Le
Géant Hiver – Till et Nelle (1)
Chanson française – Le Géant Hiver – Till et Nelle (1) – Marco Valdo M.I. – 2016
Ulenspiegel
le Gueux – 26
Opéra-récit
en multiples épisodes, tiré du roman de Charles De Coster : La
Légende et les aventures héroïques, joyeuses et glorieuses
d’Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au Pays de Flandres et ailleurs
(1867).
(Ulenspiegel
– I, LXXXV)
Cette
numérotation particulière : (Ulenspiegel
– I, I), signifie très
exactement ceci :
Ulenspiegel :
La Légende et les aventures héroïques, joyeuses et glorieuses
d’Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au Pays de Flandres et ailleurs,
dans le texte de l’édition de 1867.
Le
premier chiffre romain correspond au numéro du Livre – le roman
comporte 5 livres et le deuxième chiffre romain renvoie au chapitre
d’où a été tirée la chanson. Ainsi, on peut – si le cœur
vous en dit – retrouver le texte originel et plein de détails qui
ne figurent pas ici.
Nous
voici, Lucien l’âne mon ami, à la vingt et sixième canzone de
l’histoire de Till le Gueux. Les vingt-cinq premières étaient, je
te le rappelle :
01 Katheline la bonne sorcière (Ulenspiegel – I, I)
02 Till et Philippe (Ulenspiegel – (Ulenspiegel – I, V)
03. La Guenon Hérétique (Ulenspiegel – I, XXII)
04. Gand, la Dame (Ulenspiegel – I, XXVIII)
05. Coupez les pieds ! (Ulenspiegel – I, XXX)
06. Exil de Till (Ulenspiegel – I, XXXII)
07. En ce temps-là, Till (Ulenspiegel – I, XXXIV)
08. Katheline suppliciée (Ulenspiegel – I, XXXVIII)
09. Till, le roi Philippe et l’âne (Ulenspiegel – I, XXXIX)
10. La Cigogne et la Prostituée (Ulenspiegel – I, LI)
12. La messe du Pape, le pardon de Till et les florins de l’Hôtesse (Ulenspiegel – I, LIII)
13. Indulgence (Ulenspiegel – I, LIV)
14. Jef, l’âne du diable (Ulenspiegel – I, LVII)
15. Vois-tu jusque Bruxelles ? (Ulenspiegel – I, LVIII)
16. Lamentation de Nelle, la mule et la résurrection (Ulenspiegel – I, LXVIII)
17. Hérétique le Bonhomme (Ulenspiegel – I, LXIX)
18. Procès et condamnation (Ulenspiegel – I, LXIX)
19. La Mort de Claes, le charbonnier (Ulenspiegel – I, LXXIV)
20. Le Talisman rouge et noir (Ulenspiegel – I, LXXV)
21. La Vente à l’encan (Ulenspiegel – I, LXXVI)
22. Telle est la Question (Ulenspiegel – I, LXXVIII)
23. Charles et Claes (Ulenspiegel – I, LXXIX)
24. Trois cents ans de torture (Ulenspiegel – I, LXXIX)
25. Au bord du canal (Ulenspiegel – I, LXXXIV)
Après
sa ballade le long du canal et l'élimination du poissonnier, Till
reste comme assommé, écrasé par le chagrin et la colère et sa
vengeance inassouvie et sa lutte contre l'oppression des clercs comme
suspendue en l'air. Till est en pleine tourmente intérieure, il est
tout à fait désemparé. Il s'en va demander l'aide de Katheline, la
bonne sorcière. À partir de là, par la magie d'un philtre, il va
être propulsé en compagnie de Nelle dans un monde fantastique, qui
rappelle furieusement certains tableaux de Jérôme Bosch. Mais ce
n'est pas tout, c'est aussi la chanson où s'accomplit l'union de
Till et de Nelle.
Tout
ela est bien étrange, dit Lucien l'âne en dressant les oreilles et
la queue. Comment cela se peut-il ? Seraient-ils drogués ?
Et quand même, Katheline est la mère de Nelle… Et ce serait elle
qui les unit ?
