D’UN
BADAUD
À propos des récents événements de Catalagna
Version
française par Marco Valdo M.I. de :
DIALOGO
DI UN VENDITORE DI ALMANACHS E DI UN BADAUD
A proposito de’ recenti avvenimenti di Catalagna
par un Anonimo Toscano del XIX secolo
A proposito de’ recenti avvenimenti di Catalagna
par un Anonimo Toscano del XIX secolo
Vendeur
– Almanachs, almanachs
nouveaux ;
gazettes d’aujourd’hui. Pour
vous, monsieur,
almanachs ou
gazettes ?
Vendeur
– Oui monsieur ; voici
la
Petite
Gazette
des Venises,
le Moniteur de Forlimpopoli, le Courrier de Lucques…
Badaud
– Et, dites-moi, ces gazettes et ces courriers donnent
les dernières nouvelles à propos de la Catalagna… ?
Vendeur
– Certes oui, monsieur, et avec
beaucoup de détails. Elles contiennent les
déclarations de Sa Majesté le roi d’Ispagna, de ses ministres,
les grands défilés de foules à Barcelone et les
transcriptions des assemblées du Parlement de Catalagna.
Vendeur
– Monsieur, moi, je suis un personne
peu instruite… vous me demandez mon
avis sur des événements d’une si
grande importance dans une région si lointaine… ?
Badaud
– Oui, et votre opinion m’intéresse ;
d’autre part, à vous autres qui vendez
les gazettes, ne vous arrive-t-il jamais
d’en lire l’une ou l’autre… ?
Vendeur
–Elle est assez vague, monsieur ;
mais, à mon avis, une région ne peut
pas se détacher facilement d’un royaume
ancien, puissant et illustre comme celui d’Ispagna. Ce sont
là des fantasmes brumeux.
Badaud
– Croyez-vous donc que le peuple de la
Catalagna ne puisse pas avoir le désir, et même le
droit, de réclamer son indépendance vis-à-vis d’un
ancien et illustre royaume ? Pensez à notre
Patrie, à l’Italie, et à ses efforts pour
que tant de terres se détachent de l’Empire
autrichien… Vous croyez que c’était
à bon droit ?
Vendeur
– En vérité oui, mon bon monsieur. Je
suis bon patriote et je me suis battu pour l’Italie à Curtatone et
Montanara.
Badaud
– Et comment pouvez-vous alors soutenir que le
peuple de Catalagna n’ait pas le même droit ?
Chez nous aussi, c’était un fantasme ?
Vendeur
– Oh non, certainement pas ! Mais
nous autres, mon bon monsieur, nous
sommes bien différents des Boches, des
Slaves et des barbares de Hongrie. Les
Catalans sont des Espagnols comme ceux de
Madrid, de Tolède et de Séville…
Badaud
– Ignorez-vous donc que la Catalagna possède son
idiome divergé de l’espagnol, et que les Espagnols
ne connaissent pas, ni sa littérature,
ni sa culture ? Ignorez-vous que la
Catalagna fut longtemps souveraine, et
qu’elle fait partie de l’Ispagna seulement depuis
le onze septembre de l’an mil et sept cent
quatorze… ?
Vendeur
– Ohlala, mon bon monsieur, je
l’ignorais. Les gazettes, savez-vous, écrivent
qu’ils sont tous Espagnols. Avec ça,
je ne comprends pas pourquoi elle devrait se
détacher d’un royaume si sublime qui lui
donna renommée et richesse.
Badaud
– Il donna la richesse, mais il
l’a surtout prise ; et les
gazettes rapporteront certainement les menaces que
les Bourbons d’Espagne ont proféré
à la Catalagna, ruiner ses commerces, les échanges et
sa réputation alors que les nations
d’Europe se sont rassemblées dans un marché
commun.
Vendeur
– Elles en parlent, et je crois que le roi
d’Ispagna n’a pas tort. Et j’ajoute qu’un grand
nombre de Catalans désirent continuer
à faire partie de l’Ispagna…
Badaud
– C’est vrai aussi ; comme vous
savez, à cet égard, le peuple de Catalagna
avait été appelé à un référendum, afin
qu’il s’exprime, mais le roi d’Ispagna et le premier
ministre don Mariano l’empêchèrent, en envoyant la
troupe écraser cette consultation, en l’attaquant et en
l’interdisant.
Vendeur
– Ce ne fut pas bien fait.
Vendeur
– On devait faire, mais avec tout ceci je crois qu’on
ne peut attaquer l’unité de l’Ispagna, mon
bon monsieur. Elle existe depuis des
siècles. Les royaumes et les États ne
se font et défont pas à loisir.
