DOCTEURS, MÉDECINS ET SAVANTS
Chanson italienne – Dotti, medici e sapienti - Edoardo Bennato – 1977«Burattino senza fili – Marionnette sans fils » est un album d’Edoardo Bennato sorti en 1977, dont on a vendu environ un million de copies. Il raconte les aventures de Pinocchio de manière métaphorique et propose une double clé de lecture : l’histoire de Carlo Collodi telle quelle et une exposition allégorique des personnages moderne. Toute la poétique de « Marionnette sans fils » est une métaphore du pouvoir, qui impose sa culture et sa notion de normalité, en repoussant et en opprimant celui qui s’éloigne des règles fixées et ose chercher sa vision du monde personnelle . Les morceaux de « Marionnette sans fils » sont presque tous centrés sur la réinterprétation des personnages de l’histoire en fonction du dualisme normal/anormal. Le thème fondamental de l’évolution de Pinocchio de marionnette à enfant devient, alors l’histoire d’un renoncement à sa nature et de son abandon à l’observance résignée des codes de la culture dominante.
Dialogue
maïeutique
Lucien
l’âne mon ami, sans doute connais-tu, toi aussi, les aventures de
Pinocchio, aimable marionnette imaginée par Carlo Collodi, un auteur
italien, toscan, florentin, connu à la ville et dans
l’administration sous le patronyme de Carlo Lorenzini.
Et
sans doute aussi, sais-tu combien ce petit personnage imaginaire est
connu dans le monde et énormément apprécié par les enfants
d’Italie.
Sans
doute, sais-tu aussi, que face à Pinocchio, tous (ou presque) les
adultes de la péninsule redeviennent de petits enfants, au moins
pour un instant. Non qu’ils retombent en enfance et sombrent dans
un gâtisme anticipé, mais bien au contraire, à ce moment, ils
retrouvent une certaine fraîcheur d’esprit et disons, de cœur.
Et, crois-moi, pour beaucoup, ce n’est pas rien.
Évidemment
que je le connais ce petit bout de bois, à la tenue multicolore, qui
devient un petit gars, tout comme moi, jeune homme intrépide et
imprudent, je suis devenu l’âne que tu vois, déclare Lucien l’âne
tout sourire.
Vois-tu,
Marco Valdo M.I. mon ami, entre légendes sorties tout armées de la
tête de personnages lunatiques, on finit tous par se connaître. Je
le connais, c’est sûr, tout comme je connais le baron perché.
D’ailleurs, il ne m’étonnerait pas que je le rencontre un jour ;
c’est une probabilité assez forte, mais il est bien jeune. Enfin,
jeune et récent, pour moi ; en fait, je veux dire exactement
qu’il n’est pas dans le monde depuis longtemps.
À
peine un gros siècle, en effet, dit Marco Valdo M.I. ; ça
dépend comment on regarde.
Certes,
Marco Valdo M.I. mon ami, cependant, je voudrais juste ajouter à ton
premier commentaire que Pinocchio est quand même connu bien au-delà
des frontières nationales de l’Italie et même, de ses extensions
par émigration sur toute la planète.
C’est
un personnage mondial ; il est devenu une célébrité et il est
apprécié sur les sept continents, en ce compris celui qu’ils
viennent de découvrir aux confins de l’Australie.
Qu’est-ce
que c’est que cette histoire de nouveau continent ? Jusqu’à
ce que tu m’en parles, Lucien l’âne mon ami, je n’en
connaissais que six : l’Europe, où nous résidons, l’Afrique
toute proche, l’Asie voisine, l’Amérique lointaine, l’Océanie
encore plus éloignée et l’Antarctique à l’autre bout du monde.
C’est
exact, Marco Valdo M.I., ton énumération est parfaite, mais il va
falloir y ajouter dorénavant la Zealandia, située aux confins de
l’Australie, qui par son nom rappelle sans doute la Zélande, notre
voisine.
