LA CHANSON DE LA PRISON
Version
française – LA CHANSON DE LA PRISON – Marco
Valdo M.I. – 2018
Sabahattin
Ali fut avant tout un enseignant. Il enseignait la langue allemande,
car comme jeune et brillant licencié, il avait obtenu une bourse
d’études en Allemagne. Mais à son retour en Turquie, il fut
surveillé par la police politique du régime d’Atatürk et en
1933, il fut arrêté et emprisonné. C’est à cette période que
ce poème se réfère. Ils le libérèrent à condition qu’il jure
et célèbre en vers fidélité au président. Il le fit, mais ce
n’était pas fini. Ses vers et ses mots continuaient à ne pas
convaincre les sbires du pouvoir. Ils l’emprisonnèrent de nouveau
en 1944. Et en 1948, ils l’assassinèrent, dans des circonstances
jamais éclaircies.
Dialogue
maïeutique
Salut
à toi, Lucien l’âne mon ami, je me demandais justement comment tu
allais et où tu traînais tes sabots d’ébène. Je vois d’ailleurs
que tu as fait une balade dans un petit chemin de boue argileuse de
couleur orangée, me semble-t-il.
Salut,
Marco Valdo M.I. mon ami, tu as raison, après tous ces jours où on
traînait derrière soi un manteau de brouillard glacé, ça fait du
bien et donc, je reviens à l’instant d’une petite promenade au
soleil et comme tu l’as deviné dans un chemin boueux de couleur
orangée. Je me demande comment tu l’as su si exactement.
Oh,
Lucien l’âne mon ami, c’est fort simple : tes sabots
d’ébène étaient tout crottés de poussière orangée.
Soit,
Marco Valdo M.I., je sais que, vu mes
origines, j’ai des sabots d’Hellène et
d’Asie Mineure et ça tombe bien, dirait-on, vu que ta nouvelle
version française est celle d’une chanson turque. Laisse-moi te
dire d’abord, foi d’âne, que la Turquie, enfin, ce qui est
aujourd’hui la Turquie, a toujours été un territoire situé au
centre de bouleversements importants qui ont marqué ce côté-ci du
monde depuis la plus haute Antiquité. Dis-moi, je t’en prie ce
dont il s’agit.
En
fait, Lucien l’âne mon ami, dans cette chanson, l’auteur
Ali Sabahattin et le personnage qui chante la chanson, sont une seule
et même personne. Pour faire court, Ali
Sabahattin s’est retrouvé emprisonné en raison de ses écrits,
jugés dérangeants pour le régime turc – ils le sont toujours,
d’ailleurs. C’était un jeune professeur d’allemand dans divers
lycées turcs. À ce sujet il faut avoir
à l’esprit que l’allemand a toujours
été prisé comme langue étrangère chez les Turcs ; et
plus encore lors des cinquante dernières années ; à
l’heure actuelle, il y a environ trois
millions de Turcs en Allemagne. Donc,
ce jeune professeur d’allemand avait étudié à Berlin au temps de
la République de Weimar, moment où Berlin était en pleine
ébullition et couvait de grandes expériences culturelles ;
Berlin s’ouvrait au monde magnifiquement ; c’était juste
avant d’être étouffée par un nationalisme obtus. Le jeune
professeur ramena au pays d’Atatürk,
les espoirs de la démocratie allemande et il y fit écho. Mal lui en
a pris. On le mit en prison dès 1933 ; il
connaissait à distance le destin de ses collègues écrivains,
poètes, artistes et journalistes allemands. Ils partageaient sans
doute une même vision du monde, peu appréciée des gens du
pouvoir ; pire, ils entendaient la répandre.
Dis-moi,
Marco Valdo M.I. mon ami, as-tu quelque idée à propos de
l’orientation fondamentale d’Ali Sabahattin ?
Comme
bien des gens, Lucien l’âne mon ami, au cours de sa vie, il connut
diverses évolutions ; il évolua
notamment de positions assez nationalistes vers un abandon, puis une
opposition au nationalisme. Et comme tu le sais sans doute, être
contre le nationalisme en Turquie du temps d’Atatürk ou de ses
successeurs est une position risquée. Mais
la ligne essentielle qu’on pourrait retenir, c’est qu’il avait
une certaine aversion pour les régimes à parti unique et que dans
la Guerre
de Cent Mille Ans que
les riches et les puissants font aux pauvres, il démontra toujours
qu’il était du côté des pauvres ; c’est du moins ce qu’on
peut retirer des écrits et des récits qu’il publia au long de sa
vie (voir notamment :
Et
maintenant, demande Lucien l’âne, qu’en est-il de
la situation en Turquie ?
À
présent, Lucien l’âne mon ami, en Turquie, les choses ne sont pas
meilleures et comme le dit Filiz, la fille d’Ali dans une récente
interview à la BBC (http://www.bbc.com/news/magazine-36213246 :
The
mysterious woman who inspired a bestselling novel By
Emma Jane Kirby BBC News, Istanbul
– 8 mai 2016), c’est probablement, pire encore ; nous sommes
deux ans plus tard et la situation s’est encore aggravée.
Ainsi,
Ali Sabahattin,
s’il
vivait encore, si donc, il n’avait pas déjà été assassiné en
1948, il serait en prison ou aurait déjà été assassiné.
Pourtant,
sa voix, ses poèmes, ses écrits, ses chansons,
son roman (« La Femme au manteau de fourrure »)
connaissent en
Turquie un fort regain de popularité. Ils véhiculent un parfum de
résistance, une odeur de liberté. Les textes des écrivains
authentiques, surtout s’ils ont été persécutés, emprisonnés ou
tués, sont comme toujours dans les périodes d’obscurantisme, des
lectures libératrices et des facteurs de résistance. Il
est donc utile et important pour les gens de Turquie que de tels
textes trouvent également écho par-delà les frontières.
Bien
évidemment, Marco Valdo M.I. mon ami, et c’est à quoi s’emploient
les Chansons
Contre la Guerre.
Quant à nous, dans notre rôle de relais en langue française, nous
menons notre tâche, aussi limitée soit-elle, avec obstination et
nous tissons le linceul de ce vieux monde peuplé de présidents, de
dictateurs, de dictatures, de potentats, de sbires et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Jamais
on ne la perd.
Le
ciel est de la même couleur,
Pense
à des avenirs meilleurs
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