CHANT DES MORTS EN VAIN
Version
française – CHANT DES MORTS EN VAIN – Marco Valdo M.I. – 2017
Chanson
italienne – Canto
dei morti invano – Primo
Levi – 1985
Il
y a là des accents d’ode, des accents et des réminiscences de
poésie lapidaire et peut-être même, une volontaire parenté avec
l’Ode
à Kesselring [[39124]]
de
Piero Calamandrei. Cette armée des morts en vain est de la même
famille, du même peuple que celui de Lo avrai qui attend
l’envahisseur aux bords des chemins.
« Si
tu voulais un jour revenir sur ces routes
tu nous trouverais à
nos postes
morts et vivants avec le même engagement
peuple
serré autour du monument
qui s’appelle
aujourd’hui et
pour toujours
RÉSISTANCE ! »
Dis-moi,
Marco Valdo M.I., mon ami, dis-moi avant d’aller plus avant :
ce peuple qui parle dans cette canzone de Primo Levi, ce peuple quel
est-il ? Cette armée de morts en vain, quelle est-elle ?
Elle
est longuement
décrite
et énumérée
dans la chanson, Lucien l’âne mon ami. Je résumerai la chose en
disant : ce sont les derniers morts de la Guerre
de Cent Mille Ans,
cette guerre longue, en apparence éternelle, que les riches font aux
pauvres, depuis qu’il y a des riches, depuis qu’il y a des
pauvres, depuis qu’il y a des faibles, depuis qu’il y a des
puissants, depuis qu’il y a des escrocs, depuis qu’il y a des
exploités. J’ai dit les derniers puisque la
chanson ne commence son énumération qu’au début du siècle
dernier, puisque
la liste ne commence qu’avec ceux de la Grande Guerre, celle
de 1914-18 et
tous
ces morts en vain s’additionnent
jusqu’au moment où Primo Levi écrivit sa chanson – 1985.
Depuis, comme tu le sais, il y en eut encore des tas d’autres et
aussi loin et aussi longtemps que je puisse voir, il en sera encore
pareil. C’est terrible, mais on ne saurait se faire d’illusions à
cet égard. Du reste, nous le savons bien tous deux et tous les
autres qui fréquentent ici les chansons contre la guerre. Tous ici –
nous
et les autres – mènent
une action de longue, longue haleine sans même imaginer qu’elle
puisse aboutir – disons, de leur vivant.
Donc,
si je comprends bien ce que tu viens de me dire, Marco Valdo M.I. mon
ami, la guerre en tant que phénomène humain – n’est pas près
d’être éradiquée, n’est pas près de disparaître. Les amis,
les intervenants, les commentateurs ou je ne sais comment les nommer,
tous ceux qui d’une manière ou d’une autre développent ou
soutiennent les CCG, le savent pertinemment : toute action
contre la guerre est forcément une action au long cours. J’en
déduis que chacun ici ne se fait aucune illusion sur la possibilité
de mettre fin à la guerre. On peut évidemment imaginer d’intervenir
utilement dans un conflit spécifique avec une certaine influence,
mais à supposer que ce conflit particulier se termine, on peut en
trouver d’autres qui persistent ou qui naissent. À première vue,
à l’infini. Ma question est tout simplement : pourquoi ?
Mon
ami Lucien l’âne, ton « tout simplement : pourquoi ? »
est une question à laquelle je n’ai pas de réponse définitive et
certainement, pas de réponse qui puisse être entièrement formulée
ici. Mais néanmoins, je vais t’indiquer deux éléments en
précisant que ton « pourquoi ? » auquel je réponds
porte sur l’idée que « toute action contre la guerre est
forcément une action au long cours ». Premier élément, c’est
le nombre d’intervenants potentiels – il y a environ neuf
milliards d’humains et je ne sais combien de formes de
regroupement : États, nations, religions, partis, tribus, etc.,
tous susceptibles de vouloir ou de lancer des actions guerrières.
Deuxième
élément : les vies des personnes humaines – aussi longues
soient-elles, aussi longues pourrait-on les souhaiter sont d’une
durée calculable en dizaines d’années – 6, 7, 10, 20 dizaines
d’années et celles des entités se mesurent en centaines
d’années ? Et puis quoi ?
Tout
ceci n’est pas sans conséquence si l’on considère que la guerre
ne disparaîtra que du jour où – imposant aux entités leur
décision – tous les humains s’y opposeront et auront mis fin aux
causes de toutes les guerres, causes qui, me semble-t-il, sont
d’ordre psycho-sociologique.
