vendredi 16 mars 2018

BALLADE AUTOCRITIQUE


BALLADE AUTOCRITIQUE


Version française – BALLADE AUTOCRITIQUE – Marco Valdo M.I. – 2018
Chanson italienne – Ballata autocriticaFausto Amodei – 1972
Paroles et musique : Fausto Amodei








Dialogue maïeutique


Salut, Lucien l’âne mon ami, aujourd’hui, j’ai pris un peu de temps pour retourner dans un passé évoqué par un chanteur, auteur, compositeur, qui, en Italie, a produit une des œuvres des plus intéressantes et qui au bout d’un certain temps, comme cela est arrivé à d’autres, a soudain pris conscience du fait que la chanson ne change pas le monde de manière immédiate et en a fait une chanson : cette « Ballade autocritique ». Il faut dire aussi, vu la date où cette chanson a été composée, que c’était un peu la mode de faire « son autocritique » ; une mode inspirée des grands délires chinois.

Laisse-moi te rappeler, Marco Valdo M.I. mon ami, que cette manie de l’autocritique et de la confession publique n’était pas une nouveauté et qu’elle avait fait fureur en d’autres lieux et en d’autres temps dans les ambiances religieuses – Réforme et Contre-Réforme ou n’importe où sous des régimes à forte connotation collective ou nationale, dans n’importe quelle organisation sectaire avec tant d’abjurations, de rétractations, d’auto-dénonciations quand ce n’était pas de dénonciations de familiers. Cette idée d’autocritique est de la même soupe que celle d’obéissance ou de rédemption.

Cependant, même si en partie, ce titre reflétait un effet de mode, s’il utilisait un mot dans l’air du temps, renvoyait aux pires pratiques d’auto-délation et à sa conséquence, d’autopunition, dit Marco Valdo M.I., le contenu de la chanson heureusement n’a que peu à voir avec ces pratiques douteuses d’autoflagellation. Il s’agit plutôt d’un bilan, d’une interrogation, d’une réflexion de l’auteur sur son parcours artistique militant.

Oh, Marco Valdo M.I. mon ami, c’est plutôt réjouissant qu’un chanteur et plus généralement, un auteur fasse cette démarche et réfléchisse en profondeur sur son travail. Ce besoin de s’arrêter et de faire un bilan est fréquent chez les écrivains, les artistes, les chroniqueurs et même, bien au-delà chez tous ceux qui réfléchissent à leur propre vie. Évidemment, c’est le cas des gens qui se sont engagés en faveur d’une cause ou d’une autre : politique, sociale, artistique. À force de pratiquer une activité, après un certain temps, il y a comme une dépression qui se crée et s’installe ; elle dure un moment, le temps de se ressourcer.

En ce cas-ci, Lucien l’âne mon ami, donc, comme tu le soulignes justement, l’artiste se pose des questions sur la pertinence de son art, de son engagement et de sa façon de les pratiquer. Dans le cas de Fausto Amodei, il s’y ajoute la dimension politique. C’est principalement cette dernière que la chanson interroge. Ce que je veux faire apparaître, c’est que ce rapport entre la chanson et plus généralement, l’œuvre artistique, littéraire, musicale, picturale et la politique, quand on l’examine sous l’angle de son efficacité en termes d’action ou d’influence sur le cours des choses, sur l’histoire immédiate, est d’un rendement assez limité. Et comme, il y a fort à parier que, comme Fausto Amodei, nombre d’artistes ont cette idée d’user de leur art pour intervenir sur le monde qui les entoure. Dans le fond, ils n’ont pas tort et même, il est certain que leur voix porte. Mais, et c’est là où le bilan peut se révéler trompeur, leur voix porte par le biais de leur œuvre et atteint son objectif à un niveau que faute de mieux, on appellera « culturel » et ce niveau a ceci de particulier que son influence se révèle sur un terme plus long que celui de l’action quotidienne. On peut comparer ce processus à celui de la percolation ou à celui de la sédimentation, phénomènes qui changent l’environnement où ils se produisent, mais avec un certain décalage. Cet aspect-là est fondamental ; le temps de l’art n’est pas celui du social et encore moins, celui de la production à vocation commerciale. C’est cette différence de perception, ce décalage, qui laisse penser à l’artiste qu’il a tout d’une « vox clamans in deserto ».
En revanche, ce qui est passé au travers de ce transfert s’installe pour longtemps et son influence tend à perdurer et à se faire sentir au-delà de ce qu’on a l’habitude d’envisager. Elle modifie le milieu où elle s’est insérée ; elle agit à la façon du sucre ou du sel dans une préparation ; elle change le goût du monde.
Pour le reste, la Ballade autocritique de Fausto Amodei tient plus du rêve pieux que de la réalité. Il aimerait, il voudrait, mais finalement, il n’en peut.

Halte-là, Marco Valdo M.I., j’ai compris et je te propose de conclure, sur ce même ton, et de reprendre notre tâche – très « culturelle » – et de tisser le linceul de ce vieux monde engoncé dans son refus de la générosité, perclus dans sa richesse, raide et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Il y a passé dix ans que je joue
De cette guitare et que je chante
Des chansons de toutes couleurs.
J’ai mille fois changé de ton :
Du do majeur au do mineur,
De la valse au canon,
Ritournelle, marche turque,
Madrigal, gigue, flamenco,
Sardane, contredanse,
Samba, mazurka, tango.
J’ai épuisé le répertoire des cadences,
Mais j’ai gardé toute ma substance.

J’ai chanté jusqu’à présent
La conviction
Que le fait plus important
Est de vaincre le patron.
J’ai composé chaque chanson
Pour qu’elle donne l’allant
De mener jusqu’au fond
La lutte contre les possédants.
J’ai cru que chaque idée
Que j’ai chantée
Nous aiderait à éliminer
La propriété.

Ça fait dix ans que je chante
Les combats et les mille grèves
Et la stratégie de la révolution,
Mais ces dix ans ne furent que
Coups et charges de police
Et condamnations à la prison.
C’est un chant triste quand nous sommes écrasés ;
C’est un chant glorieux quand mille ouvriers
Descendent dans la rue pour lutter.
Mais après tant de vocalises et de chants,
Je me suis aperçu qu’à présent
Je n’ai plus le goût du chant.

Le patron nous a laissé
Un estomac de mille lires,
Il nous fait manger autant de merde,
Qu’on peut en avaler.
Lui augmente ses prix,
Il réduit nos salaires,
Il coupe nos pauses horaires,
Et nous fait faire des heures supplémentaires.
Quant à mes chansons,
Lui qui avale tout, tout rond,
Il ne peut les digérer
Et elles le font roter.

Malgré mes innombrables chansons,
Aucun patron n’a perdu un centime
De revenu ou de bénéfice ;
Il ne suffit pas d’une protestation
Pour qu’un locataire
Ne voie réduire son loyer ;
Un refrain ne sert guère
Une ballade n’a d’utilité,
Ni un rythme de contredanse
Pour adoucir une matraque
Ou pour hâter la mort glorieuse
D’un Yankee en Indochine.

Il faudrait que, par je ne sais quel mystère,
Cette guitare en bandoulière
Se transforme en pistolet-mitrailleur
Et pour émettre d’autres sons,
Les six cordes se changent en six chargeurs ;
Et que ces doigts tout au long
Pour produire certaines résonances
Plutôt que de gratter des arpèges,
Pressent la détente ;
Peut-être vaudrait-il parfois
Mieux une passacaille
Qui à sa voix
Sait marier la mitraille.

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