sur les
comptines et sans doute, en viendra-t-il encore – les mêmes causes
(exil, déportation, fuite) causant les mêmes effets : les
plaintes des gens frappés par le malheur prennent alors les allures
de complaintes. En attendant, reprenons notre tâche et tissons le
linceul de ce vieux monde plein de malheurs et d’exil, de guerres
et de vexations, effrayant, mortel et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Où
que j’aille en voyage,
J’arrive
toujours nulle part.
Les
valises encombrées de bagages,
Le
cœur empli de cafard.
Aussi
solitaire que le vent du désert,
Aussi
apatride que le sable :
Où
que j’aille en voyage,
J’arrive
toujours nulle part.
Où
que j’aille en voyage,
J’arrive
toujours nulle part.
Les
forêts ont disparu,
Les
maisons ont brûlé.
D’autres,
je n’en ai pas trouvées.
Personne
ne m’a reconnu.
Et
quand l’étrange oiseau a crié,
Je
me suis envolée.
Où
que j’aille en voyage,
J’arrive
toujours nulle part.
Où
que j’aille en voyage,
J’arrive
toujours nulle part.
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