mercredi 10 février 2016

Le Géant Hiver – Till et Nelle (1)


Le Géant Hiver – Till et Nelle (1)


Chanson française – Le Géant Hiver – Till et Nelle (1) – Marco Valdo M.I. – 2016

Ulenspiegel le Gueux – 26

Opéra-récit en multiples épisodes, tiré du roman de Charles De Coster : La Légende et les aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d’Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au Pays de Flandres et ailleurs (1867).
(Ulenspiegel – I, LXXXV)

Cette numérotation particulière : (Ulenspiegel – I, I), signifie très exactement ceci :
Ulenspiegel : La Légende et les aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d’Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au Pays de Flandres et ailleurs, dans le texte de l’édition de 1867.
Le premier chiffre romain correspond au numéro du Livre – le roman comporte 5 livres et le deuxième chiffre romain renvoie au chapitre d’où a été tirée la chanson. Ainsi, on peut – si le cœur vous en dit – retrouver le texte originel et plein de détails qui ne figurent pas ici.





Nous voici, Lucien l’âne mon ami, à la vingt et sixième canzone de l’histoire de Till le Gueux. Les vingt-cinq premières étaient, je te le rappelle :

01 Katheline la bonne sorcière  (Ulenspiegel – I, I)
02 Till et Philippe (Ulenspiegel – (Ulenspiegel – I, V)
03. La Guenon Hérétique (Ulenspiegel – I, XXII)
04. Gand, la Dame (Ulenspiegel – I, XXVIII)
05. Coupez les pieds ! (Ulenspiegel – I, XXX)
06. Exil de Till (Ulenspiegel – I, XXXII)
07. En ce temps-là, Till (Ulenspiegel – I, XXXIV)
08. Katheline suppliciée (Ulenspiegel – I, XXXVIII)
09. Till, le roi Philippe et l’âne (Ulenspiegel – I, XXXIX)
10. La Cigogne et la Prostituée (Ulenspiegel – I, LI)
13Indulgence  (Ulenspiegel – I, LIV)
14. Jef, l’âne du diable (Ulenspiegel – I, LVII)
15. Vois-tu jusque Bruxelles ? (Ulenspiegel – I, LVIII)
16. Lamentation de Nelle, la mule et la résurrection (Ulenspiegel – I, LXVIII)
17. Hérétique le Bonhomme (Ulenspiegel – I, LXIX)
18. Procès et condamnation  (Ulenspiegel – I, LXIX)
19. La Mort de Claes, le charbonnier  (Ulenspiegel – I, LXXIV)
20. Le Talisman rouge et noir (Ulenspiegel – I, LXXV)
21. La Vente à l’encan (Ulenspiegel – I, LXXVI)
22. Telle est la Question (Ulenspiegel – I, LXXVIII)
23. Charles et Claes (Ulenspiegel – I, LXXIX)
24. Trois cents ans de torture (Ulenspiegel – I, LXXIX)
25. Au bord du canal (Ulenspiegel – I, LXXXIV)


Après sa ballade le long du canal et l'élimination du poissonnier, Till reste comme assommé, écrasé par le chagrin et la colère et sa vengeance inassouvie et sa lutte contre l'oppression des clercs comme suspendue en l'air. Till est en pleine tourmente intérieure, il est tout à fait désemparé. Il s'en va demander l'aide de Katheline, la bonne sorcière. À partir de là, par la magie d'un philtre, il va être propulsé en compagnie de Nelle dans un monde fantastique, qui rappelle furieusement certains tableaux de Jérôme Bosch. Mais ce n'est pas tout, c'est aussi la chanson où s'accomplit l'union de Till et de Nelle.

Tout ela est bien étrange, dit Lucien l'âne en dressant les oreilles et la queue. Comment cela se peut-il ? Seraient-ils drogués ? Et quand même, Katheline est la mère de Nelle… Et ce serait elle qui les unit ?

