BRISEZ
CE QUI VOUS BRISE !
Version
française – BRISEZ CE QUI VOUS BRISE ! – Marco Valdo M.I. –
2016
Chanson
allemande – Macht
kaputt was euch kaputt macht – Norbert Krause – 1969
Interprétation :
Ton
Steine Scherben
Paroles :
Norbert Krause
Musique :
Ralph Möbius (alias Rio Reiser)
LE
VIEUX MONDE CACOCHYME
|
Ah,
regarde Lucien l’âne mon ami, nous sommes en 1969 et le soufflé
de la prospérité allemande (en RFA tout au moins) n’est pas prêt
à retomber ; bien au contraire, il gonfle, gonfle, gonfle
autant qu’il peut gonfler. C’est cette atmosphère à la
dynamique adipeuse que décrit la chanson ; une atmosphère
étouffante pour les gens qui ne partageaient pas cette grandiose
euphorie.
Oh,
dit Lucien Lane, c’est souvent, sinon toujours ainsi. C’est un
des aspects de la Guerre de Cent Mille Ans que les riches font aux
pauvres afin de faire taire toute protestation contre leur insolente
escroquerie généralisée que d’aucuns nomment exploitation ;
d’autres qualifient de profit ; bref, ce comportement de
sangsues cannibales. Il y a de quoi avoir une solide envie de tout
foutre en l’air, de crier sa honte et d’appeler à la révolte
C’est
précisément, reprend Marco Valdo M.I., le propos de la canzone. En
deux temps, assez rationnels. Temps un : description des faits ;
temps deux : appel à la révolte. Cette incitation, lancée à
la cantonade à détruire ce qui détruit, à réduire à néant
toutes ces choses toxiques est nettement exposée dans le titre :
Macht kaputt was euch kaputt macht – Détruis ce qui te détruit.
La preuve que cette proclamation rencontrait un sentiment fort
répandu dans la population de l’Allemagne nouvelle – en ces
années-là, celle qui regroupait ceux qui avaient résisté aux
temps du Reich de Mille Ans qui n’en avait duré que douze ;
ceux qui en avaient été dégoûtés après y avoir cru ; ceux
qui trop jeunes avaient grandi dans la terreur et l’abjection ;
ceux qui venus au monde après la fin du Millénaire de douze ans
qui, etc, et n’avaient connu au départ de leur vie que ruines,
ressentiments et misères, tous ceux-là qui avaient aussi vu gonfler
la baudruche.
À
propos du titre de la canzone, dit Lucien l’âne en riant, il est
curieux qu’en allemand, Kaputt – peut être traduit utilement par
« foutu ». Chez nous, je ne sais par quel héritage, on
utilise en français pour dire « c’est foutu »,
l’expression « c’est kaputt », alors qu’en latin,
« caput » désigne la tête.
Laissons
ce casse-tête à notre ami Ventu, friand de philologie. Ceci dit,
une manière de rendre ce titre – il y en a tant et tant de ces
tournures que je renonce à en faire une énumération exhaustive,
donc, une façon de le faire sonner en français est : « Foutez
en l’air ce qui vous en l’air ! ». Le titre de cette
chanson correspondait tellement bien à un sentiment général chez
certains (ceux ci-dessus recensés) qu’elle fut immédiatement
adoptée comme une antienne qui fut scandée dans les manifestations,
écrites sur les murs, peintes sur des panneaux et des pancartes,
imprimées sur des vêtements, et ainsi de suite. Ce titre servit
quasi-immédiatement de slogan aux Autonomes allemands ; on le
retrouva repris en chœur dans les mouvements pour le logement et fit
florès dans tout le mouvement étudiant et anarchiste, un peu
partout en Allemagne. C’était un début et on n’était qu’au
début.
Début ?
Quel début ? Début de quoi ?, Marco Valdo M.I. mon ami.
Tout cela est bien énigmatique. Pourrais-tu éclairer ma lanterne ?
On
était au début des remous qui vont faire suite à 1968 ; les
générations nées autour de la guerre avaient commencé leur vie
dans la misère et les ruines, avait entretemps accédé aux
richesses d’ersatz de la société de consommation où on leur
avait proposé des objets, des ombres, des silhouettes, des plaisirs
insipides et mornes, des attrape-nigauds en lieu et place de leur vie
et de leur propre bonheur. Les plus lucides ouvraient la voie au
rejet de l’imposture démocratique et consommatrice, de la
réification de leurs êtres et de leurs sentiments ; tout
s’évaluait, la valeur – qui n’est rien d’autre qu’un
concept marchand – tenait lieu de conscience de soi et du monde.
L’homme se mesurait sur la balance de l’épicier, le bien-être
tournait à la boulimie. Ce double mouvement : l’accession aux
objets, aux choses et la réduction concomitante de la personne au
consommateur, d’une part et d’autre part, la volonté rationnelle
et raisonnable de rejeter les faux semblants et les icônes, a
commencé à se préciser et à se développer autour de ces
années-là et la confrontation est toujours en cours. On n’était
pas passé impunément des Lumières aux bilans trimestriels, de la
philosophie émancipatrice au voile publicitaire du mercantilisme.
Les Dieux – la plupart monomaniaques, sous les formes les plus
communes en nos régions de Yahvé, de Dieu ou d’Allah –
entendaient sauvegarder leur valeur à la bourse des éternités de
pacotille ainsi que multiplier leurs clientèles ; leurs
courtiers s’activent encore dans le placement des assurances
vie-éternelle. Ces assureurs comme leurs confrères d’autres
domaines ont le tour professionnel pour vendre du vent et des
leurres. Face à ces religions prônant dieux, commerces et
imageries, la chanson est un hymne iconoclaste.
« Brisez
ce qui vous brise !
Détruisez
ce qui vous détruit ! »
Oh,
Marco Valdo M.I. mon ami, comme elle disait juste, comme elle avait
raison. Et ses échos se répercutent encore à présent. Quand donc
comprendront-ils ces humains drogués au salut et aux hochets des
apparences ? C’est tout l’enjeu de la Guerre de Cent Mille
Ans, cette guerre aux mille méandres et détours, que les riches,
les puissants et leurs séides font aux pauvres du monde entier afin
de maintenir la richesse, de rencontrer leur adipeuse ambition, leur
domination stupide et mortifère. Reprenons notre tâche et brisons
ce monde qui nous abîme la vie, tissons le linceul de ce vieux monde
mercantile, intéressé, ambitieux, impotent, avide et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Les radios parlent, les disques chantent,
On tourne des films, les télés se vendent,
On achète des voyages, on achète des voitures,
On achète des maisons, on achète des meubles.
Pour quoi ?
Brisez ce qui vous brise !
Détruisez
ce qui vous détruit !
Les trains roulent, les dollars roulent,
Les machines tournent, les hommes triment ,
Des usines fabriquent, fabriquent des machines,
Fabriquent des moteurs, fabriquent des armes.
Pour qui ?
Les trains roulent, les dollars roulent,
Les machines tournent, les hommes triment ,
Des usines fabriquent, fabriquent des machines,
Fabriquent des moteurs, fabriquent des armes.
Pour qui ?
Brisez ce qui vous brise !
Cassez
ce qui vous casse !
Les
bombardiers volent, les chars roulent ,
Les policiers frappent, les soldats meurent,
Protègent les chefs, protègent les riches,
Protègent le Droit, protègent l’État.
Avant nous !
Les policiers frappent, les soldats meurent,
Protègent les chefs, protègent les riches,
Protègent le Droit, protègent l’État.
Avant nous !
Brisez
ce qui vous brise !
Cassez
ce qui vous casse !
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