MANDURA
Version
française – MANDURA – Marco Valdo M.I. – 2017
Chanson
italienne – Mandura
– Daisy
Lumini – 1975
Lucien
l’âne mon ami, toi qui as parcouru de tes petits pas noirs et
paisibles le monde depuis tant et tant de temps, tu as dû rencontrer
souvent des gens plongés dans des atmosphères terrifiantes, des
hommes écrasés par la crainte et tu dois donc bien connaître le
sujet de la chanson de Mandura que je viens de mettre en langue
française.
Peut-être,
Marco Valdo M.I. mon ami, peut-être bien que oui, peut-être bien
que non. Je ne pourrai répondre à ta question que quand tu m’auras
dit de quoi parle cette chanson.
En
effet, Lucien l’âne mon ami, et je ne m’attendais à rien
d’autre de toi. Tu es un âne intelligent, je le sais et je le
dis ; mais, tu n’es pas un devin ; cela, je le sais
aussi. Je me demande cependant si tes pieds si vaillants t’ont un
jour mené au pays de Mandura, qui est – comme tu le sais
certainement – là-bas quelque part en Éthiopie, une de ces
régions où l’on parle (quand on parle, ce qui – tu le verras
dans la canzone – n’est pas établi pour toujours avec certitude)
le nilotique depuis la plus haute Antiquité ; un pays d’où
provient la légende que rapporte la chanson.
Ah
bien, l’Éthiopie, le nilotique, tout ça là-bas au fin fond de
l’Afrique, sans doute m’y suis-je promené et je t’avoue que je
ne me souviens pas particulièrement de Mandura. Il faut cependant se
dire que les gens de Mandura ne doivznt pas me prendre en grippe pour
autant. Oui, oui, dit Lucien l’âne, qu’ils ne prennent pas
ombrage de ce manque de souvenirs les concernant, mais il y a tant de
lieux et tant de gens dans le monde et tant des moments dans une
existence et comme on commence à le savoir dans notre société, la
faculté d’oubli est une nécessité et même une des fonctions
essentielles de la mémoire ; surtout dans mon cas ; c’est
le revers de la médaille de mon infinitude relative, car nul ne sait
quand j’ai commencé, nul ne sait quand je finirai. Bref,
concernant la nécessité de l’oubli, c’est facile à comprendre.
Il y a d’abord un point de vue que je qualifierai de logistique, on
ne peut pas plus entasser les souvenirs dans un cerveau que des
choses dans un entrepôt. Aussi grand soit-il, un entrepôt a des
limites et si on peut maximiser l’entreposage, cela passe par des
aménagements spécifiques et des dépenses énergétiques (par
exemple, pour empiler, stocker rationnellement) et par un triage, une
mise en ordre pour pouvoir retrouver les divers éléments. Tout cela
aussi suppose une dépense d’énergie qui a également ses limites.
Comme disait ma grand-mère, il y des limites à tout. Cela dit, tu
n’as pas répondu à mon attente ; je ne sais toujours pas ce
que raconte la chanson.
En
effet, Lucien l’âne mon ami, je ne t’ai pas encore dit ce que
raconte cette chanson. Ce qu’elle raconte est finalement assez
simple, si on s’en tient au premier niveau de lecture. C’est
l’histoire d’un pays – en l’occurrence, Mandura, qui est sous
la coupe d’un souverain qui est convaincu qu’il faut imposer son
autorité par la force et la terreur. Il le fait si bien et si fort
que le pays vit dans une ambiance de suspicion et de répression
permanente et qu’il donne au roi le surnom de Peur. Dans ce pays,
la population entière n’ose plus parler car, murmure-t-elle « les
murs ont des oreilles ». Elle se réfugie dans le silence,
Mandura devient mutique et s’éloigne totalement de ce royaume de
Peur, si bien ou si mal que quand la guerre éclate, il n’y pas un
habitant pour défendre le royaume et le roi.
Eh
bien, Marco Valdo M.I., me voilà renseigné sur le sens général de
la chanson, mais il m’a semblé que tu avais en tête d’autres
éléments.
Bien
sûr, Lucien l’âne mon ami, puisque je te l’avais laissé
entendre. J’avais pensé et je le pense encore d’ailleurs que
l’aventure du roi Peur – lequel est tout le contraire du roi
Pausole de plaisante mémoire, rappelait assez celle qu’a connue
l’Italie durant le fascisme et n’eût été la volte-face opérée
en pleine course, le royaume d’Italie se serait trouvé proprement
défait. On pourrait également l’appliquer à l’Allemagne nazie
dont l’effondrement fut complet ou d’une certaine manière à
l’Union Soviétique qui a proprement implosé, elle aussi. On
pourrait chercher d’autres exemples ; je songe au régime de
Salazar, qu’une
chanson
fit se dissoudre ou à la Roumanie de Ceaucescu.
