mercredi 11 octobre 2017

À propos des récents événements de Catalagna

DIALOGUE D’UN VENDEUR D’ALMANACHS ET 

D’UN BADAUD

À propos de
s récents événements de Catalagna

Version française par Marco Valdo M.I. de :
DIALOGO DI UN VENDITORE DI ALMANACHS E DI UN BADAUD
A proposito de’ recenti avvenimenti di Catalagna

par un Anonimo Toscano del XIX secolo







Venditore – Almanachs, almanachs nuovi ; gazzette d’oggi. Bisognano, signore, almanachs o gazzette?

Vendeur – Almanachs, almanachs nouveaux ; gazettes d’aujourd’hui. Pour vous, monsieur, almanachs ou gazettes ?

Badaud –Vous avez les gazettes d’aujourd’hui même ?

Vendeur – Oui monsieur  ; voici la Petite Gazette des Venises, le Moniteur de Forlimpopoli, le Courrier de Lucques

Badaud – Et, dites-moi, ces gazettes et ces courriers donnent les dernières nouvelles à propos de la Catalagna… ?

Vendeur – Certes oui, monsieur, et avec beaucoup de détails. Elles contiennent les déclarations de Sa Majesté le roi d’Ispagna, de ses ministres, les grands défilés de foules à Barcelone et les transcriptions des assemblées du Parlement de Catalagna.

Badaud – Et ils contiennent également les résultats du plébiscite pour l’indépendance… ?

Vendeur – Monsieur, évidemment.

Badaud – Vous croyez vraiment que l’indépendance de la Catalagna se fera… ?

Vendeur – Monsieur, moi, je suis un personne peu instruite… vous me demandez mon avis sur des événements d’une si grande importance dans une région si lointaine… ?

Badaud – Oui, et votre opinion m’intéresse  ; d’autre part, à vous autres qui vendez les gazettes, ne vous arrive-t-il jamais d’en lire l’une ou l’autre… ?

Vendeur – À dire vrai, je le fais volontiers, et ça me plaît de me tenir au courant des choses.

Badaud – Fort bien, vous vous êtes donc formé une opinion.

Vendeur –Elle est assez vague, monsieur ; mais, à mon avis, une région ne peut pas se détacher facilement d’un royaume ancien, puissant et illustre comme celui d’Ispagna. Ce sont là des fantasmes brumeux.

Badaud – Croyez-vous donc que le peuple de la Catalagna ne puisse pas avoir le désir, et même le droit, de réclamer son indépendance vis-à-vis d’un ancien et illustre royaume ? Pensez à notre Patrie, à l’Italie, et à ses efforts pour que tant de terres se détachent de l’Empire autrichien… Vous croyez que c’était à bon droit ?

Vendeur – En vérité oui, mon bon monsieur. Je suis bon patriote et je me suis battu pour l’Italie à Curtatone et Montanara.

Badaud – Et comment pouvez-vous alors soutenir que le peuple de Catalagna n’ait pas le même droit ? Chez nous aussi, c’était un fantasme ?

Vendeur – Oh non, certainement pas ! Mais nous autres, mon bon monsieur, nous sommes bien différents des Boches, des Slaves et des barbares de Hongrie. Les Catalans sont des Espagnols comme ceux de Madrid, de Tolède et de Séville…

Badaud – Ignorez-vous donc que la Catalagna possède son idiome divergé de l’espagnol, et que les Espagnols ne connaissent pas, ni sa littérature, ni sa culture ? Ignorez-vous que la Catalagna fut longtemps souveraine, et qu’elle fait partie de l’Ispagna seulement depuis le onze septembre de l’an mil et sept cent quatorze… ?

Vendeur – Ohlala, mon bon monsieur, je l’ignorais. Les gazettes, savez-vous, écrivent qu’ils sont tous Espagnols. Avec ça, je ne comprends pas pourquoi elle devrait se détacher d’un royaume si sublime qui lui donna renommée et richesse.

Badaud – Il donna la richesse, mais il l’a surtout prise ; et les gazettes rapporteront certainement les menaces que les Bourbons d’Espagne ont proféré à la Catalagna, ruiner ses commerces, les échanges et sa réputation alors que les nations d’Europe se sont rassemblées dans un marché commun.

Vendeur – Elles en parlent, et je crois que le roi d’Ispagna n’a pas tort. Et j’ajoute qu’un grand nombre de Catalans désirent continuer à faire partie de l’Ispagna…

Badaud – C’est vrai aussi ; comme vous savez, à cet égard, le peuple de Catalagna avait été appelé à un référendum, afin qu’il s’exprime, mais le roi d’Ispagna et le premier ministre don Mariano l’empêchèrent, en envoyant la troupe écraser cette consultation, en l’attaquant et en l’interdisant.

Vendeur – Ce ne fut pas bien fait.

Badaud – Donc, vous êtes aussi d’accord à propos de ce qu’on devait faire.

Vendeur – On devait faire, mais avec tout ceci je crois qu’on ne peut attaquer l’unité de l’Ispagna, mon bon monsieur. Elle existe depuis des siècles. Les royaumes et les États ne se font et défont pas à loisir.

Badaud – Cependant dans l’histoire, combien d’États, de royaumes et aussi des empires se sont faits et défaits. Pensez à l’Empire romain. Il était beaucoup plus puissant que le royaume d’Ispagna, ne croyez-vous pas ? Ou pour venir plus près de nous dans le temps, pensez au démembrement du royaume de Croatie, de Serbie et de Slovénie, qui entraîna tant de ruines et de deuils, il y a quelques années…

Vendeur – Mais ce royaume vivait sous une dure tyrannie. L’Ispagna est un royaume le peuple a la parole.

Badaud – LEspagne est restée longtemps sous une pareille et dure tyrannie sous la férule du dictateur don Francisco Franco et Bacamondi, qui se rebella il y a quatre-vingts ans et mena avec des Maures une horrible guerre intestine ; ensuite, il opprima pendant quarante ans son peuple, et encore plus durement, les Catalans et les Basques.

Vendeur – Mais don Francisco obéissait au roi et à la Sainte Religion ; dans le royaume des Slaves c’étaient des sans Dieu.

Badaud – Et croyez-vous donc aussi que les Catalans sont des sans Dieu ?

Vendeur – Pour ce que j’en sais, je croirais volontiers que ce sont des malfaiteurs qui proclameront l’abolition de la Foi, détruiront et pilleront les temples et arriveront à renverser tout le système.

Badaud – Les Catalans sont des têtes chaudes, c’est aussi vrai. Nonobstant cela, ne croyez-vous pas qu’ils auraient le droit de se gouverner tous seuls s’ils le désirent ?

Vendeur – Il se pourrait que oui, mon bon monsieur ; pourtant leurs pensées et leurs actions ne me convainquent pas. Mieux vaut faire partie d’une Ispagna puissante et forte, que se réduire à un petit royaume de peu d’importance, ou – Dieu nous en préserve – à une république.

Badaud – Savez-vous que même notre grand héros, Giuseppe Garibaldi, était partisan d’une république.

Vendeur – Oui, mais ensuite, il obéit aux souverains savoyards et il fit bien.

Badaud – Comment vous voyez donc l’avenir de la Catalagna ?

Vendeur – Ils iront de l’avant, mais ils seront durement écrasés et punis ; leur avenir est celui-. Il ne me rend pas heureux, mais je ne vois pas comment il pourrait en être autrement.

Badaud – Malheureusement, ici je dois me déclarer d’accord avec vous. Les référendums sont justes, mais si un peuple désire s’éloigner d’un royaume dont il ne se ressent pas comme une partie, la seule action à entreprendre est la formation d’une armée du peuple guidée par de bons généraux et par des officiers qui sachent affronter victorieusement les forces de l’oppresseur.

Vendeur – On verrait ainsi s’ils désirent vraiment l’indépendance, ou si ce sont seulement propos et bavardages de quelque agitateur. Il n’y a pas d’autre voie ; les référendums et les illusions se ressemblent comme des frères jumeaux.

Badaud – C’est ainsi. Et rappelez-vous que toutes les autorités de ce monderoyaumes, empires et républiques, ont toujours un début, mais aussi une fin.

Vendeur – Et il est possible que, dans un lointain avenir, la Catalagna pourrait désirer se réunir à nouveau à l’Ispagna.

Badaud – À l’Ispagna, à la France ou au Monde de la Lune. Qui peut savoir, monsieur. Entre temps, c’est à voir ; chanceusement, chez nous, de tels périls n’existent pas. L’Italie est une et indivisible.

Vendeur – Je le pense moi aussi ; au fond, ce sont des histoires de pays lointains.
Badaud – Très lointains et perdus. Dites-moi, vous vendez également le Starnazzatore della Padania (L’Échotier de la Padanie) ?

Vendeur – Désolé de vous décevoir, mon bon monsieur, mais cette feuille a cessé d’être publiée il y a déjà quelque temps.

Badaud – Je l’ignorais.

Vendeur – Je peux vous donner, si vous le désirez, un exemplaire de la Gazette du Loisir avec les dernières et intéressantes nouvelles des tournois de paume, de tambourin et de lutte.

Badaud – Je me demandais justement si notre équipe s’était qualifiée pour le tournoi mondial de paume qui doit avoir lieu dans l’Empire russe, royaume institué par Dieu et qui n’aura jamais de fin. Donnez-moi alors un exemplaire de la Gazette du Loisir.
Vendeur – Le voici, monsieur ; il vous en coûte une maille et un félin. Merci très illustre sire, et à vous revoir. Almanachs, almanachs nouveaux  ; gazettes d’aujourd’hui !


Note. Ce petit dialogue, ou œuvrette morale, fut écrit par un de mes lointains parents dans la seconde moitié du XIX siècle  ; selon la tradition ancestrale de notre lignée, il était lui aussi rigoureusement anonyme. J’ai retrouvé ce document parmi les vestiges de famille et j’ai pensé que, dans ces circonstances, il pouvait être de quelque utilité à lire à propos des événements de la Catalogne (alors dite « Catalagna ») de ce temps, et de la manière dont les contemporains s’exprimaient à ce sujet. – L’Anonyme Toscan du XXI Siècle

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