lundi 3 septembre 2018

Festins de Carême

Festins de Carême


Chanson française – Festins de Carême – Marco Valdo M.I. – 2018
Ulenspiegel le Gueux –
84
Opéra-récit en multiples épisodes, tiré du roman de Charles De Coster : La Légende et les aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d’Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au Pays de Flandres et ailleurs (1867).
(Ulenspiegel –
III, XL)





Dialogue Maïeutique

Festins de carême et au pluriel encore bien, Marco Valdo M.I. mon ami. C’est époustouflant ! C’est vraiment une belle expression, mais elle m’effraye un peu, car elle est pour le moins contradictoire. Que peut être un festin de carême, comment faire jeûne en mangeant festivement ? Car si je ne me trompe pas, le festin est un repas de fête, une occasion de ribote, un moment de joie rituelle, tandis que le carême est une occasion d’abstinence, une fête triste, une absence de joie, une interdiction de jouir de la vie. Comment expliquer ça ? Habituellement, festiner et jeûner ne vont pas de pair.

Je te rejoins totalement, Lucien l’âne mon ami, quand tu assimiles le festin à une agape, à un banquet et que tu mélanges tout dans une sauce de joie et de plaisir. Le festin de carême est un brouet de malheur, un rabat-joie, c’est une manière de catégoriser la disette ; c’est le festin du pauvre, c’est l’agape de la misère. Tout le contraire des agapes qu’envisageaient les copains de Jules Romains :

« Ah ! Mes frères, oserons-nous renouveler les naïfs transports des premiers chrétiens ? Retrouverons-nous la ferveur des agapes, où, loin des froides perversités du siècle, tous les membres de la communauté, hommes et femmes, garçons et filles, possédés par un immense amour, en proie à l’esprit, se précipitaient dans les bras les uns des autres… »

En effet, certes, mais les premiers chrétiens ne devaient pas nécessairement s’aimer les uns sur les autres comme ambitionnaient ces « copains », ceux que chantait Brassens lui-même, car c’est bien Huchon, Bénin, Lesueur (l’immortelle statue à poil de Vercingétorix) et les autres. Cela dit, Marco Valdo M.I., revenons à la chanson. Que raconte-t-elle ? C’est ce qui m’intéresse au plus haut chef.

Eh bien, au début, reprend Marco Valdo M.I., il est effectivement question de la nécessité de faire des économies, de réduire les dépenses et par voie de conséquence, les débordements de la panse de Lamme. Et Lamme se lamente et Till rétorque et les deux copains finissent dans une auberge où le repas est maigre, aussi maigre qu’un fakir ou qu’un festin de carême. Till s’en amuse, Lamme désespère. Et puis, Miracle en Auberge, le baes (le patron de la Sirène) offre subitement un repas pantagruélique que Lamme s’empresse d’avaler. Derrière le miracle, il y a une fée, une magicienne, une jolie sorcière qui n’est autre que la femme de Lamme, qui pour des raisons mystérieuses, qu’on éclaircira plus tard, ne peut s’attarder auprès de lui et chaque fois, s’enfuit. Mais vois-tu, Lucien l’âne mon ami, il faut lier cette chanson à la suivante, dont je ne connais pas encore le titre, ni le texte, mais qui sera le négatif de celle-ci. Lamme incarne le bonhomme et l’homme bon, aimant la vie et la bombance, mais aussi celui qui ne fait cette guerre que contraint et forcé et encore, afin d’accéder à la paix dans les Hauts et Bas Pays et fait contraste avec Philippe, roi d’Espagne, fauteur de guerre, de religion et de malheur. Lamme est authentiquement contre la guerre et sa chanson aussi.

Je sais, dit Lucien l’âne, les meilleures chansons contre la guerre sont les chansons de temps de paix, qui racontent des moments où la vie vaut vraiment d’être vécue. De toute façon, en temps de guerre, statistiquement, la vie ne dure pas ou pour d’aucuns, elle est solidement raccourcie. Mais trêve de philosophie gastronomique, tissons le linceul de ce vieux monde triste, maussade, misérable et cacochyme.


Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



« Lamme, nos finances sont en baisse ;
Il nous faut restreindre nos aises.
De deux, dit Till, il nous faut faire une.
Je garderai la bourse commune. »

Lamme dit : « Ne me laisse pas mourir de faim,
Gros, j’ai besoin de substantielle nourriture.
Le mince se nourrit d’aventures,
Mais moi, il me faut d’autres festins. »

« Oh, dit Till, festins de carême
Sont de vertueux festins.
Au plus lourd, ils donnent de l’entrain.
Dégraissé, tu iras comme le cerf lui-même. »

« Maigre sort, dit Lamme, j’ai faim.
Le soir tombe, je veux souper. »
À la Sirène, on sert fromage et pain
Et triste bière préludant au coucher.

Et Till rit de voir Lamme dépité,
Et aux vitres de la salle, un instant paraît
Un museau rieur qui sitôt disparaît.
Lamme est si chagrin, Till a pitié.

Il veut commander omelette, bœuf et boudin.
« Si messires, dit le baes, veulent meilleur souper
Omelette au jambon, choezels, castrelins,
On servira illico sans devoir débourser

Et chapon qui sous la dent fond,
Et carbonnade aux quatre épices,
Et bières et vins en hanap profond. »
Lamme conclut : « Apportez tous ces délices ! »

Et mange tout sans désemparer :
Jambon, chapon, castrelins, omelette,
Et boit bières et vins à plein gosier ;
Enfin, il souffle d’aise comme baleine replète.

Au matin, Till trouve Lamme ronflant
Dans un grand lit, avec une bourse à côté de lui
Emplie de carolus d’or et de patards d’argent.
« Où est ma femme, crie Lamme. Elle était ici cette nuit. »

« Ne pleure pas, Lamme, tu la reverras ta femme.
Elle t’aime encore, elle est venue pour toi.
Ne pleure pas, l’ami, elle reviendra ta femme,
C’est une bonne fille et elle tient à toi. »

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