Version
française – TROIS
MINUTES D’ATTENTION – Marco
Valdo M.I. – 2016
Chanson
allemande – Drei Minuten Gehör ! – Kurt Tucholsky – 1922
Publié
sous le nom de Theobald Tiger in Republikanische Presse, 29.07.1922,
Nr. 6Connais-tu Lucien l’âne mon ami, la ville où l’art de Tucholsky fleurit ?
Oh,
oh, dit Lucien l’âne, je connais de Tucholsky sa réputation de
polémiste contre
la guerre et le militarisme. Nous connaissons aussi son penchant pour
les jolies dames et notamment Mademoiselle
Ilse. Je sais aussi qu’il vit très tôt la montée
des périls, la venue du Péril. Il s’y opposa tant qu’il
put, puis il se suicida, épuisé, à l’étranger.
Aurait-il
patienté quelques années… Parfois, j’ai l’impression qu’on
se suicide trop vite, dit Marco Valdo M.I., pensif.
Donc,
avant ça, il fit très tôt (1920) de très nombreux textes pour
alerter les Allemands contre l’esprit de revanche, contre les
détracteurs de la République de Weimar qui, malgré tous ses
défauts et ses côtés de guerre civile larvée, avait permis à
Berlin (où avant ses
exils,
vivait et écrivait Tucholsky) de connaître un temps une atmosphère
de liberté et de création absolument extraordinaire. Que le pouvoir
s’efforça bien vite de liquider. Voilà ce que je connais de
Tucholsky, alias Theobald Tiger, Kaspar
Hauser, Peter Panter et Ignaz Wrobel.
C’est
déjà beaucoup et cela me paraît une excellente introduction à la
chanson dont je viens de faire une version française. Si la version
française est d’aujourd’hui, la chanson de Tucholsky date de
1922. Elle fait référence directe à la guerre qui vient de se
terminer quelques années auparavant, avec cette antienne récurrente :
« Vous en souvenez-vous ? ».
Son
titre d’abord, car l’explication par le titre
t’intéresse toujours. C’est « Drei
Minuten Gehör ! » ou
« Trois minutes d’attention ! » En fait,
Tucholsky, alias Tiger, s’adresse à trois parties, trois tranches,
trois groupes de la population allemande : un : les
hommes ; 2 : les femmes et 3 : les jeunes. À chaque
groupe, il demande une minute d’attention. 3 groupes, 3 minutes,
d'où le titre.
Il précise dès le début qu’il s’adresse à une partie bien
spécifique de la population ; il dit qu’il parle à ceux qui
travaillent. Pour situer cet appel, il est intéressant de le voir
dans le cadre de la Guerre
de Cent Mille Ans que les riches et les puissants font aux pauvres afin d’assurer
leur domination, de renforcer leur pouvoir, d’accroître leurs
richesses, d’étendre le champ de l’exploitation… En clair,
Tucholsky s’adresse aux pauvres ; il décrit, il rappelle aux
hommes comment on les traita entre
1914 et 1918 et ce qui s’ensuivit pour eux ; il rappelle aux
femmes comment leur jeunesse fut perdue, leurs familles détruites,
leur misère subséquente, leurs morts et leurs hommes invalides ;
aux jeunes, il livre un bréviaire de l’insoumission pacifique.
Mais là aussi, la loi de Cassandre a joué à plein. La catastrophe
que Tucholsky annonçait et qu’il tentait de parer a eu lieu. Son
« – Nie wieder Krieg –! » : « Plus jamais la
guerre ! » est resté une volonté. Volonté que nous
partageons encore toujours.
Ah,
dit Lucien l’âne, « – Nie wieder Krieg –! » :
« Plus jamais la guerre ! », comme volonté, c’est
toujours d’actualité à présent, mais cela restera comme alors
tant qu’on n’aura pas mis fin à la cause fondamentale de la
Guerre de Cent Mille Ans, à savoir le mélange détonnant que
constituent la richesse et le pouvoir, avec leurs corollaires que
sont l’ambition, l’avidité, l’exploitation. En attendant,
prenons notre part dans l’élaboration de cette fin, nous qui ne
sommes que grains de sable et tissons le linceul de ce vieux monde
avide, ambitieux, guerrier et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane.
Vous
devez m’accorder
Votre
attention trois minutes,
Vous
qui travaillez !
Vous
qui tapez du marteau,
Vous qui clopinez sur des béquilles,
Vous qui tenez le plumeau,
Vous qui chargez les poêles,
Vous qui, de vos mains fidèles,
Donnez votre amour à l’homme –
Vous, vieux et jeunes – :
Vous devez m’accorder trois minutes.
Nous ne sommes pas entre vainqueurs de la guerre.
Gardons bien ça en tête.
Vous qui clopinez sur des béquilles,
Vous qui tenez le plumeau,
Vous qui chargez les poêles,
Vous qui, de vos mains fidèles,
Donnez votre amour à l’homme –
Vous, vieux et jeunes – :
Vous devez m’accorder trois minutes.
Nous ne sommes pas entre vainqueurs de la guerre.
Gardons bien ça en tête.
La première minute appartient à l’homme.
Qui a marché en gris-vert pendant des années ?
À la maison, les enfants – à la maison, la mère pleure.
Vous : chair à canon gris-verte – !
Vous avez creusé les tranchées dans les champs argileux.
