L’Égyptienne
Chanson
française –
L’Égyptienne
–
Marco Valdo M.I. – 2018
Ulenspiegel le Gueux –
83
Opéra-récit
en multiples épisodes, tiré du roman de Charles De Coster : La
Légende et les aventures héroïques, joyeuses et glorieuses
d’Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au Pays de Flandres et
ailleurs (1867).
(Ulenspiegel – III,
XXXIX)
Dialogue
Maïeutique
Une
Égyptienne, maintenant, Marco Valdo M.I. mon ami, que ne vas-tu pas
encore nous inventer ?. Que vient faire une Égyptienne dans les
Pays et pourquoi danse-t-elle au coin d’un bois perdu ? Je
suppose qu’il ne s’agit pas d’une réincarnation de Cléopâtre
ou de la belle Néfertiti qui faisait tourner la tête à Martin dans
la chanson Martin-Néfertiti.
Détrompe-toi,
Lucien l’âne, il ne s’agit pas d’une de ces pharaonnes
antiques, mais d’une jeune fille qui danse, danse devant Lamme qui
est persuadé de reconnaître sa femme. Voilà toute l’aventure.
Que
Lamme, que la silhouette de sa femme obnubile, pense voir sa femme
dans tous les minois qui l’environnent, dans toutes les formes qui
tremblent dans son regard, je n’en doute pas un instant et que
cette vision l’affole au point de lui troubler la raison, j’en
suis certain aussi. Mais ce que je ne sais pas, c’est ce que vient
faire une Égyptienne dans cette légende du Nord.
Laisse-moi
d’abord, Lucien l’âne mon ami, te confier un secret, qui n’en
est pas vraiment un comme on va le voir. Cette Égyptienne n’est
pas une Égyptienne au sens où on l’entend habituellement. Elle ne
vient pas d’Égypte, de ça, on est sûr. Cependant, on ne sait
trop d’où elle vient et à mon sens, on ne le saura jamais.
Peut-être d’Europe centrale, d’un pays de la Mer Noire, des
Balkans, d’Espagne ou même d’Italie.
Comment
ça, s’étonne Lucien l’âne, on ne sait pas d’où elle vient,
mais alors pourquoi l’appeler l’Égyptienne.
Au
temps de la Légende comme au Moyen-Âge, dans nos régions, explique
Marco Valdo M.I., on baptisait « Égyptien ou Égyptienne »
ceux qui venaient d’on ne savait trop où, qui avaient l’air et
des manières d’étrangers. Le mystère s’éclaircit un peu dans
la chanson, quand on s’aperçoit que c’est Till qui la dit
« Égyptienne », mais il précise immédiatement :
une « Égyptienne de Bohême », une personne à l’air
exotique, membre d’une troupe ambulante ou d’une tribu de gens du
voyage. À la fin de la chanson, l’homme qui la protège dévoile
ce qui faisait mystère : « Nous sommes des Gitans. ».
C’est donc en réalité, une Gitane, une Tzigane, une Rom, une
nomade, mais aussi une elfe, une nymphe, une dryade, qui sait ?
Elle me fait penser à l’étrangère d’Aragon que chantait Léo Ferré :
« J’ai
pris la main d’une éphémère
Qui
m’a suivi dans ma maison.
Elle
avait les yeux d’outremer
Elle
en montrait la déraison.
Elle
avait la marche légère
Et de
longues jambes de faon
J’aimais
déjà les étrangères
Quand
j’étais un petit enfant. »
ou
elle sur les
gitanes. Pour le reste, voir la chanson.
Quand
même, dit Lucien l’âne, les Gitans, les Bohémiens, les Roms ont
toujours été mal perçus et mal reçus partout dans les pays d’ici.
En
effet, Lucien l’âne mon ami, et ils le sont encore et
pas seulement eux d’ailleurs.
C’est toute une population SDF, ces
éternels migrants qui dérangent les
« gens
qui regardent
Le
reste avec mépris du haut de leurs remparts
La
race des chauvins, des porteurs de cocardes »
Bien
sûr, Marco Valdo M.I. mon ami, les migrants ne sont jamais les
bienvenus chez les morts-vivants de nos pays, chez ceux qui ont fait
de leur maison, de leur quartier, de leur ville une anticipation de
tombe, un avant-projet de cimetière, chez ces gens qui survivent en
phase terminale depuis leur enfance.
Une
dernière chose, Lucien l’âne mon ami, sur laquelle je voudrais
attirer l’attention, c’est que cette jeune personne un peu légère
est protégée par son groupe, car elle est atteinte d’une folie
d’amour ; protégée et non rejetée, comme la pauvre Clara
que j’évoque dans la chanson Hou
hou!
Maintenant,
il nous faut conclure et reprendre notre tâche et tisser le linceul
de ce vieux monde statique, casanier, xénophobe, raciste, idiot et
cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
« Ô
désespoir, dit Lamme,
Mes
pieds ne me portent pas.
Ma
femme, ma bonne femme,
C’est
elle, là-bas !»
« Elle
est belle, cette fille si menue
Dans
sa mousseline à demi-nue,
Mais,
dit Till, trop jeune cette inconnue,
Pour
être ton épouse disparue. »
« C’est
elle, c’est elle, je le vois.
Et
je ne peux marcher, porte-moi !
Danser
dévêtue, les seins hors du corsage,
Elle,
toujours si douce et si sage.
Ses
bras ronds sortent de la dentelle
Et
ses dents rient en sa figure
Et
se tend, et se tord sa cambrure
Et
ses yeux hardis, sûrement, c’est elle. »
« Cette
danseuse n’est pas celle que tu aimes,
Dit
Till, c’est une Égyptienne de Bohême. »
Soudain,
un chien se jette sur la belle
Et
Lamme court sauver la donzelle.
« Où
as-tu mal ? Dis-le-moi !
Pourquoi
ce rire hagard, ce regard plein d’éclats ? »
Lamme
l’étreint, Lamme l’enlace.
Il
la relève, il l’embrasse.
« Et
cette marque sous le sein droit,
Je
ne la retrouve pas.
Ciel,
ma femme, ce n’est pas toi.
Mais
qui est donc dans mes bras ? »
La
fille s’enfuit et son rire la suit.
Un
grand homme maigre et fier
Dit
à Lamme : « Il faut payer le prix ;
Payer
ses amours est de bonne guerre.
C’est
la fille du chef de notre famille.
Frappée
du mal d’amour et sans pudeur,
Elle
danse nue dans sa folie.
La
nuit devant le feu, elle pleure.
Till
demande : « Qui êtes-vous bonnes gens ? »
« Tous
nous repoussent, nous sommes des Gitans,
Des
danseurs, des musiciens, des magiciens.
Nous
vivons de réparations, de rapines ou de rien. »