À mon avis, certainement. Je te rappelle que Katheline est une sorcière et qu'à ce titre, elle connaît l'usage des simples, des plantes et aussi, comme cela se faisait dans les sociétés d'avant l'invasion chrétienne et patriarchique, ce sont les sorcières qui président aux rites et qui unissent les jeunes couples. Et pense que l'intervention de Katheline a ce sens-là ; celui d'une contestation du pouvoir inquisiteur et normatif de l'Église et de la religion et l'affirmation de manières moins guindées. De ce point de vue, les quatre chansons de ce cycle particulier qui clôturent le premier livre de la Légende d'Ulenspiegel de Charles De Coster tracent une sorte de voyage initiatique étonnant comme, dit-on, en provoquent certains champignons ou certaines substances. Cet usage de la drogue pour libérer les amoureux de la chape de plomb de la morale religieuse et pudibonde est conforme aux usages de sociétés plus libres. Par ailleurs, si on y regarde de plus près, il apparaît à mon sens, autre chose encore. C'est le passage de Till l'espiègle à Till le libéré, vers Till le libertaire. Till doit mourir pour renaître plus fort et pour cela passer par de grands effrois. C'est ici qu'intervient sa confrontation avec le Géant Hiver,qui est le thème de cette chanson. Mais à on sens encore, ce qui est le plus surprenant, c'est que Nelle y soit directement mêlée à l'égal de Till. Mais il est vrai que, de ce moment : « Till regarde Nelle autrement. »

Et puis ensuite ? Dis-moi, la chanson, oh, oui, la suite, dis-moi, que se passe-t-il ?

La suite, la suite… C'est que Till et Nelle sont propulsés dans le monde du Géant Hiver et qu'à la fin de la chanson surgit le Roi du printemps, Lucifer. Quant à la suite, il te faudra attendre les trois autres chansons : Le Roi du Printemps, le Printemps et Vengeance et Mort.

J'attends avec impatience cette série. Mais justement, pourquoi présenter ces quatre chansons comme une série, comme si elles n'en faisaient qu'une ?

Eh bien, c'est qu'elles s'emboîtent et qu'elles sont difficilement dissociables et que pourtant, elles doivent être séquencées. Dans le récit de Charles de Coster, elles sont d'un seul tenant, elles forment le plus long et le dernier chapitre du premier Livre. Elles forment à elles seules, comme le chapitre lui-même, comme un roman dans le roman. Mais à propos, Lucien l'âne mon ami, n'as-tu pas déjà rencontré pareille configuration ?

Certes que oui. Je ne suis pas pour rien Lucien l'âne et le protagoniste du premier roman de la littérature de nos pays, où les histoires fantastiques fleurissent. Mais tu accables ma modestie et dès lors, j'insiste, reprenons notre tâche modeste qui est de tisser le linceul de ce vieux monde empli de religion, normatif, pudibond et cacochyme.

Heureusement !


Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane




La graisse des victimes fume
Les restes sur les bûchers se consument.
Till submergé de chagrin et de colère
En appelle à Katheline la bonne sorcière.

Je veux t'aider si une fille demoiselle
Te prend et t'aide pareillement.
Je le prends, dit Nelle.
Et Katheline verse le philtre aux amants.

Till regarde Nelle autrement
Comme à la lune pleine, le firmament.
Alors, ils se dévêtent sous la lampe.
Ainsi nus, l'un en l'autre s'entremêlent.

De là, ils s'élancent dans le vide.
Soudain, ils ne voient plus rien.
Ni la terre des paysans, ni la mer des marins.
Ils volent ainsi jusqu'au pôle.

Le Géant Hiver, un géant chenu
Se tient contre un mur de glace.
Les ours, les phoques, à son appel venus,
Dansent. Hiver dit : Prenez place !

De sa grave voix enrouée
Il appelle la grêle, la neige et les vents
Le brouillard, les froides ondées et les grises nuées.
Tous accourent en un seul tenant.

Hiver sourit et se penche ;
Il gratte le sol, le mord de ses dents.
Il cherche le cœur de la terre.
Il trouve le feu et pousse un grognement.

Les phoques sautent dans la mer.
Les ours mugissent de peur.
Les corbeaux s'échappent en l'air.
Le mur de glace tremble grondeur.

Hiver est content cependant.
Il rit, il boit, il aboie.
Il hurle et savoure sa joie.
Et puis, le mur se fend.

Le mur se meurt, le mur s'écroule.
La mer roule une terrible houle
Et superbe, du ciel descend

Lucifer, le roi Printemps.

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