Là vous n’avez vu aucun fils de famille prétentieux:
Ils se saoulaient à l’arrière.
Ils
allaient au claque avec les dames.
On vous a formés. On vous a entraînés.
Étiez-vous encore à l’image de Dieu ?
Dans la caserne – dans la guérite,
On vous tenait pour le pou le plus sale.
L’officier était une perle,
Mais vous seulement des « types » !
Des automates juste bons à tirer et à saluer.
« Bandes de porcs ! Doigt sur la couture du pantalon – ! »
Les blessés pouvaient souffrir mille morts ;
Quand un prince venait, il fallait saluer réglementairement.
Et dans le charnier encore, vous étiez les porcs :
Les officiers avaient un vrai enterrement !
Vous ne valiez pas cher pour la mort.
Cette sanglante comédie a duré quatre ans.
Vous en souvenez-vous – ?
On vous a formés. On vous a entraînés.
Étiez-vous encore à l’image de Dieu ?
Dans la caserne – dans la guérite,
On vous tenait pour le pou le plus sale.
L’officier était une perle,
Mais vous seulement des « types » !
Des automates juste bons à tirer et à saluer.
« Bandes de porcs ! Doigt sur la couture du pantalon – ! »
Les blessés pouvaient souffrir mille morts ;
Quand un prince venait, il fallait saluer réglementairement.
Et dans le charnier encore, vous étiez les porcs :
Les officiers avaient un vrai enterrement !
Vous ne valiez pas cher pour la mort.
Cette sanglante comédie a duré quatre ans.
Vous en souvenez-vous – ?
La
deuxième minute appartient à la femme.
De qui à la maison, les cheveux sont-ils devenus gris ?
Qui, la journée finie, s’effraye
Et s’éveille en criant dans la nuit
Qui tout au long de quatre années,
A connu l’embarras des longues files,
Quand les princesses et leurs époux
Avaient tout, tout, tout – – ?
À qui a-t-on écrit dans une courte lettre,
Qu’un de plus dormait dans les Flandres ?
Et joint, un formulaire avec deux attestations.
Qui devait mendier ici pour les pensions ?
Larmes, douleurs et cris sauvages.
Il reposait. Vous étiez seule.
Ou bien, ils l’ont renvoyé boitant sur sa canne,
Revenu dans vos bras comme infirme.
Ainsi est passée la merveilleuse
Grande époque – quatre longues années.
Vous en souvenez-vous – ?
De qui à la maison, les cheveux sont-ils devenus gris ?
Qui, la journée finie, s’effraye
Et s’éveille en criant dans la nuit
Qui tout au long de quatre années,
A connu l’embarras des longues files,
Quand les princesses et leurs époux
Avaient tout, tout, tout – – ?
À qui a-t-on écrit dans une courte lettre,
Qu’un de plus dormait dans les Flandres ?
Et joint, un formulaire avec deux attestations.
Qui devait mendier ici pour les pensions ?
Larmes, douleurs et cris sauvages.
Il reposait. Vous étiez seule.
Ou bien, ils l’ont renvoyé boitant sur sa canne,
Revenu dans vos bras comme infirme.
Ainsi est passée la merveilleuse
Grande époque – quatre longues années.
Vous en souvenez-vous – ?
La
troisième minute appartient aux jeunes !
Ils ne vous ont pas forcés à l’uniforme !
Vous étiez libres ! Vous êtes toujours libres aujourd’hui !
Veillez à ce qu’il en soit toujours ainsi !
L’espoir repose sur vous. À vous la confiance
De millions d’Allemands : femmes et hommes.
Ne vous mettez pas au garde-à-vous. Ne servez pas !
Il faut leur montrer ! Vous êtes libres !
Et s’ils viennent à vous et avec des pistolets menacent – :
Ils devront venir vous chercher ! N’y allez pas !
Pas de soldats ! Pas d’obligation militaire !
Pas d’actes de diktats au monocle !
Ils ne vous ont pas forcés à l’uniforme !
Vous étiez libres ! Vous êtes toujours libres aujourd’hui !
Veillez à ce qu’il en soit toujours ainsi !
L’espoir repose sur vous. À vous la confiance
De millions d’Allemands : femmes et hommes.
Ne vous mettez pas au garde-à-vous. Ne servez pas !
Il faut leur montrer ! Vous êtes libres !
Et s’ils viennent à vous et avec des pistolets menacent – :
Ils devront venir vous chercher ! N’y allez pas !
Pas de soldats ! Pas d’obligation militaire !
Pas d’actes de diktats au monocle !
Pas
d’alignement! Pas d’ordre !
Pas d’officiers de réserve !
C’est votre avenir qui se joue !
C’est votre pays que l’on floue !
Jetez vos chaînes d’esclaves !
Quand vous le voudrez, vous serez tous libres !
Ne collaborez plus ! Que votre volonté se fasse !
Quand vous le voudrez, vous aurez la victoire !
– Plus jamais la guerre – !
Pas d’officiers de réserve !
C’est votre avenir qui se joue !
C’est votre pays que l’on floue !
Jetez vos chaînes d’esclaves !
Quand vous le voudrez, vous serez tous libres !
Ne collaborez plus ! Que votre volonté se fasse !
Quand vous le voudrez, vous aurez la victoire !
– Plus jamais la guerre – !
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