Gand, La Dame
Chanson
française – Gand, La Dame – Marco Valdo M.I. – 2015
Ulenspiegel
le Gueux – 4
Opéra-récit
en multiples épisodes, tiré du roman de Charles De Coster : La
Légende et les aventures héroïques, joyeuses et glorieuses
d’Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au Pays de Flandres et ailleurs
(1867).
Prise par la ruse et punie par les armes,
Gand ne parla plus et ne put plus se défendre.
(Gand vers 1560 - d'après Lucas De Heer) |
Si la chose t'intéresse, Lucien l'âne mon ami, voici la suite de cette histoire de Till le Gueux et de cette confrontation entre les gens d'ici et les armées d'ailleurs. Cette fois, dans le roman qui m'inspire, Charles De Coster raconte la prise et la destruction de la Ville de Gand par Charles-Quint. C'est un des prodromes de ce qui va ne faire que s'amplifier tout au long du siècle : l'affrontement entre les Espagnols et les habitants des Pays Bas. Cette chanson relate un moment des prémices de la Guerre des Gueux et aussi, un épisode de la Guerre de Cent Mille Ans, à savoir l'élimination progressive des villes libres au profit d’États de plus grande envergure, préludes eux-mêmes aux États nationaux du XIXiéme siècle.
Allons,
allons, Marco Valdo M.I. mon ami, ne t'égare pas dans l'Histoire. Il
ne s'agit quand même que d'une chanson…
Je
t'assure, Lucien l'âne mon ami, que ceci ne nous éloigne pas de
notre sujet. Bien au contraire, c'est un simple résumé qui permet
un décryptage de cette chanson. Elle le mérite et elle en a bien
besoin. Je veux juste donner quelques indications, mais si tu veux en
savoir plus, il te faudra faire les mêmes recherches que moi. Ce qui
n'est pas désagréable du tout, je te le dis. Cependant, je
n'entends pas, rassure-toi, commenter pédantesquement ligne par
ligne cette chanson. Je ne suis pas ici pour jouer au professeur. Il
en existe d'excellents qui font ça très bien. Je ne souhaite pas
leur couper l'herbe sous les pieds. Une expression que tu devrais
comprendre aisément et qui n'a pas besoin (elle) d'explication.
J'apprécie
assez cette ironie ad asinum et je comprends fort bien cette
expression où il est question d'herbe et de pieds. Je me demande si
ce n'est pas un âne qui l'a inventée. Maintenant, c'est le moment
de tes explications… Mais en bref.
La
première va te surprendre, car elle est d'un ordre linguistique.
As-tu déjà entendu parler du génitif saxon ?
Bien
sûr. Il existe en allemand, en anglais, en néerlandais et sans
doute, en flamand et dans d'autres langues. Mais encore ?
Eh
bien, Lucien l'âne mon ami, j'en ai glissé un dans ce texte, mais
c'est un génitif saxon tel qu'il est pratiqué encore aujourd'hui à
Bruxelles. Ma tante Ghislaine, qui était d'origine montoise mais
vivait à Bruxelles, racontait la stupéfaction qu'elle éprouva
devant le récit d'un incident entre chien et chat. Ce récit est
très court, il disait : « Le docteur son chien a mordu la
madame son chat », ce qui veut dire : « Le chien du
docteur a mordu le chat de la dame ». C'est exactement la
construction, qu'on trouve au premier quatrain :
« Gand,
la dame, refusa de verser
À
l'Empereur son fils, le tribut demandé. »
Sur
ce, je reviens à mes autres explications et à la Ville de Gand vers
1540. À la suite de luttes internes entre les métiers, d'un côté
et les marchands, de l'autre, Charles-Quint avait imposé à Gand son
autorité et par ailleurs, il réclamait des sommes considérables.
Au passage, je te rappelle que Charles est né à Gand en 1500, ce
qui explique cette histoire de mère et de fils dans la chanson.
Donc, Gand, déjà saignée par les précédents souverains, refuse
de payer le tribut et entre en révolte, ou l'inverse. On est en
1538. Le temps pour Charles-Quint, empereur de son état, de terminer
d’autres guerres, de rassembler ses armées, d'obtenir le passage
par terre à travers les Pyrénées et la France – François Ier le
lui accorde en 1539 – et voilà, trois mois plus tard – fin
janvier 1540 ou début février, Charles-Quint aux portes de Gand
dont les bourgeois n'avaient pas voulu préparer la défense en
faisant appel aux milices, c'est-à-dire aux métiers… Résultat,
l'Empereur entre en ville et c'est la saignée – dans tous les sens
possibles : morts, pillages, destructions, impôts. La libre
Gand est désarmée, ses fortifications détruites et elle est
réduite au rang de ville sous tutelle.
