lundi 6 mars 2017

CHANT DES MORTS EN VAIN

CHANT DES MORTS EN VAIN

Version française – CHANT DES MORTS EN VAIN – Marco Valdo M.I. – 2017
Chanson italienne – Canto dei morti invanoPrimo Levi – 1985




Il y a là des accents d’ode, des accents et des réminiscences de poésie lapidaire et peut-être même, une volontaire parenté avec l’Ode à Kesselring [[39124]] de Piero Calamandrei. Cette armée des morts en vain est de la même famille, du même peuple que celui de Lo avrai qui attend l’envahisseur aux bords des chemins.
« Si tu voulais un jour revenir sur ces routes
tu nous trouverais à nos postes
morts et vivants avec le même engagement
peuple serré autour du monument
qui s’appelle
aujourd’hui et pour toujours
RÉSISTANCE ! »

Dis-moi, Marco Valdo M.I., mon ami, dis-moi avant d’aller plus avant : ce peuple qui parle dans cette canzone de Primo Levi, ce peuple quel est-il ? Cette armée de morts en vain, quelle est-elle ?
Elle est longuement décrite et énumérée dans la chanson, Lucien l’âne mon ami. Je résumerai la chose en disant : ce sont les derniers morts de la Guerre de Cent Mille Ans, cette guerre longue, en apparence éternelle, que les riches font aux pauvres, depuis qu’il y a des riches, depuis qu’il y a des pauvres, depuis qu’il y a des faibles, depuis qu’il y a des puissants, depuis qu’il y a des escrocs, depuis qu’il y a des exploités. J’ai dit les derniers puisque la chanson ne commence son énumération qu’au début du siècle dernier, puisque la liste ne commence qu’avec ceux de la Grande Guerre, celle de 1914-18 et tous ces morts en vain s’additionnent jusqu’au moment où Primo Levi écrivit sa chanson – 1985. Depuis, comme tu le sais, il y en eut encore des tas d’autres et aussi loin et aussi longtemps que je puisse voir, il en sera encore pareil. C’est terrible, mais on ne saurait se faire d’illusions à cet égard. Du reste, nous le savons bien tous deux et tous les autres qui fréquentent ici les chansons contre la guerre. Tous ici – nous et les autres – mènent une action de longue, longue haleine sans même imaginer qu’elle puisse aboutir – disons, de leur vivant.

Donc, si je comprends bien ce que tu viens de me dire, Marco Valdo M.I. mon ami, la guerre en tant que phénomène humain – n’est pas près d’être éradiquée, n’est pas près de disparaître. Les amis, les intervenants, les commentateurs ou je ne sais comment les nommer, tous ceux qui d’une manière ou d’une autre développent ou soutiennent les CCG, le savent pertinemment : toute action contre la guerre est forcément une action au long cours. J’en déduis que chacun ici ne se fait aucune illusion sur la possibilité de mettre fin à la guerre. On peut évidemment imaginer d’intervenir utilement dans un conflit spécifique avec une certaine influence, mais à supposer que ce conflit particulier se termine, on peut en trouver d’autres qui persistent ou qui naissent. À première vue, à l’infini. Ma question est tout simplement : pourquoi ?

Mon ami Lucien l’âne, ton « tout simplement : pourquoi ? » est une question à laquelle je n’ai pas de réponse définitive et certainement, pas de réponse qui puisse être entièrement formulée ici. Mais néanmoins, je vais t’indiquer deux éléments en précisant que ton « pourquoi ? » auquel je réponds porte sur l’idée que « toute action contre la guerre est forcément une action au long cours ». Premier élément, c’est le nombre d’intervenants potentiels – il y a environ neuf milliards d’humains et je ne sais combien de formes de regroupement : États, nations, religions, partis, tribus, etc., tous susceptibles de vouloir ou de lancer des actions guerrières.
Deuxième élément : les vies des personnes humaines – aussi longues soient-elles, aussi longues pourrait-on les souhaiter sont d’une durée calculable en dizaines d’années – 6, 7, 10, 20 dizaines d’années  et celles des entités se mesurent en centaines d’années ? Et puis quoi ?
Tout ceci n’est pas sans conséquence si l’on considère que la guerre ne disparaîtra que du jour où – imposant aux entités leur décision – tous les humains s’y opposeront et auront mis fin aux causes de toutes les guerres, causes qui, me semble-t-il, sont d’ordre psycho-sociologique.
Ce sont des générations nouvelles de personnes et d'entités qu’il faudrait gagner à cette opposition consciente, raisonnée et obstinée à la guerre et gagner sans retour au refus de se laisser aller à la richesse, à l’avidité, à la domination, etc. Comme on peut l’imaginer, pour celles qui sont là, c’est déjà trop tard – et on parle en milliards d’êtres humains. Il suffit, en vérité, de regarder la réalité en face. La guerre et nous ne vivons pas dans le même temps. On peut chanter contre elle et c’est certainement indispensable, mais ce n’est pas suffisant. En somme, on peut chanter contre le malheur, mais il faut aussi étudier, rechercher, mettre en place les conditions du bonheur.