Un
drôle de nom en passant que Zealandia, on dirait un mot valise ou un
mot bâtard de Zeeland, où un géographe bègue hésiterait entre le
Zee néerlandais et le Sea des Anglais. Mais maintenant, dis-moi, que
dit de Pinocchio cette canzone, car toi, jusqu’ici tu ne m’en as
rien dit ?
Comme
tu t’en es sans doute rendu compte, Lucien l’âne mon ami, si tu
connais un peu Pinocchio, c’est un personnage un peu turbulent et
un peu innocent aussi. J’entends innocent, bien évidemment au sens
où nous l’entendons par ici lorsqu’on dit de quelqu’un :
« C’ti là, c’esse t-in innocînt ! » (Celui-là,
c’est un innocent !) ou quelque chose du genre ; phrase
qu’on peut aussi traduire en français banal par « C’est un
demeuré ».
Pour
la bonne bouche et la compréhension générale, on y ajoutera :
abêti, hébété, bête, bêta, crétin, débile, déficient, obtus,
benêt, abruti, brute, ahuri, ébaubi, ébaudi, niais, idiot,
andouille, balourd, borné, bouché, imbécile, gourde, sot, patate,
cornichon, bovin, nigaud, naïf, dadais, simplet, nouille, couille,
couillon, tocard, bûche, pantin, nunuche, stupide, inintelligent,
animal, godiche, lourdaud, baudet, rustaud, butor, béjaune,
blanc-bec, limité, étroit, incapable, ganache, ignorant, ignare,
inepte, inapte, insensé, diable, fêlé, retardé, chenapan,
sacripant, filou, galopin, gamin, coquin, drôle, galapiat, polisson,
fripouille, arsouille, fripon et plein d’autres encore, dont un
célèbre entre tous à cause de son bonnet que j’ai omis par
délicatesse.
Merci
bien. Cela dit, Marco Valdo M.I. mon ami, je trouve que tu es un rien
injuste avec ce brave (tiens, en voilà un que tu as oublié !)
Pinocchio.
Mais
pas du tout, Lucien l’âne mon ami, je pense que Pinocchio est
comme ça au début et initiation par la vie aidant, il va échapper
à cette triste destinée. C’est ainsi que Collodi l’avait
envisagé.
Rappelle-toi
quand même qu’à l’origine, ce devait être une histoire
moralisatrice, comme l’était toute la littérature enfantine en
vogue à cette époque ; dans sa conception, Pinocchio est plus
proche d’Hector Malot et d’Edmondo De Amicis que de l’impétueux
Gian Burrasca de Vamba, alias Luigi Bertelli – un de ses
descendants littéraires, d’ailleurs tout aussi aimé et connu des
enfants italiens.
Maintenant,
je te présente ce que raconte la canzone. Je t’explique la chose.
La
scène (celle que rapporte la chanson) raconte une séance de
consultation, un colloque qui se déroule autour de Pinocchio, qui
n’est manifestement pas conforme aux normes en usage et de ce fait
inquiète toutes ces bonnes gens et la chanson rapporte les opinions
émises par tous ces docteurs, médecins et savants à propos de ce
jeune un peu distrait et vaguement audacieux.
En
soi, il est un « problème ».
Tout
ce beau monde y va de sa spécialité et de l’opinion
correspondante. On dirait, tiens, un de ces colloques qu’on
organise régulièrement dans notre société sénile pour trouver
des solutions aux problèmes que lui posent les « jeunes »
ou plus généralement, toute population dérangeante, en ce qu’elle
diffère du modèle déposé, du citoyen doc, à dénomination
d’origine contrôlée et de préférence, locale. Le dissemblable
dérange nos bons gâticulteurs.
Le
seul à ne pas vouloir de cette docte assemblée et de n’y voir
aucune utilité, ni aucun intérêt, c’est évidemment Pinocchio.
Non seulement, il voit dans cette sollicitude sénile une intrusion
dans son monde personnel, mais en même temps et surtout, il ressent
la chose comme une oppression insupportable et qui l’effraye.
