Version française – LE PAUVRE SOLDAT – Marco Valdo M.I. – 2016
Chanson italienne – Il povero soldato – Gigliola Cinquetti – 1972
Texte et musique : Vassallo-Rubino
« Exécutions
de guerre. Témoignages et épisodes de justice militaire du front italo-autrichien, 1915-1918 », par Massimiliano Magli, Nord
Press Éditions
Lors
de la première guerre mondiale des milliers de soldats italiens
moururent pour la Patrie et des centaines d’autres soldats pour
cette même Patrie eurent le « devoir » de mourir
exécutés. Telle est la tragique constatation de cette étude qui
reconstruit le destin de militaires envoyés à la mort parfois, car
ils contrevenaient à une cruelle loi martiale ; le plus souvent
car, même en respectant cette loi, ils représentaient une occasion
idéale d’inspirer la terreur et réduire à une aveugle obéissance
les troupes sur le front italien.
L’exécution
était la peine la plus grave prescrite par les Codes Militaires
Italiens (art. 8-29 Codes Pénaux Armée – art. 7-31 Codes Pénaux
Marine) et représentait l’unique manière prévue par notre
vieille législation militaire pour infliger la peine de mort. On
distingue l’exécution de face et l’exécution de dos.
La
première était prescrite pour délits des très graves mais pas
déshonorants. Elle était faite par une escouade de douze soldats et
un caporal, choisis à l’ancienneté parmi toutes les compagnies
présentes au Siège du Corps auquel appartenait le condamné. Pour
l’exécution, l’officier plus élevé en grade rangeait les
troupes et faisait présenter les armes, il lisait la sentence. Puis,
il faisait avancer le condamné, qui pouvait être assisté d’un
ministre du culte et après l’avoir fait asseoir, il lui faisait
bander les yeux. Si le condamné le demandait pouvait rester debout
et sans bandeau. Ensuite, le peloton d’exécution accomplissait sa
mission.
L’exécution
de dos était infamante et était prescrite pour les délits qui
dénotaient une extrême infamie. Avant l’exécution de dos, on
procédait à la dégradation. Ensuite, on passait à l’exécution
: on faisait asseoir le condamné, les yeux bandés, avec les épaules
tournées vers le peloton d’exécution ; le peloton lui-même,
s’il était déjà présent sur place avant le condamné, était
rangé de dos, de sorte que condamné et le peloton ne se regardaient
jamais de face ; après un demi-tour du peloton, la sentence
était exécutée.
Parfois
simplement fumer devant un officier signifia jouer sa vie ;
d’autres fois, il suffisait de céder à la peur de la mort et de
se soustraire aux armes, ou bien encore de vouloir abandonner la
tranchée en recourant l’automutilation. Cela arriva même à celui
qui avait accompli des gestes héroïques dignes d’une médaille,
quelques heures avant de finir devant le peloton.
Dialogue
maïeutique
Voici,
Lucien l’âne mon ami, une chanson qui narre une triste aventure :
celle du soldat qui est fusillé quelques instants avant que sa grâce
ne soit signifiée. C’est une chanson anonyme, une histoire qu’on
se passait sans doute dans les tranchées et pas seulement, je pense,
dans l’armée italienne. On fusillait beaucoup dans toutes les
armées ; un excellent moyen – pensait-on de maintenir la
discipline, laquelle – selon les militaires les plus experts –
est la force des armées.
C’est
certain, répond Lucien l’âne qui s’y connaît en matière
militaire vu qu’il a côtoyé les armées depuis des millénaires.
C’est certainement un moyen de discipliner le fusillé. Lui au
moins, il ne désobéirait plus, il n’essayerait plus de déserter,
c’était déjà fait par la grâce du règlement. Mort, il n’aura
plus à se donner la peine d’aller mourir au front.
C’est
à peu près ce que la version de langue française de cette chanson
et si elle le dit plus nettement que dans la version italienne, il
faut y voir la patte du traducteur et son goût pour un peu plus
d’ironie.
Je
vois, dit Lucien l’âne, je vois, Marco Valdo M.I. mon ami, que
nous sommes pour une fois sur la même longueur d’ondes.
Mais,
Lucien l’âne mon ami, ce n’est pas tout. En cours de traduction,
il m’est venu l’idée d’ajouter un distique.
Un
distique ?, dit Lucien l’âne. D’abord, quel distique et que
vient-il faire là ?
Tout
simplement :Regrets éternels !, dit le colonel, Lucien
l’âne mon ami. Tel est le petit distique que j’ai ajouté entre
chaque quatrain. Quant à expliquer sa présence, tout ce que je peux
en dire, c’est qu’il me semble qu’il venait tout seul pour
donner un rythme plus martial à cette histoire ; il explicite à
sa manière ce qui peut bien se passer dans la tête d’un colonel,
quand il doit procéder à une exécution capitale. Lui-même n’est
finalement qu’un rouage de la machine à broyer des hommes ;
il n’a pas plus le choix que le condamné. L’un est condamné à
mourir ; l’autre est condamné à tuer. Évidemment, il aurait
pu échapper à ce destin de brute…
Ah,
oui ?, dit Lucien l’âne. J’aimerais bien, Marco Valdo M.I.
mon ami, que tu me dises comment.
Mais
tout simplement en n’étant pas colonel. Tu comprends cela, Lucien
l’âne mon ami. C’est évidemment un raisonnement spécieux, car
– par exemple – on peut imaginer que le colonel est moins
directement impliqué que ceux qui tiennent (soldats et peut-être
camarades de celui qu’on fusille) les fusils dans le peloton
d’exécution. On finit par comprendre ainsi que la vraie saloperie,
c’est la guerre elle-même ; en filigrane, se pose également
la question de la peine de mort. Tout cela est absurde. Quant à y
mettre le holà, on n’a pas encore trouvé le moyen d’y parvenir,
même si on en connaît l’origine et le principe moteur.
Oh,
Marco Valdo M.I. mon ami, je vois aussi bien que toi quelle en est
l’origine et son principe moteur : c’est la Guerre de Cent
Mille Ans que les riches et les puissants font aux pauvres pour
installer d’abord, puis maintenir ensuite leur domination, leur
richesse, leur pouvoir, assurer leurs privilèges et poursuivre et
développer l’exploitation. Le principe moteur est
vraisemblablement l’avidité, l’envie, l’ambition ; ce
monde est malade de tout cela. Pour en venir à bout, il n’y a pas
mille manières, il faut et il suffit de tisser le linceul de ce
vieux monde avide, aride, assassin, ambitieux et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Regrets
éternels !,
Dit
le colonel.
Au
matin, on vient le réveiller.
C’est l’heure d’être fusillé.
Il dit : je suis malade et dans ce cas,
Me fusiller, on ne peut pas.
C’est l’heure d’être fusillé.
Il dit : je suis malade et dans ce cas,
Me fusiller, on ne peut pas.
Regrets
éternels !,
Dit
le colonel.
Regrets
éternels !,
Dit
le colonel.
Regrets
éternels !,
Dit
le colonel.
Regrets
éternels !,
Dit
le colonel.
Regrets
éternels !,
Dit
le colonel.
Regrets
éternels !,
Dit
le colonel.
À
cet instant, arrive la grâce
Qui l’aurait sauvé,
Alors, content, à la caserne, il serait rentré
Pour aller au front se faire tuer.
Qui l’aurait sauvé,
Alors, content, à la caserne, il serait rentré
Pour aller au front se faire tuer.
Regrets
éternels !
Dit
le colonel.
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