BALLADE AUTOCRITIQUE
Version
française – BALLADE AUTOCRITIQUE – Marco Valdo M.I. – 2018
Chanson
italienne – Ballata
autocritica – Fausto
Amodei – 1972
Paroles
et musique : Fausto Amodei
Dialogue
maïeutique
Salut,
Lucien l’âne mon ami, aujourd’hui, j’ai pris un peu de temps
pour retourner dans un passé évoqué par un chanteur, auteur,
compositeur, qui, en Italie, a produit une des œuvres des plus
intéressantes et qui au bout d’un certain temps, comme cela est
arrivé à d’autres, a soudain pris conscience du fait que la
chanson ne change pas le monde de manière immédiate et en a fait
une chanson : cette « Ballade autocritique ». Il
faut dire aussi, vu la date où cette chanson a été composée, que
c’était un peu la mode de faire « son autocritique » ;
une mode inspirée des grands délires chinois.
Laisse-moi
te rappeler, Marco Valdo M.I. mon ami, que cette manie de
l’autocritique et de la confession publique n’était pas une
nouveauté et qu’elle avait fait fureur en d’autres lieux et en
d’autres temps dans les ambiances religieuses – Réforme et
Contre-Réforme ou n’importe où sous des régimes à forte
connotation collective ou nationale, dans n’importe quelle
organisation sectaire avec tant d’abjurations, de rétractations,
d’auto-dénonciations quand ce n’était pas de dénonciations de
familiers. Cette idée d’autocritique est de la même soupe que
celle d’obéissance ou de rédemption.
Cependant,
même si en partie, ce titre reflétait un effet de mode, s’il
utilisait un mot dans l’air du temps, renvoyait aux pires pratiques
d’auto-délation et à sa conséquence, d’autopunition, dit Marco
Valdo M.I., le contenu de la chanson heureusement n’a que peu à
voir avec ces pratiques douteuses d’autoflagellation. Il s’agit
plutôt d’un bilan, d’une interrogation, d’une réflexion de
l’auteur sur son parcours artistique militant.
Oh,
Marco Valdo M.I. mon ami, c’est plutôt réjouissant qu’un
chanteur et plus généralement, un auteur fasse cette démarche et
réfléchisse en profondeur sur son travail. Ce besoin de s’arrêter
et de faire un bilan est fréquent chez les écrivains, les artistes,
les chroniqueurs et même, bien au-delà chez tous ceux qui
réfléchissent à leur propre vie. Évidemment, c’est le cas des
gens qui se sont engagés en faveur d’une cause ou d’une autre :
politique, sociale, artistique. À force de pratiquer une activité,
après un certain temps, il y a comme une dépression qui se crée et
s’installe ; elle dure un moment, le temps de se ressourcer.
En
ce cas-ci, Lucien l’âne mon ami, donc, comme tu le soulignes
justement, l’artiste se pose des questions sur la pertinence de son
art, de son engagement et de sa façon de les pratiquer. Dans le cas
de Fausto Amodei, il s’y ajoute la dimension politique. C’est
principalement cette dernière que la chanson interroge. Ce que je
veux faire apparaître, c’est que ce rapport entre la chanson et
plus généralement, l’œuvre artistique, littéraire, musicale,
picturale et la politique, quand on l’examine sous l’angle de son
efficacité en termes d’action ou d’influence sur le cours des
choses, sur l’histoire immédiate, est d’un rendement assez
limité. Et comme, il y a fort à parier que, comme Fausto Amodei,
nombre d’artistes ont cette idée d’user de leur art pour
intervenir sur le monde qui les entoure. Dans le fond, ils n’ont
pas tort et même, il est certain que leur voix porte. Mais, et c’est
là où le bilan peut se révéler trompeur, leur voix porte par le
biais de leur œuvre et atteint son objectif à un niveau que faute
de mieux, on appellera « culturel » et ce niveau a ceci
de particulier que son influence se révèle sur un terme plus long
que celui de l’action quotidienne. On peut comparer ce processus à
celui de la percolation ou à celui de la sédimentation, phénomènes
qui changent l’environnement où ils se produisent, mais avec un
certain décalage. Cet aspect-là est fondamental ; le temps de
l’art n’est pas celui du social et encore moins, celui de la
production à vocation commerciale. C’est cette différence de
perception, ce décalage, qui laisse penser à l’artiste qu’il a
tout d’une « vox clamans in deserto ».
En
revanche, ce qui est passé au travers de ce transfert s’installe
pour longtemps et son influence tend à perdurer et à se faire
sentir au-delà de ce qu’on a l’habitude d’envisager. Elle
modifie le milieu où elle s’est insérée ; elle agit à la
façon du sucre ou du sel dans une préparation ; elle change le
goût du monde.
Pour
le reste, la Ballade autocritique de Fausto Amodei tient plus du rêve
pieux que de la réalité. Il aimerait, il voudrait, mais finalement,
il n’en peut.
Halte-là,
Marco Valdo M.I., j’ai compris et je te propose de conclure, sur ce
même ton, et de reprendre notre tâche – très « culturelle »
– et de tisser le linceul de ce vieux monde engoncé dans son refus
de la générosité, perclus dans sa richesse, raide et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Il
y a passé dix ans que je joue
De
cette guitare et que je chante
Des
chansons de toutes couleurs.
J’ai
mille fois changé de ton :
Du
do majeur au do mineur,
De
la valse au canon,
Ritournelle,
marche turque,
Madrigal,
gigue, flamenco,
Sardane,
contredanse,
Samba,
mazurka, tango.
J’ai
épuisé le répertoire des cadences,
Mais
j’ai gardé toute ma substance.
La
conviction
J’ai
composé chaque chanson
Pour
qu’elle donne l’allant
De
mener jusqu’au fond
La
lutte contre les possédants.
J’ai
cru que chaque idée
Que
j’ai chantée
Nous
aiderait à éliminer
La
propriété.
Ça
fait dix ans que je chante
Les
combats et les mille grèves
Et
la stratégie de la révolution,
Mais
ces dix ans ne furent que
Coups
et charges de police
Et
condamnations à la prison.
C’est
un chant triste quand nous sommes écrasés ;
C’est
un chant glorieux quand mille ouvriers
Descendent
dans la rue pour lutter.
Mais
après tant de vocalises et de chants,
Je
me suis aperçu qu’à présent
Je
n’ai plus le goût du chant.
Le
patron nous a laissé
Un
estomac de mille lires,
Il
nous fait manger autant de merde,
Qu’on
peut en avaler.
Lui
augmente ses prix,
Il
réduit nos salaires,
Il
coupe nos pauses horaires,
Et
nous fait faire des heures supplémentaires.
Quant
à mes chansons,
Lui
qui avale tout, tout rond,
Il
ne peut les digérer
Et
elles le font roter.
Malgré
mes innombrables chansons,
Il
ne suffit pas d’une protestation
Une
ballade n’a d’utilité,
Il
faudrait que, par je ne sais quel mystère,
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