DYNAMITE
Version
française – DYNAMITE – Marco Valdo M.I. – 2016
Chanson
suisse alémanique (Schwyzertüütsch) – Dynamit
– Mani
Matter – 1973
L’avocat
Hans-Peter Jan Matter, plus connu comme Mani Matter, est par la force
des choses un phénomène exclusivement suisse ; bien plus, de la
seule Suisse allemande. Il a été, reste et restera le plus célèbre
et célébré Liedermacher (faiseur de chansons, trouvère) produit
par la Confédération Helvétique, mais aussi, un « enfant »
de la chanson d’auteur française et de Georges Brassens, en
particulier. Les chansons de Mani Matter sont « in toto »
brassensiennes, mais avec une touche suisse qui pourrait se révéler
difficilement perceptible à qui ne l’est pas (Suisse), mais a été
un peu initié aux choses de ce pays pas commun. Toujours assez,
évidemment, pour qu’il réussisse à comprendre au moins un peu ce
qui est dit dans ses chansons ; Mani Matter, Bernois jusqu’à
la moelle (malgré sa mère hollandaise), écrivait et chantait
exclusivement in Bärndüdsch, l’allemand alémanique bernois, un
idiome absolument incompréhensible même aux locuteurs de la langue
allemande standard.
Logique que, malheureusement, ses chansons soient connues (et même : très connues, archiconnues) seulement en Suisse allemande ou un peu au-delà ; et c’est vraiment un péché, car ce sont des chefs-d’œuvre d’ironie sulfureuse. Comme ce « Dynamit », où dans une venteuse et froide Berne nocturne qui rappelle au moins un peu l’atmosphère du Juge et son bourreau (Der Richter und sein Henker) d’un autre grand Bernois, Friedrich Dürrenmatt, l’avocat Hans-Peter Matter affronte rien moins qu’un barbu auteur d’attentat anarchiste (l’ombre de Marco Camenisch [[3735]] plane toujours sur la vertueuse Suisse, dit Lucien l’âne) qui veut faire sauter le Parlement Fédéral. En tant que bon citoyen, et avec une ardeur toute patriotique, il réussit à faire renoncer l’auteur d’attentat à ses intentions insensées, tellement bien que ce dernier s’en retourne chez lui, presque ému, remballant sa dynamite. Sauf que, une fois rentré chez lui tout fier, c’est l’avocat Matter qui commence à avoir des doutes…
À
traduire cette chanson des années et des années après, à savoir
après avoir un peu pratiqué le Schwyzertüütsch, j’ai eu
l’étrange impression qu’on ressent lorsque quelque chose se
déroule en des lieux connus. Je suis passé au moins une dizaine de
fois sur la Terrasse Fédérale de Berne et sur la Place Fédérale,
j’ai acheté, au marché du quartier, une chemise de bûcheron que
je porte encore (à un étal où on vendait seulement des pipes, des
allumettes et des chemises de montagnard, tenu par un certain M.
Frankenstein, sic). Quant au « discours de Premier Août »
(Le Premier Août est le Quatorze Juillet des Suisses – et
inversement, dit Lucien l’âne), j’ai assisté une fois à un de
ceux-ci, prononcé par le maire (de droite) de Fribourg. À l’heure
actuelle, c’est le discours le plus bref et le plus incroyable
qu’on ait entendu en une occasion du genre : en trente
secondes, le maire a dit : « Citoyennes, citoyens, aujourd’hui,
c’est jour de fête pour tous : Suisses, étrangers, immigrés,
touristes. La Suisse est à tous ; et maintenant amusez-vous ! »
Alors, commencèrent les bals et commencèrent à circuler de
gigantesques marmites de soupe au fromage. [RV]
Une
nuit, je rentre tard chez moi,
Je
traverse la Terrasse Fédérale.
Un
gars s’en vient vers moi
Et
putain, voyez l’animal,
À
l’heure où les gens cuvent leur cuite,
Vient
faire sauter le Parlement à la dynamite.
Un
peu effrayé, quand même, je lui dis :
Excusez-moi,
mais il me semble, l’ami,
Que
vous avez le désir surprenant
De
faire sauter le Parlement.
Oui,
dit-il, c’est bien mon envie :
Foutre
en l’air la boutique, je suis pour l’Anarchie.
Qu’aurais-je,
comme citoyen, pu tenter
Si
ce n’est de l’en dissuader ?
Je
lui parle de tous les avantages
De
notre État et même davantage,
Je
lui dis le Rütli, la démocratie, la liberté
Et
je le supplie de laisser tomber.
L’angoisse
me donne un talent d’orateur.
Autour
de nous souffle un vent glacial,
Mooi,
je lui tiens un discours de rhéteur
Qui
rendrait patriote un cheval.
Le
gars, ému de mes mots jusqu’à l’âme,
Tente
vainement de retenir ses larmes.
Et
c’est ainsi que j’ai sauvé l’État
Et
que le gars est reparti avec sa dynamite.
Ce
soir-là, en rentrant chez moi,
Je
me félicite de ma conduite.
Mais
chose étrange, le jour suivant,
Je
me mis à douter de mon jugement.
J’aurais,
à ce gars, vanté à bon droit la Suisse ?
Je
me le demande encore à présent.
M’aurait-il
passé son envie interdite ?
Car
depuis, quand je passe devant le Parlement,
Je
pense qu’il n’en a plus pour longtemps.
Car
pour le faire sauter, il suffit d’un peu de dynamite.
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