Les
Cartes-lettres
Lettre
de prison 15
28
avril 1934
Dialogue
Maïeutique
Tiens,
Lucien l’âne mon ami, avant de parler des cartes postales, je
reviens un instant à l’avocat de Rome dont il était question
précédemment et dont Carlo Levi avait refusé les services. En
revenant au texte de la lettre d’origine On
dit que je suis cultivé
et cherchant un peu, j’ai découvert diverses choses qui donnent à
penser que le prisonnier était plus méfiant et plus avisé qu’il
ne semble l’être dans ces lettres somme toute banales et
qu’il avait trouvé le moyen de faire passer ses mises en garde.
Je m’explique : l’avocat de Rome est un certain Vittorio
Ambrosini, et à moins d’un homonyme, il y avait un avocat et
journaliste du nom de Vittorio Ambrosini qui gravitait dans des eaux
troubles depuis un certain temps : entre le socialisme, version
communiste et le fascisme ; en
1925, il
déclarait lui-même : "politicamente
mi trovo tra Lenin e Mussolini, cioè per l’uno e per l’altro per
quel tanto di rivoluzionario che entrambi hanno, e ritengo che dai
due debba venire la sintesi di nuova vita politica e sociale"
(http://www.quinternalab.org/lavori-in-corso/materiale-storico/180-appunti-per-un-lavoro-su-vittorio-ambrosini)
– « Politiquement,
je me trouve entre Lénine et Mussolini, c’est-à-dire pour les
deux à cause de la nature révolutionnaire des deux, et je crois que
les deux doivent être la synthèse d’une nouvelle vie politique et
sociale ».
Oh,
dit Lucien l’âne, on retrouve ce même genre de situation
aujourd’hui où en France, par exemple, des convergences
apparaissent et s’affirment entre le Rassemblement National et La
France Insoumise, qui entretiendraient certains liens, y compris
financiers, avec la Russie de Poutine.
De
plus, ajoute Marco Valdo M.I., il semblerait qu’au moment qui nous
occupe, il était un des informateurs de l’OVRA (N° 532). Et selon
la même source citée ci-dessus, à partir de 1931, « Negli
anni successivi sarà un informatore della polizia; l’amicizia
stretta con alcuni antifascisti al confino gli permetterà di inviare
su di loro puntuali rapporti ai "superiori". » –
« Dans les années suivantes, il sera un informateur de la
police ; son amitié étroite avec certains antifascistes en
exil lui permettra d’envoyer sur eux des rapports détaillés à
ses « supérieurs ». Après la guerre, il continuera ses
cabotages politiques et on le retrouvera dans l’affaire de la
Piazza Fontana à Milan en 1969. Il a fini « suicidé »
contre son gré en 1971. Dès lors, dans sa prison en 1934, Carlo
Levi avait plus que raison de poser la question : d’où il
tombe cet avocat de Rome ? Est-il recommandé par notre avocat
de Turin ? Qui l’envoie ? Et il ajoute : « J’imagine
que cette mission lui a été confiée avant que je sois déféré à
la Commission de Relégation… »
Bonnes
questions, dit Lucien l’âne, car normalement, l’avocat est tenu
à la plus stricte confidentialité, au secret professionnel pour
tout ce que pourrait lui dire celui qu’il assiste ; il peut
aussi sous ce couvert demander à l’accusé de lui révéler
certaines choses qu’il devrait taire pour mieux le défendre. Il
vaut mieux refuser d’être défendu par un avocat sur lequel on a
des doutes.
Mais
aussi, Lucien l’âne mon ami, il est probable que Carlo Levi savait
qui c’était, car Ambrosini était un personnage connu des milieux
politiques à la fois pour son rôle de premier plan chez les
« Arditi », mais aussi comme membre du PNF (Parti National Fasciste) et comme
journaliste.
Maintenant,
Marco Valdo M.I. mon ami, pour parler d’autre chose, revenons aux
cartes postales et tout d’abord, qu’est-ce qu’une
carte-lettre ?
La
carte-lettre, Lucien l’âne mon ami, était – je dis bien
« était », car elle n’existe plus. Donc, c’était
une carte-postale, pré-timbrée, ornée d’une image, d’un côté,
et de l’autre, d’une moitié pour écrire, d’une moitié, pour
indiquer l’adresse du destinataire. Du coup, il restait fort peu de
place pour écrire et de plus, ce qu’on écrivait était en quelque
sorte à l’air libre. La carte-lettre était aussi un moyen de
propagande de l’État et en l’occurrence, du régime fasciste.
Dans le cas présent, sous le couvert de soigner la tuberculose, on
avait droit à la rhétorique héroïque fasciste, une logorrhée
assez détonante où le Duce menait cette croisade sanitaire sous le
signe de la double croix. Il annonçait déjà que le peuple italien
allait vaincre l’ennemi – cet ennemi-là (la tuberculeuse) comme
il vaincrait tous les autres.
Oh,
dit Lucien l’âne, est-ce qu’il y a quelqu’un qui a pu croire
ça ? Y croyait-il lui-même ? Tous ces dictateurs, tous
ces hommes, le pouvoir leur monte à la tête. Aucun âne n’avalerait
pareille galéjade, aucun âne ne raconterait pareille idiotie. Et
enfin, toutes ces œuvres de charité ont un parfum d’escroquerie
qui me les rendent très antipathiques. Mais pour le reste, que dit
la chanson ?
Pour
le reste, dit Marco Valdo M.I., Carlo Levi revient à ses marottes
habituelles : les temps, la peinture, où il remarque qu’au
sortir de la prison, sa peinture en portera nécessairement la
trace ; elle aura changé.
« Quand
je sortirai demain
Mon
regard changera
Est-ce
un mal, est-ce un bien ?
Ma
peinture changera
Quand
je sortirai demain. »
Alors,
en attendant cet hypothétique « demain », dit Lucien
l’âne, tissons le linceul de ce vieux monde bardé de barreaux,
embarbelé, fortifié et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Contre
la tuberculose,
J’ai
acheté
Douze
cartes roses.
La
question qui se pose :
À
qui les envoyer ?
Quand
on est prisonnier de l’État,
La
prison met son doigt
Sur
tout envoi.
Les
gens n’aiment pas
Recevoir
des courriers comme ça.
Quand
je sortirai,
Je
m’apercevrai
Avec
une agréable stupeur
Qu’il
y a des couleurs,
Des
arbres verts, des viandes rouges et des fleurs.
Quand
je sortirai demain
Mon
regard changera
Est-ce
un mal, est-ce un bien ?
Ma
peinture changera
Quand
je sortirai demain.
Petits
tracas ridicules,
Ces
caractères minuscules
Pour
que les choses soient dites
Me
pèsent et m’irritent.
Les
cartes-lettres sont trop petites.
J’ai
reçu la grammaire anglaise
Nouvelle
édition, avec la ponctuation
Et
la grammaire de l’Académie française.
Un
monument d’érudition,
Nous
y reviendrons.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire