Nicolas
le Civil et le Héros militaire
Chanson
française – Marco Valdo M.I. – 2017
Dialogue
maïeutique
Tu
te souviens certainement, Lucien l’âne mon ami, de cette Maison
des Morts à Séville en Espagne en 1937 où était emprisonné
l’écrivain hongrois A.K., condamné à mort par la Haute Cour
militaire de Malaga, tribunal fantoche des franquistes, ces
nationalistes espagnols, qui faisaient la guerre « civile »
à la République espagnole. Avec l’appui des troupes fascistes
italiennes (il y avait là 50 000 italiens) et les nazis
allemands (ce sont des avions allemands qui ont bombardé Guernica) –
qui répétaient une manière de générale, comme on dit au théâtre.
La passivité des démocraties a assuré la victoire des
nationalistes en 1939. On connaît la suite : invasion de la
Pologne, invasion de l’Albanie, etc. Plus de 40 000 000
de morts.
Et
comment donc, Marco Valdo M.I. mon ami, que je m’en souviens de ces
deux chansons : La
Maison des Morts et « Espagne
1937 ». Ce n’est pas pour me vanter, mais
certaines fois, j’ai de la mémoire. Mais si tu m’en parles, il
doit bien y avoir une raison qui serait une troisième canzone qui compléterait la trilogie ibérique.
Exact,
Lucien l’âne mon ami, tu as tapé dans le mille. La canzone qui
vient compléter ce que tu appelles ma trilogie ibérique s’intitule
« Nicolas le Civil et le Héros militaire » – comme tu
peux le remarquer, si Nicolas a un nom, une personnalité propre, le
Héros militaire, comme il se doit, est anonyme ; c’est un
« elkerlijk » militaire, c’est n’importe quel
héros, n’importe quel militaire au moment où il se transforme en
héros ; c’est le personnage du héros militaire, c’est une
figure. Cette histoire est aussi tirée du Testament espagnol d’A.K.
Elle est bâtie sur un dialogue qui a , comme le nôtre, cette
fonction maïeutique – accoucheuse de vérité dont usait
volontiers Socrate, chose que tu pourrais confirmer, toi qui le
croisa, en ce temps-là.
Effectivement,
je le confirme, dit Lucien l’âne en hochant son large front. C’est
ce même dialogue qu’entretiennent plus tard Dante et Virgile,
l’Oncle Toby et le caporal Trim, Jacques le fataliste et son
maître, Don Quichotte et Sancho, etc. C’est une excellente manière
de faire progresser un raisonnement que de le mitonner sur le mode de
la conversation. Donc, il y a un dialogue entre Nicolas le Civil et
le Héros militaire. Mais encore ?
Sache,
Lucien l’âne mon ami, que Nicolas le civil est un jeune homme –
il a à peine 17 ans, condamné à mort lui aussi tout comme l’était
A.K. et sache également que Nicolas n’aime pas du tout cette idée
de mourir, il préfèrerait vivre et, dit-il, apprendre à lire.
Quant
au Héros militaire, lui aussi, va bientôt mourir ; il ne le
sait pas et aucun tribunal n’a explicitement décidé sa
condamnation et de plus, il n’est même pas en prison ; mais
une chose est certaine, il doit mourir précisément pour devenir un
héros (et plus tôt sera le mieux) ; ça, c’est pur le
principe et il va mourir réglementairement, car il est militaire.
Et
ces deux-là débattent de la vie et de la mort et de l’idée qu’on
peut s’en faire et de la conception qu’on peut en avoir selon
qu’on est civil ou militaire ; quand on est civil et qu’on
rêve d’apprendre à lire et quand on est militaire et qu’on rêve
de mourir en héros.
Et
dans la canzone, il y a les petits refrains à envergure variable qui
déclinent métaphoriquement les états de la vie ; pas ceux de
la mort qui elle ne mange pas de pain ; elle dévore les hommes,
les femmes, les enfants et les animaux.
Note
mon ami Marco Valdo M.I. qu’elle est patiente la mort. Elle ne
commence à réclamer sa part qu’au moment où la vie s’en va.
Cela dit, il vaudrait mieux pur tous – civils et héros, que les
héros meurent entre eux sans déranger les civils et le fassent dans
un monde qui leur serait propre, en quelque sorte, ils mourraient
entre héros dans une aimable confrérie, pleine de congratulations.
Ils pourraient organiser des compétitions de morts glorieuses, à
qui serait le plus méritant, le plus audacieux, le plus téméraire,
que sais-je, le plus héroïque et décerner des médailles en or, en
argent, en bronze et pourquoi pas même, en chocolat. Quant à nous,
Marco Valdo M.I., nous qui ne sommes pas de héros, nous qui ne
sommes que des bêtes de somme (en italien : somari), nous
braves tâcherons, il nous faut continuer notre œuvre infime et
tisser le linceul de ce vieux monde héroïque, militaire,
nationaliste, grandiloquent, thanatocole, thanatophore, thanatophile
et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Pouvez-vous
imaginer d’être mort ?
Avant
d’être nés, on était tous morts.
Quoi ?
Avant
de mourir, on est tous vivants.
Ne
me demandez-pas pourquoi,
C’est
évident.
Il
y a du pain blanc
Hier,
demain, maintenant
Après,
on est tous morts.
C’est
vrai, mais alors
Pourquoi
avoir peur de la mort ?
Moi,
je n’ai pas peur de la mort.
J’ai
juste peur de mourir,
Dit
Nicolas, c’est trop tôt.
Il
y a du pain noir,
On
peut garder espoir.
Moi,
c’est le contraire
Dit
le futur héros militaire.
Je
n’ai pas peur de tuer,
Je
n’ai pas peur de mourir, non plus.
C’est
simple. On tue et ils ne vivent plus.
C’est
simple : j’aime tuer.
Il
y a du pain gris
On
a parfois des amis.
J’aime
tuer.
J’aime
la mort.
Pourquoi ?
Car je suis fort.
Quand
on est tueur ou officier,
La
mort est notre métier.
Nous
sommes exercés, on est dressés.
Nous
savons comment
Mourir
réglementairement.
Il
y a du pain blanc
Il
y a du pain noir
Hier,
demain, maintenant
On
peut garder espoir
Nicolas
avait dix-sept ans.
Nicolas
n’est pas mort élégamment
Il
n’était pas exercé, évidemment
Et
pas pressé non plus de mourir.
La
mort ne lui plaisait pas tellement :
Il
rêvait d’apprendre à lire.
Il
y a du pain blanc
Il
y a du pain noir
Il
y a du pain gris
Hier,
demain, maintenant
On
peut garder espoir
On
a parfois des amis.
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