La
Guerre sainte
Chanson
léviane – La Guerre sainte – Marco Valdo M.I. – 2019
Lettre
de prison 12
20
avril 1934
Dialogue
maïeutique
Évidemment
avec un titre pareil, c’est une chanson qui attire le regard, dit
Lucien l’âne.
Oui,
elle attire le regard avec son titre en trompe l’œil, répond
Marco Valdo M.I, car s’il y est question d’une guerre sainte, ce
n’est pas celle qu’on pourrait croire.
Qu’on
pourrait croire, ah, ah !, dit Lucien l’âne, elle est bien
bonne celle-là, car croire en la guerre sainte, c’est le cas de le
dire. Moi, ces idées de croyance et de guerre sainte me font
toujours rire, tellement elles sont absurdes et loufoques.
Mais
enfin, Lucien l’âne mon ami, je te rassure, nous, on n’est pas
là pour croire, ni pour faire la guerre – sainte ou pas, faut-il
te le rappeler. Cependant, je reviens à ma guerre sainte ou plutôt
à celle que mène dans sa cellule le prisonnier. C’est une guerre
sainte et farouche, parsemée d’armées de cadavres chaque jour
renouvelées. De plus, et cette fois tu peux sans crainte me croire,
c’est une guerre aussi inévitable que nécessaire. Tous ceux qui
ont dû y recourir te le confirmeront et ils te diront aussi que
c’est une guerre sans fin, sans cesse recommencée, du moins dans
les lieux où elle s’est installée en quelque sorte à demeure, en
territoire conquis. Cela dit, comme tu vas le voir, elle n’a pas
que des vilains côtés – du moins, pour le prisonnier : cette
guerre le distrait, elle rompt la monotonie des jours. Mais je
m’aperçois, à tes regards de plus en plus effarés, que je ne
t’ai pas encore dit quels sont les belligérants. Sachant que le
champ de bataille est la cellule de la prison, d’un côté bien
sûr, il y a le prisonnier Carlo Levi et de l’autre, il y a les
punaises.
« Ici,
je mène la guerre sainte
Contre
les punaises.
Une
guerre silencieuse,
Un
combat quotidien et sournois »
Tout
ça pour ça, dit Lucien l’âne. Quelle histoire !
Oui,
tout ça pour ça, reprend Marco Valdo M.I., mais ton acrimonie vient
de ce que tu n’as – comme moi, au début – pas encore réfléchi
à tous les aspects de la question. D’une
part, la guerre entre l’humanité et les (vraies) punaises,
généralement connues sous le nom de punaises de lit, est aussi
ancienne et aussi étendue que la
Guerre de Cent Mille Ans et y mettre fin par élimination
de ces insectes est un objectif louable et probablement,
actuellement, hors de portée. Cependant, tu as raison,
cette guerre aux punaises est anecdotique, mais si tu prends la peine
de te souvenir (Ah ! Le devoir de mémoire !) du
fait que les nazis et pas seulement eux, traitaient les Juifs ou
d’autres de leurs ennemis, de punaises, de poux, de rats et sans
doute d’autres choses encore et si tu veux bien te souvenir aussi
de l’implacable ironie, issue de la glande poétique identifiée
par le Dr. Levi, du terrible humour caustique dont Carlo Levi était
coutumier, cette séquence rabelaisienne et pour tout dire,
picrocholine, prend une tout autre signification. Pour cela, il faut
évidemment inverser la perspective.
Ah,
dit Lucien l’âne, inverser la perspective, qu’est-ce à dire ?
Eh
bien, cette guerre sans merci que le prisonnier Carlo Levi mène
contre les punaises
– de vraies punaises – est une
métaphore de ce qui se pratique ailleurs contre les hommes – les
pogroms, par exemple. Pour qui savait lire, il y avait là matière à
réflexion.
Alors,
dit Lucien l’âne, si je comprends bien, il faut interpréter cette
guerre du prisonnier contre les punaises comme une dénonciation de
ce racisme qui tue les humains en les ramenant au rang le plus bas,
parmi les animaux – insectes, rongeurs, bactéries, que sais-je,
qu’il convient d’exterminer par pur souci d’hygiène sanitaire.
En quelque sorte pour le bien public. Ainsi,
la mémoire du passé éclairait le futur.
Par
ailleurs, ajoute Marco Valdo M.I., on
peut aussi voir dans cette description du combat contre les punaises,
celle du combat de l’opposant
contre les tenants du régime et leurs
sbires. En quelque sorte, il y a là une réflexion vague et
nébuleuse, mais nettement résistante.
Il
y aurait encore mille choses à dire, mille réflexions à faire ou
plus encore, mais elles se feront bien tout seules en toute
autodétermination comme vont les idées quand elles sont libres, et
nous, nous concluons tissant le linceul de ce vieux monde infesté,
hygiéniste, raciste, populiste et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Je
souris de toute accusation.
Si
on me condamne,
Ce
n’est pas moi qu’ils condamnent,
Mais
un autre,
Pur
fruit de leur imagination.
Ici,
je mène la guerre sainte
Contre
les punaises.
Une
guerre silencieuse,
Un
combat quotidien et sournois
Entre
elles et moi.
Cette
lutte inégale et sauvage
Est
toute à mon avantage.
Je
les tue, elles ne me tuent pas.
Elles
ne me mordent même pas.
J’ai
le sang amer ; elles ne l’aiment pas.
Ce
sont des animaux très fourbes,
Ingénieux,
retors et rusés.
Dès
qu’on les approche, ils filent.
Par
une fissure, ils fuient
Dans
les abris du plancher.
Je
suis cruel et féroce,
Je
les écrase.
Avec
une allumette, je les brûle ;
Comme
dans mon studio à Paris,
Je
les élimine sans merci.
Après
je lis les comédies de Goldoni,
Plus
stupides l’une que l’autre ;
Mais
plus elles sont stupides,
Plus
elles me divertissent.
Ce
sont mes fêtes de la nuit.
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