Alors, il s’enfuit laissant l’assemblée en plein désarroi.
Cette
fuite et cette histoire me rappelle d’ailleurs
très fort La
Chasse à l’enfant, où les enfants révoltés et en fuite sont
poursuivis par les « bonnes gens » ou encore le Charmeur
de Rats (ou d’enfants), version française de la chanson allemande
intitulée Der
Rattenfänger.
Eh
bien, Marco Valdo M.I. mon ami, je pense qu’on en a assez dit et
qu’il est temps de reprendre notre tâche qui consiste à tisser,
tisser encore et toujours, ora e sempre, le linceul de ce vieux monde
sénile, menteur, brutal, débile, avide, ambitieux et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Au
nom du progrès supérieur
Le débat est lancé,
Tous viennent parler,
Les médecins, les savants, les docteurs.
Le débat est lancé,
Tous viennent parler,
Les médecins, les savants, les docteurs.
Tous
se tiennent autour du lit
De quelqu’un malade très gravement,
Et quelqu’un dit
Que ce malade est agonisant.
De quelqu’un malade très gravement,
Et quelqu’un dit
Que ce malade est agonisant.
Si
jeune, c’est un péché
Qu’il se soit ainsi desséché,
On donne alors la parole
Au docteur de l’école.
Qu’il se soit ainsi desséché,
On donne alors la parole
Au docteur de l’école.
Je
vous suis très reconnaissant
D’avoir été consulté comme praticien.
Pour moi, le cas est évident :
Celui-là est seulement un comédien.
D’avoir été consulté comme praticien.
Pour moi, le cas est évident :
Celui-là est seulement un comédien.
Ce
n’est vraiment pas de bon coeur,
Que je contredis l’estimable professeur,
Ce gars-là est un inadapté
Qui doit être interné !
Que je contredis l’estimable professeur,
Ce gars-là est un inadapté
Qui doit être interné !
Au
congrès, ils sont plus de cent
Docteurs, médecins et savants,
À parler, juger,
Évaluer et diagnostiquer,
Et proposer des solutions
Pour le jeune en question.
Docteurs, médecins et savants,
À parler, juger,
Évaluer et diagnostiquer,
Et proposer des solutions
Pour le jeune en question.
Ce
jeune est contaminé,
Je sais comment il doit être soigné !
Il est déjà trop infecté,
Il doit être isolé.
Je sais comment il doit être soigné !
Il est déjà trop infecté,
Il doit être isolé.
Je
suis sûr et j’ai les preuves :
C’est un cas très grave.
Traitement radical
Avant qu’il ne finisse mal !
C’est un cas très grave.
Traitement radical
Avant qu’il ne finisse mal !
Au
congrès, ils sont plus de cent
Docteurs, médecins et savants,
À parler, juger,
Évaluer et diagnostiquer,
Et proposer des solutions
Pour le jeune en question.
Docteurs, médecins et savants,
À parler, juger,
Évaluer et diagnostiquer,
Et proposer des solutions
Pour le jeune en question.
Permettez
une parole,
Je ne suis jamais allé à école
et au milieu de gens importants,
Moi qui suis ignorant
Je ne devrais peut-être pas parler.
Mais après tout ce que vous avez dit
Je me sens comme interdit,
Et donc avant que vous m’arrêtiez
Je dois hurler, et crier,
Je dois me prévenir,
Debout et fuis !
Même si tous te regardent,
Allez, fuis… ! Fuis ! … Fuis !
Attrapez-le… gardes !
Il s’enfuit ! ! !
Je ne suis jamais allé à école
et au milieu de gens importants,
Moi qui suis ignorant
Je ne devrais peut-être pas parler.
Mais après tout ce que vous avez dit
Je me sens comme interdit,
Et donc avant que vous m’arrêtiez
Je dois hurler, et crier,
Je dois me prévenir,
Debout et fuis !
Même si tous te regardent,
Allez, fuis… ! Fuis ! … Fuis !
Attrapez-le… gardes !
Il s’enfuit ! ! !
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