À
mon avis, certainement. Je te rappelle que Katheline est une sorcière
et qu'à ce titre, elle connaît l'usage des simples, des plantes et
aussi, comme cela se faisait dans les sociétés d'avant l'invasion
chrétienne et patriarchique, ce sont les sorcières qui président
aux rites et qui unissent les jeunes couples. Et pense que
l'intervention de Katheline a ce sens-là ; celui d'une
contestation du pouvoir inquisiteur et normatif de l'Église et de la
religion et l'affirmation de manières moins guindées. De ce point
de vue, les quatre chansons de ce cycle particulier qui clôturent le
premier livre de la Légende d'Ulenspiegel de Charles De Coster
tracent une sorte de voyage initiatique étonnant comme, dit-on, en
provoquent certains champignons ou certaines substances. Cet usage de
la drogue pour libérer les amoureux de la chape de plomb de la
morale religieuse et pudibonde est conforme aux usages de sociétés
plus libres. Par ailleurs, si on y regarde de plus près, il apparaît
à mon sens, autre chose encore. C'est le passage de Till l'espiègle
à Till le libéré, vers Till le libertaire. Till doit mourir pour
renaître plus fort et pour cela passer par de grands effrois. C'est
ici qu'intervient sa confrontation avec le Géant Hiver,qui est le
thème de cette chanson. Mais à on sens encore, ce qui est le plus
surprenant, c'est que Nelle y soit directement mêlée à l'égal de
Till. Mais il est vrai que, de ce moment : « Till regarde
Nelle autrement. »
Et
puis ensuite ? Dis-moi, la chanson, oh, oui, la suite, dis-moi,
que se passe-t-il ?
La
suite, la suite… C'est que Till et Nelle sont propulsés dans le
monde du Géant Hiver et qu'à la fin de la chanson surgit le Roi du
printemps, Lucifer. Quant à la suite, il te faudra attendre les
trois autres chansons : Le Roi du Printemps, le Printemps et
Vengeance et Mort.
J'attends
avec impatience cette série. Mais justement, pourquoi présenter ces
quatre chansons comme une série, comme si elles n'en faisaient
qu'une ?
Eh
bien, c'est qu'elles s'emboîtent et qu'elles sont difficilement
dissociables et que pourtant, elles doivent être séquencées. Dans
le récit de Charles de Coster, elles sont d'un seul tenant, elles
forment le plus long et le dernier chapitre du premier Livre. Elles
forment à elles seules, comme le chapitre lui-même, comme un roman
dans le roman. Mais à propos, Lucien l'âne mon ami, n'as-tu pas
déjà rencontré pareille configuration ?
Certes
que oui. Je ne suis pas pour rien Lucien l'âne et le protagoniste du
premier roman de la littérature de nos pays, où les histoires
fantastiques fleurissent. Mais tu accables ma modestie et dès lors,
j'insiste, reprenons notre tâche modeste qui est de tisser le
linceul de ce vieux monde empli de religion, normatif, pudibond et
cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
La
graisse des victimes fume
Les
restes sur les bûchers se consument.
Till
submergé de chagrin et de colère
En
appelle à Katheline la bonne sorcière.
Je
veux t'aider si une fille demoiselle
Te
prend et t'aide pareillement.
Je
le prends, dit Nelle.
Et
Katheline verse le philtre aux amants.
Till
regarde Nelle autrement
Comme
à la lune pleine, le firmament.
Alors,
ils se dévêtent sous la lampe.
Ainsi
nus, l'un en l'autre s'entremêlent.
De
là, ils s'élancent dans le vide.
Soudain,
ils ne voient plus rien.
Ni
la terre des paysans, ni la mer des marins.
Ils
volent ainsi jusqu'au pôle.
Le
Géant Hiver, un géant chenu
Se
tient contre un mur de glace.
Les
ours, les phoques, à son appel venus,
Dansent.
Hiver dit : Prenez place !
De
sa grave voix enrouée
Il
appelle la grêle, la neige et les vents
Le brouillard, les froides ondées et les grises nuées.
Le brouillard, les froides ondées et les grises nuées.
Tous
accourent en un seul tenant.
Hiver
sourit et se penche ;
Il
gratte le sol, le mord de ses dents.
Il
cherche le cœur de la terre.
Il
trouve le feu et pousse un grognement.
Les
phoques sautent dans la mer.
Les
ours mugissent de peur.
Les
corbeaux s'échappent en l'air.
Le
mur de glace tremble grondeur.
Hiver
est content cependant.
Il
rit, il boit, il aboie.
Il
hurle et savoure sa joie.
Et puis, le mur se fend.
Et puis, le mur se fend.
Le
mur se meurt, le mur s'écroule.
La
mer roule une terrible houle
Et
superbe, du ciel descend
Lucifer,
le roi Printemps.
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