TAMERLAN
Version
française – TAMERLAN – Marco
Valdo M.I. - 2019
Chanson
allemande – Mir
ist heut’ so nach Tamerlan – Kurt
Tucholsky – 1922
Texte
de Kurt Tucholsky, sous le
pseudonyme
de Theobald Tiger.
Musique
de Rudolf Nelson (1878-1960), Allemand, compositeur et imprésario de
cabaret.
Texte
trouvé sur Mudcat Café, dans la base de données musicale allemande
Chanté
à l’origine par Fritzi Massary (1882-1969), une actrice et
compositrice autrichienne. Récemment repris par Ute Lemper dans son
album "Berlin Cabaret Songs" de 1996.
Petit Tamerlan illustré |
Le
cabaret berlinois à l’époque de Weimar n’avait rien à envier
au cabaret parisien, et la vie sociale étincelante et, surtout, la
vie nocturne étaient absolument comparables. Kurt Tucholsky,
correspondant à Paris du journal « Die Weltbühne », a
respiré ces deux incroyables airs de liberté débridée et est
devenu l’un des plus importants auteurs de pièces pour cabaret.
Mais déjà au début des années vingt, Tucholsky a commencé à
respirer un autre air, cette fois-ci méphitique et malade, qui était
apprécié par les castes politiques, financières et militaires,
mais aussi par beaucoup de gens ordinaires, celui du désir d’un
retour à l’homme fort – le Tamerlan de la chanson – qui allait
ramener l’Allemagne à son ancienne splendeur impériale. C’est
peut-être pour cela que le grand Tucholsky, habitué à l’air
frais et libre, après l’avènement du nazisme ne put plus
respirer. Amoureux de la beauté, juif et anti-autoritaire, ennemi
juré de tout nationalisme guerrier, Tucholsky s’enfuit en Suède
et s’y suicida en 1935.
Dialogue
Maïeutique
Quoi ?
Que vient faire Tamerlan dans un cabaret berlinois d’il y a presque
cent ans ?, demande Lucien l’âne.
Tout
réfléchi, dit Marco Valdo M.I., je peux te l’expliquer. Mais pour
cela, il faut mieux connaître Kurt Tucholsky et sa manière de
procéder et doublement : dans la création poétique,
littéraire, politique et dans la vie, particulièrement dans ses
relations avec les femmes. Pour cette chanson, il convient de se
souvenir qu’il s’agit d’une chanson de cabaret, ce qui implique
une forte dose d’acide comique, mêlé d’acide ironique et
d’acide humourique. On doit donc se figurer un cabaret de l’époque,
t’en souviens-tu ? Mettons l’Ange
bleu tel qu’il apparaît dans le film de Sternberg.
Certainement,
Marco Valdo M.I., ces cabarets étaient des lieux où on pouvait
passer la soirée ou même la nuit, où on mangeait (mais pas dans
tous), où on buvait (dans tous), on consommait diverses substances
(partout, mais pas tous), où il y avait une piste de danse (mais pas
dans tous) et où des artistes se produisaient – du musicien à la
stripteaseuse en passant par le magicien, le danseur, la chanteuse,
etc. L’éclairage – sauf sur l’artiste – y était
généralement tamisé. Il y avait là toute une atmosphère de
complicité, d’alcôve, d’alcool ; une fausse réalité
alimentée par une intimité factice.
Donc,
Lucien l’âne mon ami, imagine la chose. On est dans un cabaret et
c’est une dame qui chante Tamerlan. Sa chanson relate la
conversation qu’elle tient avec son compagnon quand elle est assise
avec lui à une table dans la salle du cabaret comme une de ces
multiples jeunes femmes rêveuses. Et de fait, elle rêve, elle
rumine, elle calcule aussi ; son imagination voyage entre le
songe et la réalité, entre ses illusions de jeune femme et la
réalité qui l’attend au sortir du fantasme. Bref, elle est à la
recherche du prince charmant, de l’homme fort à séduire qui lui
assurera un bel avenir. Son compagnon de soirée est Tucholsky
lui-même qui fait écho à leurs chuchotements.
Tucholsky,
dit Lucien l’âne, mais il n’a jamais rien eu d’un Tamerlan,
même si c’était un séducteur assidu.
