jeudi 17 décembre 2015

Lamentation de Nelle, la mule et la résurrection

Lamentation de Nelle, la mule et la résurrection


Chanson française – Lamentation de Nelle, la mule et la résurrection – Marco Valdo M.I. – 2015

Ulenspiegel le Gueux – 16

Opéra-récit en multiples épisodes, tiré du roman de Charles De Coster : La Légende et les aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d’Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au Pays de Flandres et ailleurs (1867).
(Ulenspiegel – I, LVIII)

Cette numérotation particulière : (Ulenspiegel – I, I), signifie très exactement ceci :
Ulenspiegel : La Légende et les aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d’Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au Pays de Flandres et ailleurs, dans le texte de l’édition de 1867.
Le premier chiffre romain correspond au numéro du Livre – le roman comporte 5 livres et le deuxième chiffre romain renvoie au chapitre d’où a été tirée la chanson. Ainsi, on peut – si le cœur vous en dit – retrouver le texte originel et plein de détails qui ne figurent pas ici.

Ne pleure pas, aubergiste, je vais le ressusciter.
Debout ! Hop ! Et le cabot s’est levé.




Nous voici, Lucien l’âne mon ami, à la seizième canzone de l’histoire de Till le Gueux. Les quinze premières étaient, je te le rappelle :

01 Katheline la bonne sorcière [[50627]] (Ulenspiegel – I, I)
02 Till et Philippe [[50640]](Ulenspiegel – (Ulenspiegel – I, V)
03. La Guenon Hérétique [[50656]](Ulenspiegel – I, XXII)
04. Gand, la Dame [[50666]](Ulenspiegel – I, XXVIII)
05. Coupez les pieds ! [[50687]](Ulenspiegel – I, XXX)
06. Exil de Till [[50704]](Ulenspiegel – I, XXXII)
07. En ce temps-là, Till [[50772]](Ulenspiegel – I, XXXIV)
08. Katheline suppliciée [[50801]](Ulenspiegel – I, XXXVIII)
09. Till, le roi Philippe et l’âne [[50826]](Ulenspiegel – I, XXXIX)
10. La Cigogne et la Prostituée [[50862]](Ulenspiegel – I, LI)
11. Tuez les hérétiques, leurs femmes et leurs enfants ! [[50880]](Ulenspiegel – I, LII)
13. Indulgence [[51015]] (Ulenspiegel – I, LIV)
14. Jef, l’âne du diable [[51076]] (Ulenspiegel – I, LVII)
15. Vois-tu jusque Bruxelles ? [[51124]] (Ulenspiegel – I, LVIII)



Lucien l’âne mon ami, voici un épisode un peu étrange des aventures de Till, car il se situe à la lisère des contes où intervient le merveilleux, des histoires d’amour et des facéties de ce Till d’Allemagne qui mourut de la peste vers 1350 et dont l’histoire, moult fois remaniée déjà, parut du temps de François Ier. À l’origine, c’étaient bien des historiettes d’un Till joyeux godelureau vivant de ruses et de niches.


Tout cela est bien beau, Marco Valdo M.I. mon ami, mais de quoi s’agit-il ? Je vois au titre qu’il s’agit d’une lamentation, d’une mule et d’une résurrection, ce qui d’un point de vue religieux n’est pas une mince affaire.


Reprenons du début. C’est bien une lamentation : celle de Nelle…


Et on la comprend, dit l’âne Lucien. Le temps est bien long, les jours toujours s’encourent pour qui espère un retour.


Till est parti depuis plus de trois ans. C’est long, vois-tu Lucien l'âne mon ami, quand on n’a pas encore vingt ans.


En effet. Et je vois que la chanson dit : « Nelle est triste et lasse et souffre fort de vivre. » À cet âge, face à l’absence, on est mal armé.


