lundi 17 juillet 2017

Nicolas le Civil et le Héros militaire

Nicolas le Civil et le Héros militaire

Chanson française – Marco Valdo M.I. – 2017











Dialogue maïeutique


Tu te souviens certainement, Lucien l’âne mon ami, de cette Maison des Morts à Séville en Espagne en 1937 où était emprisonné l’écrivain hongrois A.K., condamné à mort par la Haute Cour militaire de Malaga, tribunal fantoche des franquistes, ces nationalistes espagnols, qui faisaient la guerre « civile » à la République espagnole. Avec l’appui des troupes fascistes italiennes (il y avait là 50 000 italiens) et les nazis allemands (ce sont des avions allemands qui ont bombardé Guernica) – qui répétaient une manière de générale, comme on dit au théâtre. La passivité des démocraties a assuré la victoire des nationalistes en 1939. On connaît la suite : invasion de la Pologne, invasion de l’Albanie, etc. Plus de 40 000 000 de morts.

Et comment donc, Marco Valdo M.I. mon ami, que je m’en souviens de ces deux chansons : La Maison des Morts et « Espagne 1937 ». Ce n’est pas pour me vanter, mais certaines fois, j’ai de la mémoire. Mais si tu m’en parles, il doit bien y avoir une raison qui serait une troisième canzone qui compléterait la trilogie ibérique.

Exact, Lucien l’âne mon ami, tu as tapé dans le mille. La canzone qui vient compléter ce que tu appelles ma trilogie ibérique s’intitule « Nicolas le Civil et le Héros militaire » – comme tu peux le remarquer, si Nicolas a un nom, une personnalité propre, le Héros militaire, comme il se doit, est anonyme ; c’est un « elkerlijk » militaire, c’est n’importe quel héros, n’importe quel militaire au moment où il se transforme en héros ; c’est le personnage du héros militaire, c’est une figure. Cette histoire est aussi tirée du Testament espagnol d’A.K. Elle est bâtie sur un dialogue qui a , comme le nôtre, cette fonction maïeutique – accoucheuse de vérité dont usait volontiers Socrate, chose que tu pourrais confirmer, toi qui le croisa, en ce temps-là.

Effectivement, je le confirme, dit Lucien l’âne en hochant son large front. C’est ce même dialogue qu’entretiennent plus tard Dante et Virgile, l’Oncle Toby et le caporal Trim, Jacques le fataliste et son maître, Don Quichotte et Sancho, etc. C’est une excellente manière de faire progresser un raisonnement que de le mitonner sur le mode de la conversation. Donc, il y a un dialogue entre Nicolas le Civil et le Héros militaire. Mais encore ?

Sache, Lucien l’âne mon ami, que Nicolas le civil est un jeune homme – il a à peine 17 ans, condamné à mort lui aussi tout comme l’était A.K. et sache également que Nicolas n’aime pas du tout cette idée de mourir, il préfèrerait vivre et, dit-il, apprendre à lire.
Quant au Héros militaire, lui aussi, va bientôt mourir ; il ne le sait pas et aucun tribunal n’a explicitement décidé sa condamnation et de plus, il n’est même pas en prison ; mais une chose est certaine, il doit mourir précisément pour devenir un héros (et plus tôt sera le mieux) ; ça, c’est pur le principe et il va mourir réglementairement, car il est militaire.
Et ces deux-là débattent de la vie et de la mort et de l’idée qu’on peut s’en faire et de la conception qu’on peut en avoir selon qu’on est civil ou militaire ; quand on est civil et qu’on rêve d’apprendre à lire et quand on est militaire et qu’on rêve de mourir en héros.
Et dans la canzone, il y a les petits refrains à envergure variable qui déclinent métaphoriquement les états de la vie ; pas ceux de la mort qui elle ne mange pas de pain ; elle dévore les hommes, les femmes, les enfants et les animaux.

Note mon ami Marco Valdo M.I. qu’elle est patiente la mort. Elle ne commence à réclamer sa part qu’au moment où la vie s’en va. Cela dit, il vaudrait mieux pur tous – civils et héros, que les héros meurent entre eux sans déranger les civils et le fassent dans un monde qui leur serait propre, en quelque sorte, ils mourraient entre héros dans une aimable confrérie, pleine de congratulations. Ils pourraient organiser des compétitions de morts glorieuses, à qui serait le plus méritant, le plus audacieux, le plus téméraire, que sais-je, le plus héroïque et décerner des médailles en or, en argent, en bronze et pourquoi pas même, en chocolat. Quant à nous, Marco Valdo M.I., nous qui ne sommes pas de héros, nous qui ne sommes que des bêtes de somme (en italien : somari), nous braves tâcherons, il nous faut continuer notre œuvre infime et tisser le linceul de ce vieux monde héroïque, militaire, nationaliste, grandiloquent, thanatocole, thanatophore, thanatophile et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Pouvez-vous imaginer d’être mort ?
Avant d’être nés, on était tous morts.
Quoi ?
Avant de mourir, on est tous vivants.
Ne me demandez-pas pourquoi,
C’est évident.

Il y a du pain blanc
Hier, demain, maintenant

Après, on est tous morts.
C’est vrai, mais alors
Pourquoi avoir peur de la mort ?
Moi, je n’ai pas peur de la mort.
J’ai juste peur de mourir,
Dit Nicolas, c’est trop tôt.

Il y a du pain noir,
On peut garder espoir.

Moi, c’est le contraire
Dit le futur héros militaire.
Je n’ai pas peur de tuer,
Je n’ai pas peur de mourir, non plus.
C’est simple. On tue et ils ne vivent plus.
C’est simple : j’aime tuer.

Il y a du pain gris
On a parfois des amis.

J’aime tuer.
J’aime la mort.
Pourquoi ? Car je suis fort.
Quand on est tueur ou officier,
La mort est notre métier.
Nous sommes exercés, on est dressés.
Nous savons comment
Mourir réglementairement.

Il y a du pain blanc
Il y a du pain noir
Hier, demain, maintenant
On peut garder espoir

Nicolas avait dix-sept ans.
Nicolas n’est pas mort élégamment
Il n’était pas exercé, évidemment
Et pas pressé non plus de mourir.
La mort ne lui plaisait pas tellement :
Il rêvait d’apprendre à lire.

Il y a du pain blanc
Il y a du pain noir
Il y a du pain gris
Hier, demain, maintenant
On peut garder espoir
On a parfois des amis.


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