Le Sâr Rabindranath Duval
Pierre
Dac et Francis Blanche – 1957 (version 1960)
https://www.youtube.com/watch?v=JXbn_XvPGHE
Lucien
l’âne mon ami, en ce jour de gloire où il m’est arrivé de
retrouver le texte de ce sketch mémorable entre tous de Pierre Dac
et Francis Blanche et de constater qu’on y trouve une des devises
les plus antimilitaristes qui soit, je me suis empressé de la
présenter dans les Chansons contre la Guerre. Car, vois-tu, le rire
est une des manifestations les plus nettes de la joie des hommes et
par conséquent, un grand moment de pacifique détente.
Ah,
Marco Valdo M.I. mon ami, moi, a priori, je suis toujours
enthousiaste à l’idée d’entendre ou de voir ou même de lire
les élucubrations de Pierre Dac et Francis Blanche. Ce sont des
moments fastueux dans l’existence d’un âne.
Et
le Sâr Rabindranath n’échappe pas à la règle. Pour ce qui est
de l’insérer dans les chansons contre la Guerre, comme je te le
disais, il y a là une phrase qui pourrait servir de devise au site
lui-même. Je veux parler de cette réplique de Francis Blanche, qui
énonce : « Brahma la Guerre et Vishnou la Paix ».
Tout
un programme. J’ai entendu dire que c’était un des grands
moments du spectacle comique français. Un de ces numéros qu’on ne
se lasse pas d’entendre.
Voici
deux mots de ce qu’en dit le grand Wiki : « Le
Sâr Rabindranath Duval est un des plus célèbres sketchs
comiques créés par Francis Blanche et Pierre Dac. C'est une parodie
des numéros de divination, qui met en scène un mage, un fakir
quasiment nu, assis en tailleur sur un plateau, lequel repose sur un
pied, une sorte de guéridon et son assistant, portant turban et une
tenue censée être indienne.
Faux
folklore, faux fakir, fausse Inde, faux numéro qui dénonce de vrais
escrocs et quand on connaît les duettistes, deux maîtres de
l’humour, quand on se souvient des chansons que Pierre Dac écrivait
et interprétait contre les nazis et leurs alliés, on imagine que
cette parodie doit aussi être vue comme une parabole et qu’elle
déborde le petit monde du spectacle pour s’étende à d’autres
domaines du monde : la religion, par exemple ; ce « Votre
Sérénité » rappelle singulièrement « Votre Sainteté »
et toutes les appellations honorifiques dont on affuble les grands de
ce monde : éminence, majesté, grandeur et autres rodomontades
protocolaires.
Arrêtons-nous
là, Marco Valdo M.I. mon ami, si tu veux bien et laissons dire les
eux comparses. Quant à nous, reprenons notre tâche et tissons le
linceul de ce vieux monde religieux, protocolaire, conformateur et
cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Mesdames,
mesdemoiselles, messieurs,
– J’ai
le grand plaisir honorifique de vous présenter ce soir, tout à fait
exceptionnellement dans le plus simple appareil, une beauté qu’on
vient d’arracher, à on ne sait pas à quoi d’ailleurs ! …
de vous présenter le Sâr Rabindranath Duval, qui est le descendant
authentique des grands Sârs, des grands visionnaires de l’Inde !
Votre Sérénité…
– Hum ! Hum !
– Vous
avez bien dîné déjà ? Bon !
– Vous
descendez des grands Sârs de l’Inde ?
– Oui.
– Vous
êtes né dans l’Inde ?
– Je suis né dans
l’Inde.
– À quel endroit de
l’Inde ?
– Châteauroux.
– À
Châteauroux ! Extraordinaire ! Vraiment ! D’ailleurs,
je crois savoir de source sûre que votre père était
hindou.
– Hindou, oui.
– Votre
grand-père ?
– Hindou.
– Et
votre arrière-grand-père ?
– C’était un
dur.
– Voilà, donc par conséquent, il a depuis de
longues années la pratique de la vision hindoue. Dites–moi, Votre
Sérénité, vous avez le don de double vue ?
– Oui,
je vois double.
– Il voit double ! Je m’en
doutais un peu d’ailleurs ; vous voyez donc, mais c’est
héréditaire ?
– Héréditaire !
– C’est
atavique.
– Non, c’est à moi !
– Je
veux dire, c’est congénital !
– Non, c’est
quand j’ai trop bu.
– Il faut dire, je tiens
absolument à préciser, que Sa Sérénité fait de grands exercices
tous les jours, quotidiennement presque, pour conserver son don de
double vue.
Il fait le yoga, n’est-ce pas ?
Vous faites le yoga ?
– Oui, oui.
