AQUALUNG
Version
française – AQUALUNG – Marco Valdo M.I. – 2018
d’après
la version italienne de Riccardo Venturi (version collective) –
2013
Te
souviens-tu encore
Du
brouillard gelé de décembre
Quand
ta barbe glacée
Criait
à l’agonie ?
|
Je
me suis souvenu de lui il y a quelques jours en le rencontrant lui,
Aqualung, en plein centre de Florence, ville d’art. Vers trois
heures de l’après-midi, il dormait dans ses haillons sur deux
bouts de carton, dans le Melarancio, entouré d’horreurs de tout
genre, dans l’encoignure d’un mur parmi les touristes et les
citadins qui passaient sans y faire attention. Une épave humaine
parmi tant, dans la puanteur et dans l’indifférence ; laid et
sale. Et, peut-être, même mauvais comme Aqualung, qui fait le
cochon avec les gamines et il maudit dieu au travers des diverses
« institutions bénéfiques » plus ou moins à la mode.
On dit qu’Ian Anderson a écrit ce morceau, et l’album, après
avoir vu une photo prise par sa femme qui représentait un clochard ;
il en sortit des textes mauvais, dissonants, sans aucun romantisme,
en allant à creuser dans la ruine humaine. Et dans la ruine d’une
société entière, qui ne s’est certainement pas arrêtée. Ainsi,
en passant devant un homme qui dormait dans la rue, il est arrivé
que cette chanson m’est venue presque automatiquement à l’esprit.
Pas que je sois meilleur que les autres qui passaient sans s’en
apercevoir ; avoir une simple pensée ne sert à rien, ne change
rien. Peut-être, au contraire, elle devient seulement prétexte pour
parler d’une chanson, aussi belle qu’elle soit. Il s’est passé
ensuite que, quelques jours plus tard, j’ai parlé d’une maison
où se cache Aqualung et sa vie qui ne doit pas y être ; ainsi
naquit tout ceci. Cependant attention, attention toute. Aqualung nous
pouvons le devenir tous, sans aucune exception. Personne n’est
exempt, personne est pardonné ; Ian Anderson l’avait bien
compris, auquel il dut s’activer quelque chose dans la désaxement
qui était en lui. Et, ainsi, dans la couverture de l’album,
Aqualung a son apparence exacte. [RV]
Un
curieux sort frappe les textes des
chansons, même des
plus célèbres. Même les livrets des albums des originaux, sont
incomplets et incorrects par rapport à la
chanson ; le Réseau, ensuite, a fait
le reste. Ainsi, on s’y est
mis à écoute et les parties manquantes
ont été rétablies et certaines dictions correctes. Ainsi que les
répétitions des strophes, vu qu’elles
font partie de la chanson de
plein droit.
Dialogue
maïeutique
« Aqualung »,
Marco Valdo M.I. mon ami, voilà bien un titre curieux et si c’est
le nom d’une personne, un nom bizarre. Et puis, à ce qu’il me
semble, c’est une chanson anglaise et je pensais que tu ignorais
l’anglais. De toute façon, il est fort rare que tu fasses une
version française de chansons anglaises.
Oh,
Lucien l’âne mon ami, tu as parfaitement raison. Je n’ai pas
l’habitude de m’aventurer dans les vastes paysages de la chanson
de langue anglaise. Principalement, car il y a tant de gens qui le
font, car l’industrie et commerce y sont
dominants et que moi, tu le sais, le bizenesse, ce n’est pas ma
tasse de thé et puis, il paraît que tout
le monde – excepté moi – comprend l’anglais et le pratique
couramment. Il est vrai que je me sens assez à l’écart et en
dehors de ce monde colonisé. Pour ce qui est de cette chanson et de
la version française que je vais proposer, si je l’ai faite, c’est
essentiellement à cause du récit introductif de Riccardo Venturi.
Mais peu importe la langue, car je voulais faire
connaître son évocation de cette scène
florentine et son commentaire
sur la « ruine de la société humaine ». Je suis donc
parti de là et ensuite, seulement
ensuite, j’ai abordé la chanson elle-même. Et pour
ce qui est du titre étrange, je te renvoie à l’explication de
Venturi qui parle d’un équipement de plongée sous-marine, qui –
vérification faite – existe toujours.
Voilà
qui répond à mes questions. Cependant,
Marco Valdo M.I.
mon ami, j’aimerais quand même quelques mots à propos de la
chanson elle-même.
C’est
une chanson qui raconte une histoire assez banale ; de plus en
plus banale, d’ailleurs, vois-tu Lucien l’âne mon ami. Elle
parle d’un clochard – actuellement et ici, on l’appellerait
S.D.F. (sans domicilie fixe) – du nom d’Aqualung, dénommé ainsi
en raison de ses difficultés respiratoires et du bruit qu’elles
occasionnent. Ce clochard se trouve dans un parc, sur un banc où il
regarde – bizarrement, les petites filles. « Il
zieute
les fillettes
de
ses
yeux pervers »,
dit la chanson ;
mais est-ce vraiment ce qu’il fait ou bien est-ce pure
interprétation, pur préjugé, dû à son apparence – c’est un
vieux SDF. En fait, il passe le temps comme il peut et devant ses
yeux passent les enfants qui jouent et courent ; alors, il les
regarde. Voilà tout.
