Le
Temps des Rides
Lettre
de prison 16
1
mai 1934
Dialogue
Maïeutique
Comme
tu le précises si souvent, Lucien l’âne mon ami, j’espère que
tu as conservé ta mémoire d’âne et que tu te souviens de la fin
de la précédente chanson qui s’intitulait « Les
Cartes-lettres ».
Parfaitement,
Marco Valdo M.I. mon ami. Elle évoquait la Grammaire de l’Académie
française dont elle disait qu’elle était un monument d’érudition
et concluait « nous y reviendrons ».
Précisément,
reprend Marco Valdo M.I., nous y voilà, on y revient avec un de ces
petits morceaux d’humour à l’acide ironique dont le docteur Levi
est coutumier. Constatant que la décision de faire cette grammaire
avait été prise en avril 1634 et que sa première (et dernière
encore à présent) édition datait de 1932, soit qu’il s’était
écoulé à peu de chose près, trois siècles, le Dr. Levi indique
la patience comme principale vertu de l’Académie française. Et en
vérité, il n’avait pas tort. Par ailleurs, c’est également le
cas du dictionnaire de la même académie qui avance à une allure
d’académicien ; pour tout dire, un mot après l’autre,
chaque mot faisant l’objet de savantes discussions. Sachant para
ailleurs que la langue française comporte plusieurs dizaines de
milliers de mots…
Mais
au fait, Marco Valdo M.I. mon ami, où en est-il ce dictionnaire ?
Eh
bien, Lucien l’âne mon ami, il me faut te faire une réponse
articulée en trois points. Premièrement, il faut savoir que
l’Académie procède avec méthode et par ordre alphabétique et
que quand elle termine un dictionnaire, elle s’élance
immédiatement, mais lentement, dans l’élaboration de l’édition
suivante. C’est pour elle, une course sans fin contre la langue.
Deuxièmement, la dernière édition en date est la huitième et elle
remonte à 1934, comme la grammaire. Troisièmement, l’édition
suivante – la neuvième – est en cours de rédaction. En décembre
2018, on en était au mot « savoir ».
« Savoir »,
la belle affaire, dit Lucien l’âne, au train où vont ces
personnages savantissimes, c’est pas demain qu’on verra cette
édition dans sa version complète. Pendant ce temps, la langue court
les routes et les rues. À quel dictionnaire se fier alors ?
Là,
Lucien l’âne mon ami, c’est une question à laquelle je peux
répondre. Je te conseille de consulter le portail
lexical du CNRTLF, soit le Centre National de Ressources
textuelles et lexicales (www.cnrtlf.fr),
c’est l’instrument le plus complet que je connaisse et de
surcroît, très pratique. Ceci dit, il existe évidemment d’autres
excellents dictionnaires plus usuels en version papier.
Oh,
dit Lucien l’âne en souriant, j’irai consulter ce portail
lexical pas plus tard que tout à l’heure. Remarque que le titre de
la chanson s’applique parfaitement à la grammaire et au
dictionnaire de l’Académie. Pour le reste que dit la chanson ?
Je
ne t’en dirai rien de particulier, Lucien l’âne mon ami. Il te
suffira de la lire, tout est dans le texte.
Très
bien, faisons ainsi, Marco Valdo M.I. mon ami et tissons le linceul
de ce vieux monde lent, pondéré, trop mûr, haletant, savant et
cacochyme.
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
La
grammaire de l’Académie de France
De
1932 est la première édition.
Elle
est conforme à la décision
D’avril
1634. À l’Académie de France,
La
patience est de première importance.
Mais
où est mai ? Mais où est ma libération ?
Toujours
ce gris, mais où est le printemps ?
Dans ma chambre à paiement,
Dans ma chambre à paiement,
Je
ne suis plus en isolement.
Mais
je reste seul en prison.
Je
suis un prisonnier modèle et comme
N’importe
quel honnête homme
Je
lis tout et même mieux que ça :
Le
chapelain m’a donné la Somme.
Je
sortirai d’ici thomiste, je le crois.
Je
ne sais de quoi on m’accuse,
À
qui, sert-il de me serrer ici, à quoi ?
Que
veut-on de moi ?
Croit-on
que mon innocence s’use
De
m’interroger tant de fois ?
Parfois,
assis ici sur mon lit,
Je
pense avoir vécu un temps infini.
Je
ne suis pas si vieux, ni si perclus :
Il
y faudra plus de tourments, plus de soucis ;
Le
temps des rides n’est pas encore venu.
Demain,
je passe devant la Commission,
La
Commission provinciale de Relégation.
Il
pleut aujourd’hui, il pleut depuis deux mois.
Demain,
le soleil sortira
Et
moi aussi, et on se retrouvera.
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