Ce
sont des générations nouvelles de personnes et d'entités qu’il
faudrait gagner à cette opposition consciente, raisonnée et
obstinée à la guerre et gagner sans retour au refus de se laisser
aller à la richesse, à l’avidité, à la domination, etc. Comme
on peut l’imaginer, pour celles qui sont là, c’est déjà trop
tard – et on parle en milliards d’êtres humains. Il suffit, en
vérité, de regarder la réalité en face. La guerre et nous ne
vivons pas dans le même temps. On peut chanter contre elle et c’est
certainement indispensable, mais ce n’est pas suffisant. En somme,
on peut chanter contre le malheur, mais il faut aussi étudier,
rechercher, mettre en place les conditions du bonheur.
Et
moi, moi, Marco Valdo M.I. mon ami, moi qui suis depuis si longuement
en route autour et alentour et même au cœur du monde des hommes,
moi qui ai vu les batailles de l’Iliade et bien d’autres avant
encore, moi qui ai croisé Ulysse plusieurs fois et qui l’ai
accueilli avec le vieil Argos, chose que le conteur semble ignorer
(ce qui est une grave erreur de sa part), car il aurait pu donner
plus de véracité encore à son récit en me donnant un instant la
parole. J’aurais de mille détails attesté qu’Ulysse était bien
Ulysse et j’aurais aussi pu révéler quelques détails de son
périple que tous ici de ce fait ignoreront toujours, car à présent
je ne m’en souviens plus trop.
Moi
qui ai toujours croisé la guerre, moi qui ai vu tant et tant de
fuyards, de blessés, de morts, de pays entiers ruinés par la faute
de quelques-uns, moi qui ai croisé tant de « morts en vain »
depuis des millénaires, moi qui ne suis qu’un âne errant au
travers du temps, moi qui aurais tant aimé que la guerre ne me soit
plus qu’un mauvais souvenir, moi, il me faut – comme il vous faut
à vous pauvres vivants – souffrir qu’elle soit encore notre
avenir, car je dois à la vérité dire que je ne vois pas plus que
toi venir la fin de la guerre et j’ajoute, atterré, pour les mêmes
raisons que toi.
Je
persiste et signe : on ne pourra mettre fin à la guerre qu’en
bannissant hors du monde la richesse, l’avidité qui n’est que
l’appétit, la soif et le goût de richesse, l’ambition qui n’est
que le goût, la soif et l’appétit du pouvoir et de la puissance.
Ainsi,
Lucien l’âne mon ami, comme moi, tu attestes de la difficulté
qu’il y a à comprendre comment en venir à bout, à se faire à
l’idée qu’on n’y arrivera qu’en extirpant les racines de
cette plante maudite de l’humaine nation et nécessairement, du
cœur des humains, de chaque humain.
Alors,
Marco Valdo M.I. mon ami, nous savons que nous ne pouvons faire ni
plus ni moins que ce que nous faisons ici, nous ne pouvons faire ni
plus ni poins que de tisser obstinément, inlassablement le linceul
de ce vieux monde mortifère, nécrocole, thanatocole et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Asseyez-vous
et discutez
À
votre aise, vieux renards argentés.
Nous
vous emmurerons en un palais splendide
Avec
de bons lits, un bon feu, du vin et de la nourriture
Pour
que vous négociiez et échangiez
Les
vies de vos enfants et les vôtres.
Que
toute la sagesse de la création
Converge
pour bénir vos raisons
Et
vous guide dans le labyrinthe.
Mais
dehors dans le froid, nous vous attendrons sans fin,
Nous,
l’armée des morts en vain,
Nous
ceux de Montecassino et de la Marne,
Ceux
de Treblinka, ceux d’Hiroshima et ceux de Dresde,
Et
il y aura avec nous
Les
lépreux et les trachomeux,
Les
disparus de Buenos Aires,
Les
morts du Cambodge et les mourants d’Éthiopie,
Les
pactisés de Prague,
Les
exsangues de Calcutta,
Les
innocents déchiquetés à Bologne.
Malheur à vous si vous ne
pouvez vous accorder,
Par
notre étreinte, vous serez écrasés.
Nous
sommes invincibles, car nous sommes les vaincus.
Invulnérables,
car déjà disparus :
Nous,
nous nous moquons de vos missiles.
Asseyez-vous
et négociez
Tant
que votre langue n’aura pas séché,
Tant
que la damnation et la honte dureront,
Nous
vous noierons dans notre putréfaction.
Il y a là des accents d’ode, des accents et des réminiscences de poésie lapidaire et peut-être même, une volontaire parenté avec l’Ode à Kesselring [[39124]] de Piero Calamandrei. Cette armée des morts en vain est de la même famille, du même peuple que celui de Lo avrai qui attend l’envahisseur aux bords des chemins.
tu nous trouverais à nos postes
morts et vivants avec le même engagement
peuple serré autour du monument
qui s’appelle
aujourd’hui et pour toujours
RÉSISTANCE ! »
Malheur à vous si vous ne pouvez vous accorder,
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