Oh,
je le sais, Lucien l’âne mon ami, je l’ai d’ailleurs décrit
en action dans une chanson intitulée « Mademoiselle
Ilse »,
où on retrouve cette même atmosphère berlinoise des années de
Weimar, la même qu’on peut reconnaître dans le Fabian.
Die Geschichte eines Moralisten
(Fabian, l’histoire d’un moraliste) d’Erich
Kästner, publié
en 1931.
La version originale intégrale, qui devait s’intituler Der Gang
vor die Hunde (Le couloir pour le chien), n’a été publiée qu’en
2013 et en 2016 en français sous le titre significatif (pour décrire
cette époque et la nôtre) : « Vers l’Abîme ».
Donc,
Lucien l’âne, retiens que cette chanson est un aparté entre deux
personnes au cabaret et tout comme dans Mademoiselle Ilse, Kurt
Tucholsky se met en scène dans son costume de séducteur, c’est le
pseudo-Tamerlan avec qui la dame s’entretient. Écoute-le dire en
conclusion en s’appliquant à lui-même cette ironie cinglante et
lucide :
Aujourd’hui,
je suis fort comme Tamerlan !
Un
petit peu Tamerlan, ce serait épatant.
Ce
n’est pas pour toi et moi,
Ils
ont tous un grain !
Ne
pleure pas pour rien,
Il
n’y en a plus maintenant
Comme
Tamerlan.
Reste
maintenant à voir le côté prophétique de la chanson, car la
chanson (plus exactement, l’auteur de la chanson) a souvent joué
le rôle périlleux de Cassandre. En l’occurrence, ce sera le cas.
Sortant du néant avant de la créer et d’y retourner, Tamerlan
reviendra sur la scène du monde et sur son passage, l’herbe
disparaîtra. L’humanité aussi, d’ailleurs.
Il
me semble, dit Lucien l’âne, que si cette chanson résonne tant à
nos oreilles, c’est qu’elle trouve à nouveau écho dans notre
temps. Je vois partout des apprentis Tamerlan. Enfin, en voilà assez
pour cette chanson ; tissons le linceul de ce vieux monde de ce
vieux monde déliquescent, tourmenté, crétin, fantasmatique et
cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane.
Tamerlan
le duc des Kirghizes était
Et
tout le monde savait en Asie
Que
quand Tamerlan traversait les vertes prairies,
Où
il marchait, l’herbe ne repoussait jamais.
Et
que toutes les femmes craignaient son arrivée,
Car
quand les villes tombaient, tombaient les filles.
Il
était toujours prêt pour une lutte acharnée,
C’était
le bon temps en Asie !
Aujourd’hui,
je suis fort comme Tamerlan !
Un
petit peu Tamerlan serait mieux.
Ce
serait quand même embarrassant,
Ça
fait rire, ça me gêne un peu.
Je
pense que quelque chose va arriver,
Cette
nuit, quelque chose va se passer.
Aujourd’hui,
je suis fort comme Tamerlan !
Ce
serait bien un petit peu Tamerlan.
Et
dans le public, le fluide, je le sens
Serpenter
comme le courant.
Oh
Monsieur, allez-vous-en,
Il
n’y a place ici à présent
Que
pour Tamerlan.
Tamerlan,
ma chère enfant, oui, du gâteau !
Être
comme Tamerlan, ce serait très beau.
Un
Tamerlan, elle peut chercher longtemps,
Dans
ce trafiquant de devises ventripotent
Et
quand une femme embrasse un gros chauve
On
sait que c’est pour du vent.
Elle
cherche en vain son Tamerlan,
Redescends
sur terre, regarde-le !
Ici,
on ne trouve pas de Tamerlan,
Ce
serait bien un petit Tamerlan.
Je
vais regarder les hommes ici, ohlala,
Il
n’y a pas de Tamerlan là !
Aujourd’hui,
je suis fort comme Tamerlan !
Un
petit peu Tamerlan, ce serait épatant.
Ce
n’est pas pour toi et moi,
Ils
ont tous un grain !
Ne
pleure pas pour rien,
Il
n’y en a plus maintenant
Comme
Tamerlan.
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