Et moi, moi, Marco Valdo M.I. mon ami, moi qui suis depuis si longuement en route autour et alentour et même au cœur du monde des hommes, moi qui ai vu les batailles de l’Iliade et bien d’autres avant encore, moi qui ai croisé Ulysse plusieurs fois et qui l’ai accueilli avec le vieil Argos, chose que le conteur semble ignorer (ce qui est une grave erreur de sa part), car il aurait pu donner plus de véracité encore à son récit en me donnant un instant la parole. J’aurais de mille détails attesté qu’Ulysse était bien Ulysse et j’aurais aussi pu révéler quelques détails de son périple que tous ici de ce fait ignoreront toujours, car à présent je ne m’en souviens plus trop.
Moi qui ai toujours croisé la guerre, moi qui ai vu tant et tant de fuyards, de blessés, de morts, de pays entiers ruinés par la faute de quelques-uns, moi qui ai croisé tant de « morts en vain » depuis des millénaires, moi qui ne suis qu’un âne errant au travers du temps, moi qui aurais tant aimé que la guerre ne me soit plus qu’un mauvais souvenir, moi, il me faut – comme il vous faut à vous pauvres vivants – souffrir qu’elle soit encore notre avenir, car je dois à la vérité dire que je ne vois pas plus que toi venir la fin de la guerre et j’ajoute, atterré, pour les mêmes raisons que toi.
Je persiste et signe : on ne pourra mettre fin à la guerre qu’en bannissant hors du monde la richesse, l’avidité qui n’est que l’appétit, la soif et le goût de richesse, l’ambition qui n’est que le goût, la soif et l’appétit du pouvoir et de la puissance.

Ainsi, Lucien l’âne mon ami, comme moi, tu attestes de la difficulté qu’il y a à comprendre comment en venir à bout, à se faire à l’idée qu’on n’y arrivera qu’en extirpant les racines de cette plante maudite de l’humaine nation et nécessairement, du cœur des humains, de chaque humain.

Alors, Marco Valdo M.I. mon ami, nous savons que nous ne pouvons faire ni plus ni moins que ce que nous faisons ici, nous ne pouvons faire ni plus ni poins que de tisser obstinément, inlassablement le linceul de ce vieux monde mortifère, nécrocole, thanatocole et cacochyme.

Heureusement !


Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Asseyez-vous et discutez
À votre aise, vieux renards argentés.
Nous vous emmurerons en un palais splendide
Avec de bons lits, un bon feu, du vin et de la nourriture
Pour que vous négociiez et échangiez
Les vies de vos enfants et les vôtres.
Que toute la sagesse de la création
Converge pour bénir vos raisons
Et vous guide dans le labyrinthe.
Mais dehors dans le froid, nous vous attendrons sans fin,
Nous, l’armée des morts en vain,
Nous ceux de Montecassino et de la Marne,
Ceux de Treblinka, ceux d’Hiroshima et ceux de Dresde,
Et il y aura avec nous
Les lépreux et les trachomeux,
Les disparus de Buenos Aires,
Les morts du Cambodge et les mourants d’Éthiopie,
Les pactisés de Prague,
Les exsangues de Calcutta,
Les innocents déchiquetés à Bologne.
Malheur à vous si vous ne pouvez vous accorder,
Par notre étreinte, vous serez écrasés.
Nous sommes invincibles, car nous sommes les vaincus.
Invulnérables, car déjà disparus :
Nous, nous nous moquons de vos missiles.
Asseyez-vous et négociez
Tant que votre langue n’aura pas séché,
Tant que la damnation et la honte dureront,
Nous vous noierons dans notre putréfaction.

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