Sans
doute, Marco Valdo M.I., un vieil homme mal habillé et pas trop bien
rasé, ça fait tache face à une pelouse. Mais enfin, qui dans un
parc, assis sur un banc à se reposer ne regarde pas les enfants qui
jouent, les petites filles qui courent ou qui dansent ? Ce
serait un spectacle réservé aux gens « propres sur eux »,
lesquels auraient – par nature et définitivement – une vision
correcte des
jeux
d’enfants. Tiens, ce pourrait être un prêtre sur le banc ?
On sait tous ce qu’il en est de certains de ces saints apôtres. En
l’occurrence, l’habit ne fait pas le moine. Mais je reviens à
cette scène banale d’un Clochard, d’un SDF sur un banc qui pour
moi est une scène de guerre, un épisode – sous le manteau de la
Guerre de Cent Mille Ans
que les riches font aux pauvres afin de les appauvrir, de les écraser
et de les mener à la ruine finale, à la misère.
C’est
en effet l’horizon de la chanson, reprend Marco Valdo M.I. et R.V.
a raison de faire remarquer que la misère – la « ruine
humaine » – car il s’agit d’elle, pas de la pauvreté
avec laquelle on peut encore vivre et à la rigueur, survivre. Ici,
pour Aqualung, il s’agit de la misère, comme qui dirait, pure et
dure – la dernière marche avant l’abîme. À ce propos, Lucien
l’âne mon ami, je voudrais insister sur cette
distinction, cette gradation du monde qui va de la richesse
(ultra-riche, très riche, riche, moyennement riche, un peu riche) à
l’aisance, à la médiocrité, à la pauvreté et tout au bout
(avant l’abîme) à la misère. On pourrait même introduire
d’autres degrés. Mais dans notre société foutument
binaire et
martiale, on ne connaît que le bien et le mal, le bon et le mauvais,
le blanc et le noir, le un et le zéro, le fort et le faible, le
riche et le pauvre, le gagnant et le perdant, le national et
l’étranger, le positif et le négatif et ainsi de suite. Cette
polarisation du monde n’est pas innocente ; c’est elle qui
est à la base de l’idée que la richesse est désirable , de
l’absolue interdiction qu’il y a de la mettre en cause, de
revendiquer une société fondée sur le refus de la richesse, fondée
sur la pauvreté, sur le refus du trop, du trop plein, de l’obésité
du quotidien, sur le refus de l’abondance et du gaspillage, qui
sont les marques du luxe tant prisé, tant vanté et tant désiré,
sur le refus pur et simple du désir de richesse, qui tel un cancer
pourrit l’existence.
Holà,
Marco Valdo M.I. mon ami, arrête-toi là, tu vas te mettre à
philosopher et nous n’avons pas le temps ce soir. Il nous faut
conclure et rependre notre tâche et tisser le linceul de ce vieux
monde riche, binaire, antagoniste et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Assis
sur un banc du parc,
Il
zieute
les fillettes de
ses yeux pervers.
Le
snot coule de son
nez,
Ses
doigts gras encrassent ses
loques sales,
Aqualung.
Il
sèche au soleil froid,
Il
guette les dentelles fugaces
des petites culottes.
Aqualung.
Il
se sent
canard oiseux,
Et
crache les bouts
de ses chances
perdues.
Oh,
Aqualung.
Le
soleil brille froidement,
Le
vieil homme vague seul
Passant
le temps
De
la seule façon qu’il
connaît.
Sa
jambe fait un mal de chien
Quand
il ramasse un
mégot,
Il
met ses pieds dans
le marigot
Pour
les
réchauffer.
Il
se sent
seul,
La
salutiste est au coin de la rue,
Doucereuse
charité à la mode
Et
tasse de thé.
Aqualung,
mon ami
T’en
va pas comme ça,
Mon
pauvre vieux, c’est seulement moi.
Te
souviens-tu encore
Du
brouillard gelé de décembre
Quand
ta barbe glacée
Criait
à l’agonie ?
Et
retenait tes derniers râles
Comme
les gargouillis d’un plongeur.
Les
fleurs éclosent
Comme
folie au printemps.
Le
soleil brille froidement,
Le
vieil homme vague seul
Passant
le temps
De
la seule façon qu’il
connaît.
Sa
jambe fait un mal de chien
Quand
il ramasse un
mégot,
Il
met ses pieds dans
le marigot
Pour
les
réchauffer.
Tu
te sens seul,
La
salutiste est au coin de la rue,
Doucereuse
charité à la mode
Et
tasse de thé.
Aqualung,
mon ami
T’en
vas pas comme ça,
Mon
pauvre vieux,
c’est seulement moi.
Aqualung,
mon ami
Ne
t’en va pas
énervé,
Mon
pauvre vieux,
c’est seulement moi.
Assis
sur banc du parc,
Il
zieute
les fillettes
avec des yeux pervers.
Le
snot coule de son
nez,
Ses
doigts gras encrassent ses
loques sales,
Aqualung.
Il
sèche au soleil froid,
Il
guette les
dentelles des petites culottes.
Aqualung.
Il
se ressent
canard oiseux,
Il
crache les bouts de ses
chances perdues.
Oh,
Aqualung.
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