Les
Araignées rouges
Lettre
de prison 3
Canzone
léviane – Les Araignées rouges – Marco Valdo M.I. – 2018
Dialogue
Maïeutique
Vois-tu,
Lucien l’âne mon ami, il faut toujours garder à l’esprit le
temps, non pas le temps qu’il fait, mais bien ce temps qui est et
qui passe obstinément. Par exemple, il ne faudrait pas oublier que
ces chansons de prison sont le reflet de lettres de prison qui ont
été écrites il y a plus de quatre-vingts ans.
Certes,
dit Lucien l’âne, quatre-vingt-cinq ans, c’est plus de quatre
cinquièmes d’un siècle ; c’est un fameux bout de temps,
l’équivalent d’une vie humaine actuelle. Soit, mais pourquoi
dis-tu ça maintenant ?
Tout
simplement, répond Marco Valdo M.I., parce que dans le cas de ces
Araignées rouges, ça n’a aucune importance ; elles me
paraissent intemporelles. Du moins, elles sont à l’échelle du
millénaire et s’il n’y était pas question de monastères
(minster, munster, münster, moutier) et de couvents, dont l’origine
se situe vers 350 en Égypte – un temps où l’Égypte était le
haut lieu de la chrétienté et qui naquirent du rassemblement des
cénobites tranquilles et ces araignées rouges remonteraient aux
premières prisons, il y a plusieurs milliers d’années ; en
fait, probablement, quand les prisons sont apparues à la création
des premières agglomérations ; ce sont de petites personnes
curieuses et pour ce qui en est dit par Carlo Levi, des animaux fort
sociables et affectueux. Cependant, leur développement moderne comme
lieu d’enfermement de longue durée, tendant à la punition et à
la rédemption, est lié à l’Inquisition.
Bien,
bien, Marco Valdo M.I., mais il me semble que tu en as dit assez à
ce sujet. Parle-moi plutôt de ce que raconte la chanson.
Puisque
tu le demandes, Lucien l’âne mon ami, je m’en vas te faire un
petit topo de la canzone. On retrouve au début, comme il est
logique, une amorce, une petite réflexion sur le temps qu’il fait,
ce temps qui passe sans rien faire d’autre, c’est de temps vide
de la vie vide, c’est le temps du rien, c’est le temps où naît
l’ennui, si on ne peut nourrir le néant de sa propre création.
Ensuite, viennent les Araignées, de petites araignées rouges qui
pour les « confinés pour de longs temps », sont des
compagnes bienvenues et bien soignées.
En
disant ça, Carlo Levi passe le message apaisant que lui ne fait pas
partie de ces « confinés pour un long temps » ; il
rassure sa famille et en même temps, il fait savoir à destination
de ses « amis » de Giustizia e Libertà (Justice et
Liberté) qu’il pense sortir bientôt. Cependant, en prison, le
temps n’a pas la même dimension qu’à l’extérieur. Qu’est-ce
que bientôt ?
« Des
araignées rouges au ventre tendu ;
Elles
arrivent avec le printemps.
Les
confinés pour de longs temps
Les
soignent avec un amour éperdu. »
Et
dans le quintil suivant, il ajoute :
« Pour
moi, elles sont apaisantes ;
Je
n’ai pas l’âme d’un prisonnier. »
Oh,
Marco Valdo M.I., je t’interromps, mais je voudrais faire une
remarque. La première concerne les araignées rouges qui sont
soignées par les prisonniers ; j’ai entendu dire, au long de
mes longues pérégrinations, qu’il n’y a pas que les araignées
du printemps à tenir ainsi compagnie aux prisonniers ; il y a
des rats, des souris, des chats, des oiseaux. En fait, tous ceux qui
peuvent franchir les barreaux et viennent apprivoiser le gros animal
encagé.
Ensuite,
reprend Marco Valdo M.I., Carlo Levi évoque le soleil et
Campanella ; il s’agit de dire beaucoup de chose : un,
son niveau de débat face au régime ignare ; deux, La Cité du
Soleil qui est évidemment le monde de plein air auquel il aspire ;
trois, Campanella lui aussi fit de la prison et malgré qu’il dut y
passer 27 ans, il en sortit et reprit le cours de sa vie.
« Quant
au soleil, si chaud au cœur,
Campanella
l’invoquait par désir de chaleur. »
On
voit bien ce que tout ça évoque et laisse entendre à qui veut bien
comprendre. C’est le « comprend qui peut, comprend qui
veut ». Ensuite, il parle à nouveau de peinture, mais d’un
peintre révolutionnaire, ni contestataire, il parle d’un peintre
ancien et replace ainsi sa revendication de son statut d’artiste,
menant sans en avoir l’air une ligne de défense qu’il va
développer, y compris lors des interrogatoires des juges du Tribunal
spécial, institué par Mussolini pour les opposants au régime :
« Fra
Angelico, à la fresque, y peignait le monde. »
Il
s’agit également d’entretenir son image d’artiste hors du
temps, ignorant de politique et par conséquent forcément à l’écart
de la lutte antifasciste. Enfin, dans le dernier quintil, il s’en
prend à la prison en tant que peine, ce qui est une attaque frontale
contre le fondement du régime qui est précisément la discipline,
l’obéissance et les conséquents châtiments. En fait, ce banal
petit bout de poème est en soi toute une philosophie de
l’organisation sociale. La prison, la façon de traiter le
prisonnier est un des miroirs dans lequel on peut voir à nu l’esprit
de la société.
Décidément,
Marco Valdo M.I., il me faut comme chaque fois t’arrêter dans tes
réflexions. Ce n’est pas qu’elles me paraissent insignifiantes,
ni qu’elles me révulsent, mais il s’agit – je dois te le
rappeler – de commenter une canzone. Alors, tissons le linceul de
ce vieux monde prisonnier de lui-même, de l’ennui, de l’envie,
de l’arrogance, de l’ignorance et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Finalement,
il fait beau ;
Les
belles journées de printemps
S’allongent
et donnent chaud.
Ce
premier orage maintenant,
Pour
la saison, c’est fort tôt.
Tout
à l’heure, j’ai vu
Des
araignées rouges au ventre tendu ;
Elles
arrivent avec le printemps.
Les
confinés pour de longs temps
Les
soignent avec un amour éperdu.
Pour
le pauvre prisonnier,
Ce
sont choses troublantes,
Des
rides sur un visage aimé.
Pour
moi, elles sont apaisantes ;
Je
n’ai pas l’âme d’un prisonnier.
Quant
au soleil, si chaud au cœur,
Campanella
l’invoquait par désir de chaleur.
Pour
moi, la cellule n’est pas un trou immonde ;
La
lumière s’y déverse par-dessus la bonde ;
Fra
Angelico, à la fresque, y peignait le monde.
Monastères,
couvents et prisons se ressemblent
Vont
fort bien ensemble,
Tous
privent de présent :
Les
uns, au nom de la vie future ;
Les
autres, en raison du passé, également.
La
prison est absurde, c’est une méthode
Qui
attache à sa faute le condamné,
Qui
l’incruste dans son passé.
Elle
applique un code
Depuis
longtemps passé de mode.
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