Le
Fils emprisonné
Lettre
de prison 1
Canzone
léviane – Le Fils emprisonné – Marco Valdo M.I. – 2018
Le
Fils emprisonné
Lettre
de prison 1
Canzone
léviane – Le Fils emprisonné – Marco Valdo M.I. – 2018
Dialogue
Maïeutique
Par
deux fois, avec un intervalle de quelques mois, le peintre Carlo Levi
(1902-1975) qui vivait à Turin, est arrêté et interné aux Nuove,
la prison historique de Turin. C’était en 1934 et en 1935, avant
d’être envoyé à Regina Cœli à Rome et de là, en relégation à
Aliano en Lucanie. Durant ces séjours dans ces établissements
publics, il enverra des lettres à sa famille. Ce sont ces 42
lettres, tirées de l’édition italienne :
« È questo il «Carcer tetro»? Lettere dal carcere 1934-1935
(Il Melangolo – 1991),
dont j’ai fait les versions françaises que sont ces chansons.
Ah, dit Lucien l’âne, voilà qui me paraît intéressant, déjà, car il s’agit de Carlo Levi, mais aussi, car je me suis toujours demandé ce que pensait un prisonnier au fur et à mesure qu’il découvre l’univers carcéral et que se prolonge son emprisonnement.
Eh
bien, Lucien l’âne mon ami, tu vas être servi. Cela dit, il y a
bien d’autres lettres de prison, mémoires de prison, carnets de
prisons, cahiers de prison qui ont été écrits et publiés et par
exemple, sans trop chercher : Casanova, Cellini, Wilde,
Koestler. Parallèlement à ces lettres de Carlo Levi, on connaît
les Cahiers de Prison d’Antonio Gramsci qui datent de la même
époque. Cependant, ils ne sont pas écrits dans le même contexte,
ils avaient dès le départ une autre ambition, un autre but du fait
que contrairement à Carlo Levi, Gramsci sait qu’il va rester un
long temps en prison. Il s’est donc tracé un programme : « Je
voudrais, suivant un plan préétabli, m'occuper intensément et
systématiquement de quelque sujet qui m'absorberait et polariserait
ma vie intérieure. » Ici, il s’agit de « simples
lettres » à caractère familial et familier. Toutefois, on
peut mettre en balance ces deux séjours forcés : ils se
déroulent dans la même période, dans le même pays, face au même
pouvoir. Sans compter que Carlo Levi et Antonio Gramsci se
connaissaient depuis des années. Cependant, il faudra attendre 1946
pour que Carlo Levi publie Le Christ s’est arrêté à Eboli, qui
est son « cahier de relégation » et qui prolonge ces
quelques lettres. Autrement dit, ces lettres peuvent servir
d’introduction à cet écrit fabuleux.
Soit,
dit Lucien l’âne. Cependant, de Carlo Levi et de ses écrits nous
avons déjà parlé ; spécialement de ce qu’il avait inclus
dans son Quaderno a Cancelli, dont tu as tiré plus de cent chansons,
toutes agrémentées de nos petits dialogues. Tu en as même, si je
ne trompe pas, tiré trois livres.
En
effet, Lucien l’âne, tu as bonne mémoire. J’ai regroupé ces
chansons sous le titre général de Chansons lévianes, ce que seront
également celles-ci, et je les ai publiées en 3 tomes – au total,
750 pages – sous les titres :
« Le
Guerrier afghan » ; « Le
grand Rat » ; « L’Homme
en Pain d’Épice ».
Comme
il n’y a que 42 lettres cette série sera nettement plus courte et
de toute façon, fort différente.
À
propos, Marco Valdo M.I. mon ami, pourrais-tu me dire quelques mots
de cette chanson qui inaugure ce cycle.
Certes,
Lucien l’âne mon ami. D’abord, il faut se dire que c’est la
première fois que Carlo Levi est mis en prison et qu’il ne s’y
attendait pas vraiment à ce moment-là, même si c’était une
éventualité pour tous les antifascistes qui vivaient en Italie.
Donc, comme prisonnier, il fait ses classes, il découvre un univers.
Cependant, le résistant clandestin de G.L. (Giustizia e Libertà ;
Justice et Liberté) qu’il est, a les réflexes qu’il convient et
n’ignore nullement que toutes ses lettres passent d’abord par la
censure, c’est-à-dire par les mains de la police politique du
régime. Il va devoir dire des choses anodines et au travers de ces
propos communs faire passer autre chose aussi. Par exemple, quand il
dit :
« Et
dites à tous les amis
Que
je serai bientôt en ville. »
il
faut comprendre : « Prévenez les amis (ceux de la
résistance) que je suis en prison ». Inversement, Carlo Levi
va utiliser cette lecture par la police politique pour affirmer son
innocence, pour affirmer sa qualité d’artiste et répéter son
incompréhension face à son emprisonnement. Enfin, il va tenter de
rassurer sa mère à qui il écrit la plupart de ces missives.
Arrête-toi,
Marco Valdo M.I., j’en sais assez pour l’instant. À présent, il
nous faut tisser le linceul de ce vieux monde emprisonneur,
incarcérateur, emmureur et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
17
mars 1934
Chère
maman, il ne faut pas pleurer.
Voici
des mots, des baisers,
Des
sourires, des caresses
Et
toute la tendresse
D’un
fils emprisonné.
La
prison n’est pas si triste,
Ni
si obscure, ni si pénible
Que
d’aucuns le pensent ;
On
y est nourris,
Logés
et servis.
À
l’ombre, sans privation matérielle,
On
jouit d’une lumière éternelle
Qui
entre par la fenêtre grinçante.
Dans
ma cellule, je lis Dante ;
C’est
une expérience divertissante.
Je
n’ai pas l’habitude
De
me laisser abattre.
J’ai
tant de pensées pour peupler
La
plus longue solitude
Sans
un instant me dessécher.
L’imagination
embellit
Le
jour et la nuit.
Je
ne vais pas me lamenter,
Ni
du fond de mon lit,
Lancer
des plaintes et des cris.
Ne
te fais pas de souci !
Tout
ceci sera vite fini.
À
la maison, vivez tranquilles
Et
dites à tous les amis
Que
je serai bientôt en ville.
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