Bien
merci, Marco Valdo M.I. mon ami, mais je t'en prie arrête-toi là
dans tes explications. Ce que je voudrais dire, de mon côté, et
sans doute tu pourras me le confirmer (ou me démentir), c'est qu'il
me semble que tu ne racontes pas ici toutes les histoires que la
légende attribue à Till et pas toutes celles que raconte Charles De
Coster.
Pour
cela, Lucien l'âne mon ami, tu as parfaitement raison. Cependant, je
te ferai remarquer que je n'entends pas raconter la légende de Thyl
Ulenspiegel, mais bien l'histoire de Till le Gueux ; ce qui, tu
en conviendras, n'est pas la même chose. Je ne retiens des aventures
narrées par De Coster que celles qui intéressent Till en tant que
personnage historique et en quelque sorte, politique. Comme cela a dû
certainement t'apparaître jusqu'ici. Till est en fait la figure
emblématique des pauvres et l'autre, Philippe II, celle des riches.
Ceci replace cette saga dans la Guerre
de Cent
Mille Ans que les riches font aux pauvres pour les
mieux asservir, pour étendre leurs privilèges, pour multiplier
leurs richesses, pour assurer leur domination…
Ah,
je me disais bien qu'il devait y avoir une explication à cette façon
de voir et de raconter l'histoire de Till le Gueux.
Cela
dit, Lucien l'âne mon ami, Charles De Coster a procédé de la même
manière. En fait, pour pouvoir développer son Thyl Ulenspiegel et
lui donner son rôle et sa stature de « héros », et d'en
faire un roman d'une certaine taille, se référant à une longue
tradition, qui de L'Âne d'Or passe par Don Quichotte, il s'est
appuyé sur un roman du XVIième siècle allemand (Ein
kurtzweilig Lesen von Dyl Ulenspiegel, geboren uß dem Land zu
Brunßwick, wie er sein leben volbracht hat... (Un
ouvrage amusant sur Till l'Espiègle, né dans le pays de Brunswick,
comment il a mené sa vie) qui
se composait d'anecdotes populaires, telles qu'on pouvait s'en
raconter dans les foires, les marchés, sur les routes, dans les
tavernes, les auberges, les villages et les villes de ce temps. Ce
sont ces anecdotes qui se sont répandues dans toute une assez vaste
région (Rhin, Meuse, Escaut). De Coster y
a ajouté certains épisodes plus « politiques » qui ont
donné à son Thyl toute sa puissance et ce sont ceux que je
reprends. Un dernier mot rapidement pour noter une certaine parenté
entre Till le Gueux et l'Arlequin
amoureux,
tous deux « sujets » de l'Empereur, tous deux errant au
travers de l'Europe d'alors.
On
peut y ajouter Chveik
le soldat et
aussi, Oscar
Matzerath,
le héros du Tambour de Günter Grass.
Enfin, concluons et reprenons notre tâche et tissons à nouveau le
linceul de ce vieux monde plein de souverains, de répression,
d'exactions, de ruines
et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Déjà
ruinée, exsangue et révoltée
Gand,
la dame, refusa de verser
À
l'Empereur son fils, le tribut demandé.
Charles
dit : elle sera rudement châtiée.
La
bastonnade d'un fils est plus dure
Au
dos de sa mère
Que
la sanglante blessure
Faite
par une main étrangère.
Bon
prince, François au Long-Nez
Laissa
passer Charles et ses armées.
Entre
souverains, il faut bien s'entraider.
Ainsi,
l'Empereur franchit les Pyrénées.
Enfin,
Charles-Quint vînt au travers de la France.
Avec
quatre mille chevaux et dix fois plus de fantassins.
Il
entra dans Gand, la bourgeoise, presque sans résistance.
Il
lui infligea le plus terrible chagrin.
Ses
sbires s'en furent partout en ville
On
vit des postes militaires et des rondes peu civiles.
Alors
seulement, Charles prononça la sentence.
Le
peuple de la cité était puni pour désobéissance.
Il
fit raser toutes les défenses :
Les
murs, les tours, les portes.
Il
abolit toutes les libertés.
Pour
enrichir l'Espagne, tout fut confisqué.
Prise
par la ruse et punie par les armes,
Gand
ne parla plus et ne put plus se défendre.
Roelandt,
la grande cloche, vit pendre
À
son battant, celui qui avait donné l'alarme.
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