J’aurais assez idée de voir là une sorte de parabole à usage
assez général.
Soit,
dit Lucien l’âne, on
devrait en trouver beaucoup de tels épisodes dans la Guerre
de Cent Mille Ans que les riches font aux pauvres pour
assurer leur domination et leur pouvoir ;
de toute façon on ne va pas en faire un plus gros fromage ; il
nous faut reprendre notre tâche et tisser le linceul de ce vieux
monde terrorisé, brutal, oppressif et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Dans
une nation du nom de Mandura
Vivait un souverain, Peur était son nom.
Certes, ce n’était pas son vrai nom,
Mais on se souvient seulement de ce nom -là.
Vivait un souverain, Peur était son nom.
Certes, ce n’était pas son vrai nom,
Mais on se souvient seulement de ce nom -là.
L’histoire
ne dit pas qui l’a ainsi nommé.
Cependant, ce surnom est approprié
Et je veux bien parier
Que c’est la population qui lui a donné.
Cependant, ce surnom est approprié
Et je veux bien parier
Que c’est la population qui lui a donné.
Ce
triste sire répétait à ses courtisans :
« Être sévère est le lot des rois et des présidents !
Croyez-moi, pour gouverner, c’est sûr,
Il faut un tempérament de chef et la poigne dure. »
« Être sévère est le lot des rois et des présidents !
Croyez-moi, pour gouverner, c’est sûr,
Il faut un tempérament de chef et la poigne dure. »
Il
disait à ses ministres, « Il ne sert à rien de discuter,
Le peuple doit se laisser guider.
Si on ne le gronde pas, il fait des caprices
Et s’il ne vous craint pas, il manigance. »
Le peuple doit se laisser guider.
Si on ne le gronde pas, il fait des caprices
Et s’il ne vous craint pas, il manigance. »
Il
pensait, un sujet, c’est comme un enfant.
Ce n’était pas de peuple, mais de populace
Qu’étaient qualifiés les habitants
Par leur roi Peur, l’homme sans face.
Ce n’était pas de peuple, mais de populace
Qu’étaient qualifiés les habitants
Par leur roi Peur, l’homme sans face.
Il
promulguait des lois pour tous et pour tout
Et même sur la façon de couper le chou,
Et sur comment parler, se vêtir, chanter
Et gare à qui osait regimber.
Et même sur la façon de couper le chou,
Et sur comment parler, se vêtir, chanter
Et gare à qui osait regimber.
Avec
les ans à Mandura, il arriva une chose
Vraiment incroyable et très pénible :
La peur terrifiait tant les gens,
Que chaque habitant devint balbutiant.
Vraiment incroyable et très pénible :
La peur terrifiait tant les gens,
Que chaque habitant devint balbutiant.
À
la parole, il y avait de tels freins
Que rapidement, tout le monde s’est tu.
Et qui n’articule pas, c’est bien connu
En moins que rien, muet devient.
Que rapidement, tout le monde s’est tu.
Et qui n’articule pas, c’est bien connu
En moins que rien, muet devient.
À
Mandura, on ne pouvait plus parler
Et les enfants grandissaient sans trouver
Quelqu’un qui leur enseigne le bien et le mal,
En quoi l’homme est différent de l’animal.
Et les enfants grandissaient sans trouver
Quelqu’un qui leur enseigne le bien et le mal,
En quoi l’homme est différent de l’animal.
« Qui
ne dit mot consent », pensait le roi Peur
« Un peu de discipline, ma foi, c’est bon.
Cette populace est plus muette qu’un poisson ;
Si j’ai été fort dur, c’est pour leur bonheur. »
« Un peu de discipline, ma foi, c’est bon.
Cette populace est plus muette qu’un poisson ;
Si j’ai été fort dur, c’est pour leur bonheur. »
Ainsi
ce souverain à force d’être sévère
Réduisit le peuple à un troupeau
Et quand les voisins déclarèrent la guerre,
Sous terre, le peuple se réfugia aussitôt.
Réduisit le peuple à un troupeau
Et quand les voisins déclarèrent la guerre,
Sous terre, le peuple se réfugia aussitôt.
Peur
perdit son royaume et paya amèrement
Le fait d’avoir méprisé les gens,
Le fait que le roi de Mandura,
Au peuple, la peur seule inculqua.
Le fait d’avoir méprisé les gens,
Le fait que le roi de Mandura,
Au peuple, la peur seule inculqua.
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