L’adolescence est un moment où bouillonnent émotions et sentiments. Un moment de grande poésie. Donc, Lucien l’âne mon ami, regarde la construction de la canzone. C’est comme dans un film. Nelle pense à Till et puis, la chanson montre Till en action. Cependant, cette façon de faire n’est pas une innovation cinématographique. On la trouve dans les contes orientaux…

Et pas seulement ; elle est déjà présente dans le roman qui m’a vu naître dans le monde en tant qu’âne. Mais, je t’en prie, Marco Valdo M.I. mon ami, dis-moi ce qu’il en est de la mule et de la résurrection.


Oh, Lucien l’âne mon ami, ne te monte pas le bourrichon à l’idée de baiser la mule. Cette mule du Pape n’est pas celle de Daudet, elle n’a rien de commun avec la bourrique, le bourricot et toute la famille des asiniens. Cette mule-là, c’est la pantoufle papale, la Sainte Pantoufle que tout bon catholique se devait de baiser de ses lèvres ; je ne sais trop si c’est encore le cas. Et à vrai dire, je ne m’en soucie pas.


Halte-là ! Je ne me laisse plus prendre aux ruses des mules, moi non plus. J’en ai vu d’autres. Toutefois, je te rassure, je n’ai pas cru un instant que Till puisse trouver son content dans pareille circonstance. Passons. Quid enfin de la résurrection ?


Il me faut d’abord pour appuyer mon propos rappeler combien cette histoire de Till est emplie d’ironie, de causticité acide et que sa vocation première est de moquer la religion et l’Église. J’ajoute que ce serait du pareil au même s’il était question d’une autre religion ou d’une autre Église. Cela posé, après avoir blagué la mule du pape et le Pape lui-même, la chanson se délecte d’une résurrection. Car nul ne pourrait ne pas s’apercevoir que faire renaître le chien de l’aubergiste après avoir purgé celui du Pape, c’est présenter un point de vue particulier sur l’événement fondateur de la chrétienté, une manière innovante d’évoquer ces moments bibliques : la résurrection de Lazare et bien entendu, celle du Christ. Dans le roman, Till dévoile le mécanisme de la supercherie, ce que la canzone ne fait pas.


À présent que tu as tout dévoilé ou presque, voyons cette chanson, puis reprenons notre tâche et tissons le linceul de ce vieux monde superstitieux, croyant, crédule et cacochyme.

Heureusement !


Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



La troisième année du ban
S’est écoulée depuis longtemps
Nelle espère toujours son ami
Mais où reste le printemps épanoui ?

Nelle est triste et lasse et souffre fort de vivre.
Till ! Oh Till ! Comme un oiseau ivre,
Tu t’en allas ! sans moi, sans moi, déjà tantôt.
Mon cœur pleure, où es-tu mon beau matelot ?

Till s’en vient pourtant, au gré des détours.
Till approche, Nelle compte les jours.
D’où viens-tu voyageur ?, dit la vieille.
J’arrive de Rome, la ville des merveilles.

J’y guéris d’une pituite et de la colique
Le chien du Pape, ce grand maître catholique.
Que veux-tu ?, dit le camérier archisecret.
Baiser la mule et soigner le basset.

Et le Pape dit : Ah, c’est toi, Till !
Baise mon fils la mule d’or.
Mon chien, mangeur d’hérétiques, doit vivre encor.
Et le Pape dit : Ainsi soit-il !

Tu as baisé la mule, tu as purgé le chien.
Que veux-tu, glorieux pèlerin ?
Je viens de Rome et j’ai grand faim.
Pour payer mon écot, je sauverai ton carlin.

Las, la malheureuse bête meurt subitement.
Pauvre chiennet, dit la veuve, c’était mon enfant.
Ne pleure pas, aubergiste, je vais le ressusciter.
Debout ! Hop ! Et le cabot s’est levé.

Miracle ! Maintenant, dame, il te faut payer,
Dit Till. Le repas, merci bien, je l’ai mangé.
Pour la résurrection, c’est vingt florins ;
J’en ai grand besoin pour continuer mon chemin.

La gargotière émue aux larmes
Bénit son étrange visiteur.
Nelle, le cœur en alarme,
Espère le printemps et la venue des fleurs.

Quand se lève le matin,
Till reprend sa route.
Sans se soucier du destin.
Till s’en va sans doute.

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