– C’est
le yoga de…
– La Marine !
– Et
il surveille également de très près son alimentation.
– Quelle
est votre alimentation ? Qu’est–ce que vous prenez pour
votre dîner ?
– Uniquement de la cuisine à
l’huile.
– La cuisine des Sârs ?
– La
cuisine des Sârs, oui !
– Oui, mais
pourquoi ?
– Parce que les Sârs dînent à
l’huile !
– Les Sârs dînent à l’huile !
Vraiment, ce n’est pas trop tiré par les cheveux du tout parce
qu’il n’en a plus ! Alors, si vous permettez, nous allons
nous livrer sur quelques personnes de l’assistance publique, à des
expériences tout à fait extraordinaires. Votre Sérénité, je vais
vous demander de vous concentrer soigneusement…
– Voilà !
Vous êtes concentré ?
– Je suis
concentré.
– Il est concentré, comme on dit chez
Nestlé… parfait. Votre Sérénité, concentrez–vous bien, vous
êtes en transe ?
– Oui, je suis en transe
napolitaine.
– En transe napolitaine ? Votre
Sérénité, concentrez–vous bien, et dites–moi, je vous prie,
quel est le signe zodiacal de monsieur ?
– Monsieur
est placé sous le double signe du Lion et du fox à poil
dur.
– Oui, dites–moi quel est son
caractère ?
– Impulsif, parallèle et
simultané.
– Quel est son avenir ?
– Monsieur
a son avenir devant lui, mais il l’aura dans le dos, chaque fois
qu’il fera demi-tour.
– Il est vraiment
extraordinaire ! Voulez–vous me dire, à présent, quel est le
signe zodiacal de mademoiselle ?
– Mademoiselle
est placée sous le triple signe bénéfique de la Vierge, du Taureau
et du Sagittaire avant de s’en servir.
– Ah !
C’est ça. Il a raison ! Il a mis dans le mille, n’est-ce
pas ? Il a mis dans le mille, comme disait Jean-Jacques
Rousseau. Votre Sérénité, au lieu de vous marrer comme une
baleine…
Excusez–nous, Sa Sérénité est en proie aux
divinités contraires de l’Inde : Brahma et Vishnou. Brahma la
guerre et Vishnou la paix. Voulez–vous me dire, s’il vous plaît,
Votre Sérénité, quel est l’avenir de mademoiselle ?
– L’avenir
de mademoiselle est conjugal et prolifique.
– Ah !
Prolifique ?
– Oui.
– Qu’est–ce
que ça veut dire ? Elle aura des enfants ?
– Oui.
– Des
enfants ?
– Des jumelles.
– Des
jumelles !!! Combien ?
– Une paire avec
la courroie et l’étui !
– Voulez–vous, à
présent, je vous prie, me dire quel est le signe zodiacal de
monsieur ?
– Ce monsieur est placé sous
le signe de Neptune, Mercure au chrome.
– Quels
sont ses goûts ?
– Monsieur a des goûts
sportifs.
– Son
sport préféré ?
– Le
sport cycliste.
– Bien. Qu’il peut pratiquer sans
inconvénient ?
– Oui, mais à condition
toutefois de se méfier.
– Se méfier. De qui ?
De quoi ?
– De certaines personnes de son
entourage qui prétendent que sa compétence dans le domaine de la
pédale exerce une fâcheuse influence sur son comportement
sentimental.
– Ah ! Encore une fois vous avez
mis dans le mille. Mais, dites–moi, qu’est–ce que vous lui
conseillez municipal ?
– Je lui conseille
vivement de changer de braquet et de surveiller son guidon.
– Votre
Sérénité, tout à fait autre chose à présent. Pouvez–vous me
dire quel est le sexe de monsieur ?
– Masculin.
– Oui.
Vous êtes certain ?
– Oui. Vous pouvez
vérifier.
– Non, non, on vous croit sur parole !
Et dites–moi, quelle est sa taille ?
– Un
mètre soixante-seize : debout, un mètre cinquante-six :
assis, zéro mètre
quatre-vingt-trois :
roulé en boule.
– Et dites–moi, il pèse
combien ?
– Oh… deux fois par
mois !
– Non, non ! Excusez le Sâr, il
ne comprend pas bien le français. Je vous demande quel est son
poids : p.o.i.x. ?
– Soixante-douze kilos
cinq cents ! Sans eau, sans gaz et sans électricité.
– Oui,
dites–moi quel est le degré d’instruction de
monsieur ?
– Secondaire.
– Oui.
Est–ce que monsieur a des diplômes ?
– Oui,
monsieur est licencié GL.
– Licencié GL ?
Qu’est–ce que ça veut dire ?