Badaud
– Cependant dans l’histoire, combien d’États,
de royaumes et aussi des empires se sont
faits et défaits. Pensez à l’Empire romain. Il
était beaucoup plus puissant que le royaume d’Ispagna,
ne croyez-vous pas ? Ou pour venir plus
près de nous dans le temps, pensez au démembrement du
royaume de Croatie, de Serbie et de Slovénie, qui entraîna tant de
ruines et de deuils, il y a quelques années…
Vendeur
– Mais ce royaume vivait sous une dure tyrannie.
L’Ispagna est un royaume où le peuple
a la parole.
Badaud
– L’Espagne est restée longtemps
sous une pareille et dure tyrannie sous la
férule du dictateur don Francisco Franco et
Bacamondi, qui se rebella il y a quatre-vingts
ans et mena avec des Maures une horrible guerre
intestine ; ensuite, il opprima
pendant quarante ans son peuple, et encore plus
durement, les Catalans et les Basques.
Vendeur
– Mais don Francisco obéissait au roi et à
la Sainte Religion ; dans le
royaume des Slaves c’étaient des sans
Dieu.
Vendeur
– Pour ce que j’en sais, je croirais
volontiers que ce sont des malfaiteurs
qui proclameront l’abolition de la Foi,
détruiront et pilleront les temples et
arriveront à renverser tout
le système.
Badaud
– Les Catalans sont des têtes chaudes,
c’est aussi vrai. Nonobstant cela, ne
croyez-vous pas qu’ils auraient le droit de se
gouverner tous seuls s’ils le désirent ?
Vendeur
– Il se pourrait que oui, mon bon monsieur
; pourtant leurs pensées et leurs actions ne me
convainquent pas. Mieux vaut faire partie
d’une Ispagna puissante et forte, que se réduire à un petit
royaume de peu d’importance, ou – Dieu nous en
préserve – à une république.
Badaud
– Savez-vous que même notre grand
héros, Giuseppe Garibaldi, était partisan d’une
république.
Vendeur
– Ils iront de l’avant, mais ils seront
durement écrasés et punis ; leur avenir
est celui-là. Il ne me rend pas heureux, mais je
ne vois pas comment il pourrait en être
autrement.
Badaud
– Malheureusement, ici je dois me déclarer d’accord
avec vous. Les référendums sont justes, mais si un
peuple désire s’éloigner d’un royaume dont il ne
se ressent pas comme une partie, la seule
action à entreprendre est la formation d’une armée du
peuple guidée par de bons généraux et
par des officiers qui sachent affronter
victorieusement les forces de
l’oppresseur.
Vendeur
– On verrait ainsi s’ils désirent vraiment
l’indépendance, ou si ce sont seulement propos
et bavardages de quelque agitateur. Il n’y a pas d’autre
voie ; les référendums et les illusions
se ressemblent comme des frères jumeaux.
Badaud
– C’est ainsi. Et rappelez-vous que
toutes les autorités
de ce monde – royaumes, empires
et républiques, ont toujours un début, mais aussi
une fin.
Vendeur
– Et il est possible que, dans un lointain
avenir, la Catalagna pourrait désirer se réunir à
nouveau à l’Ispagna.
Badaud
– À l’Ispagna, à la France ou au Monde de la
Lune. Qui peut savoir, monsieur. Entre
temps, c’est à voir ;
chanceusement, chez nous, de tels périls n’existent
pas. L’Italie est une et indivisible.
Badaud
– Très lointains et perdus. Dites-moi,
vous vendez également le Starnazzatore della
Padania (L’Échotier de la Padanie…) ?
Vendeur
– Désolé de vous décevoir, mon bon
monsieur, mais cette feuille a cessé
d’être publiée il y a déjà
quelque temps.
Vendeur
– Je peux vous donner, si vous le désirez,
un exemplaire de la Gazette du Loisir avec les
dernières et intéressantes nouvelles des tournois de
paume, de tambourin et de lutte.
Badaud
– Je me demandais justement si notre
équipe s’était qualifiée pour le tournoi mondial
de paume qui doit avoir lieu dans l’Empire russe,
royaume institué par Dieu et qui n’aura
jamais de fin. Donnez-moi alors un
exemplaire de la Gazette du Loisir.
Vendeur
– Le voici, monsieur ; il vous en coûte une maille et un
félin. Merci très illustre sire, et à vous revoir. Almanachs,
almanachs nouveaux ; gazettes d’aujourd’hui !
Note.
Ce petit dialogue, ou œuvrette morale, fut écrit par un de mes
lointains parents dans la seconde moitié du XIX siècle ;
selon la tradition ancestrale de notre lignée, il était lui aussi
rigoureusement anonyme. J’ai retrouvé ce document parmi les
vestiges de famille et j’ai pensé que, dans ces circonstances, il
pouvait être de quelque utilité à lire à propos des événements
de la Catalogne (alors dite « Catalagna ») de ce temps,
et de la manière dont les contemporains s’exprimaient à ce sujet.
– L’Anonyme Toscan du XXI Siècle
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