– Ça veut
dire qu’il travaillait aux Galeries Lafayette et qu’on l’a
foutu à la porte.
– S’il vous plaît, Votre
Sérénité, concentrez-vous bien, combien monsieur a-t-il de
dents ?
– Trente dedans et deux
dehors !
– Voilà très bien ! Monsieur
a-t-il des complexes ?
– Oui ! Monsieur
fait un complexe… À certains moments, il prend sa vessie pour une
lanterne.
– Et alors ?
– Et
alors, il se brûle !
– Dites-moi, Votre
Sérénité, nom d’un petit bonhomme, dites-moi de quelle
nationalité est madame ?
– Française.
– Oui.
Et son père ?
– Esquimau !
– Et
sa mère ?
– Pochette surprise !
– Très
bien !… Et ta sœur ?
– Ma sœur, elle
bat le beurre et quand elle battra (la merde, tu lécheras le
bâton) …
– Bon, bon, oui, ça va ! –
Escroc, voleur !
– Espèce de mal élevé,
mauvaise éducation, excusez-le. Il n’y a pas longtemps… Il en a
une touche là-dessus. Tiens, encore il y a trois ans, il n’avait
même pas un plateau, il avait directement le pied de la table…
Mais enfin, ça, c’est autre chose… Votre Sérénité,
pouvez-vous me dire, s’il vous plaît
… ?
– Oui !
– Euh !
– Quoi ?
– Qu’est-ce
que vous pouvez me dire ?
– Je peux vous dire
que vous ne savez plus votre texte…
– Si vous
étiez intelligent, dites-moi donc ce que je dois vous demander à
présent ? Votre Sérénité, pouvez-vous me dire, c’est très
important, concentrez-vous, pouvez-vous me dire quel est le numéro
du compte en banque de monsieur ?
– Oui.
– Vous
pouvez le dire ?
– Oui ! !
– Vous
pouvez le dire ?
– Oui ! ! !
– Il
peut le dire ! ! ! Bravo ! Il est extraordinaire,
il est vraiment sensationnel. Votre Sérénité, quelle est la nature
du sous-vêtement de monsieur ?
– Monsieur
porte un slip.
– Oui. De quelle teinte ?
– Saumon
fumé.
– Tiens, tiens, en quoi est–il ?
– En
chachlik mercerisé.
– Ah ! Il a un signe
particulier ?
– Oui. Il y a quelque chose
écrit dessus.
– Quoi donc ?
– Suivez
la flèche.
– C’est merveilleux. Tout à fait
extraordinaire ! ! ! Votre Sérénité, monsieur que
voici, que voilà, a-t-il un signe particulier ?
– Oui,
un tatouage.
– Ah ! Un tatouvage ! Très
intéressant ! C’est bien exact ? Je ne le lui fais pas
dire ! C’est bien exact ! Et où se trouve situé le
tatouvage de monsieur ?
– Je suis extrêmement
fatigué, je m’excuse…
– Allons, allons,
voyons… Monsieur Schumacher !
– … C’est
très délicat et je suis fatigué.
– Il est dans
un état épouvantable, excusez-le. Votre Sérénité, je vous
demande où se trouve situé le tatouvage de monsieur ?
– Le
tatouage de monsieur est situé à un endroit que l’honnêteté et
la décence m’interdisent de préciser
davantage.
– Qu’entendez-vous par
là ?
– Par là, je n’entends pas
grand–chose.
– Je vous prie de vous concentrer
davantage, espèce de malotrou ! Alors, que représente le
tatouvage de monsieur, s’il vous plaît ?
– Bon !
Le tatouage de monsieur représente… Enfin lorsque monsieur est en
de bonnes dispositions, le tatouage représente : d’un côté,
la cueillette des olives en Basse-Provence, et de l’autre, un
épisode de la prise de la Smalah d’Abd-El-Kader par les troupes du
duc d’Aumale en mil huit cent quarante-trois.
– Ah !
Parfait ! Et de plus ?
– Et c’est en
couleurs !
– Et c’est en couleurs !
Bravo ! Mes félicitations, monsieur ! Vraiment, si, si,
vraiment très bien ; mes compliments, madame ! Madame a de
la lecture pour les longues soirées d’hiver, c’est parfait.
Votre Sérénité, vraiment, vous avez été extraordinaire, c’est
vrai, vraiment, il est vareuse… il est vareuse…
– Quoi ?
…
– Non, il est unique, pardon, je me suis trompé
de vêtement, mais ça ne fait rien. Il ne me reste plus qu’à
envoyer des baisers à l’assistance publique.
Bonsoir
Mesdames, bonsoir Mesdemoiselles et bonsoir Messieurs !