ET NOUS, QUE FAISONS-NOUS ?
Poème
de Rocco Scotellaro, publié en avril
1949 d’abord sur le « New York Times Magazine » et
puis, sur l’« Avanti ».
Ensuite
dans le recueil intitulé « È fatto giorno. 1940-1953 »,
publié en 1954, l’année qui suit la mort du poète.
Mis en musique par le groupe Têtes de Bois dans leur disque intitulé « Avanti Pop » de 2007, le morceau s'intitule « Rocco et ses frères ». Malheureusement je n'en ai pas trouvé le texte ... mais le morceau bénéficie de la partecipation d’ « Il Coro dei Lucani » (Choeur des Lucains), constitué de Rocco De Rosa, Rocco Papaleo, Canio Loguercio, Ulderico Pesce et de Claudio Santamaria.
Mis en musique par le groupe Têtes de Bois dans leur disque intitulé « Avanti Pop » de 2007, le morceau s'intitule « Rocco et ses frères ». Malheureusement je n'en ai pas trouvé le texte ... mais le morceau bénéficie de la partecipation d’ « Il Coro dei Lucani » (Choeur des Lucains), constitué de Rocco De Rosa, Rocco Papaleo, Canio Loguercio, Ulderico Pesce et de Claudio Santamaria.
Et nous, que faisons-nous ? |
Comment
dire, Lucien l’âne mon ami, combien Rocco Scotellaro est important
à mes yeux et combien il est important pour la poésie, mais pas
seulement… On peut y ajouter la chanson et aussi, le monde
« au-delà d’Eboli », ce monde qui préexistait à
l’influence du monde urbain (venu de l’Urbs) et de sa
civilisation christiano-étatique. Car la voix de Rocco vient de là
et c’était une voix qui prenait la parole contre l’immobilisme
des territoires de Lucanie. Ceci m'impose une petite citation de
Carlo Levi, qui de retour à Aliano – après la guerre découvre le
nouveau monde se substituant à l’ancien : « … mi
vienne incontro tutto il nuovo che andava nascendo in quella realtà,
una storia chi cresceva come le persone o le piante che non
contradicono, per le nuove foglie, la loro natura.
Questo
nuovo ebbe per me un aspetto e un nome : il piccolo biondo e
lentigginoso di unragazzo, che aveva in sé la qualità per essere, e
lo fu, un gran poeta, il poeta della libertà contadina : Rocco
Scotellaro ». Insiem a lui, una generazione di giovani, e un
popolo intero che prendeva, nell’azione quotidiana, conscienza di
esistere. » (Carlo Levi, Ritorno in Lucania in Le Tracce della
memoria, Donzelli, Roma, 2002. pp. 127-128) et en français (le
mien) : « … vînt à ma rencontre tout le nouveau qui
naissait dans ce réel, une histoire qui croissait comme les
personnes ou les plantes qui ne contredisent pas, par leurs nouvelles
feuilles, leur propre nature.
Ce
nouveau eut pour moi un aspect et un nom : le petit visage blond
et parsemé d’éphélides d’un jeune homme, qui avait en lui la
qualité pour être, et il le fut, un grand poète, le poète de la
liberté paysanne : Rocco Scotellaro. Avec lui, une génération
de jeunes, et un peuple entier qui prenait, dans l’action
quotidienne, conscience d’exister. »
Tu
imagines bien, Marco Valdo M.I. mon ami, que ce monde-là, je l’ai
parcouru longuement et que je le connais bien. c’est mon monde,
mais aussi celui de Till, de Sancho, des ânes et des sorcières :
toutes figures de mon panthéon.
Ce
sont aussi les figures du mien et mutatis mutandis, de celui de Rocco
Scotellaro et de Carlo Levi, car on ne peut séparer ces deux amis et
ces deux complices dans la défense des pauvres « somari »
de Lucanie et d’ailleurs. Maintenant, je voudrais un peu parler de
Rocco pour ceux qui ne le connaissent pas. De Rocco, mais pas
seulement, comme tu vas le voir. On oublie un peu vite dans notre
univers d’amplification électronique et de voix digitales, que le
poète – en l’occurrence : Rocco Scotellaro – est
véritablement la voix humaine, la voix des humains, la voix porteuse
de la pensée, de l’émotion et du sentiment. Ainsi en allait déjà
l’aède Homère, ainsi en a-t-il été de Rocco et son aura précède
de beaucoup sa fin tragique. Rocco Scotellaro vient d’un monde
analphabète, de ce monde des sans-voix, des perpétuels écrasés,
des sempiternels méprisés… de ces « braccianti » (ces
« bras ») que les sergents recruteurs des maîtres (des
« padroni ») louaient à bon prix sur les places de
village ; un peu comme à la criée. Pour
les mener ensuite aux champs comme un troupeau.
La
chose se voit encore aujourd’hui, même en Italie mais parmi les
« somari » contemporains, on a mêlé les « sans
papiers », les « réfugiés », les « immigrés »…
en une sorte d’esclavage précaire. Toutes bêtes de somme et
souvent, d’une autre couleur. Mais au fond, c’est pareil.
J’ajouterais
volontiers : pas seulement en Italie. Toute l’Europe cherche
cette main d’œuvre à bas prix, ces êtres « discount »
et elle cherche à justifier pareille vilenie à coups de
dispositions réglementaires. Pour en venir à la canzone elle-même,
et singulièrement à son titre, il me paraît que cette question :
« Et nous, que faisons-nous ? » (« Noi, che
facciamo ? ») se pose à chacun tous les jours. Elle est
un impératif de vie. Et ce n'est pas une question en l’air. On en
voit tout de suite la portée si on la replace, comme le fait Rocco
Scotellaro, dans cet affrontement continu qui se trouve au cœur de
la Guerre
de Cent Mille Ans [[7951]] ; cette guerre que depuis des
temps immémoriaux, les riches font aux pauvres pour asseoir leur
domination par la peur, pour assurer leurs richesses par la loi du
plus fort, pour étendre leurs privilèges par la persuasion et
perpétuer l’exploitation qu’ils font des hommes et du monde par
la propagande.
Je
ne peux qu’approuver Rocco Scotellaro et son interrogation, même
si elle est angoissante, même si elle révèle combien cette
condition des pauvres est difficile à renverser. Ce « Que
faisons-nous ? » sonne comme un appel urgent à la fin de
l’acceptation du monde tel qu’il est et tel qu’on veut le
maintenir – tous pouvoirs confondus et tous alliés. Ainsi, il
importe que nous reprenions notre tâche et que nous tissions le
linceul de ce vieux monde méprisant, dominé, épuisé, morbide et
cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Ils
nous ont crié la croix protège les
maîtresPour
tout ce qui
arrive et même pour les chutesQui
vont glissant sur les argiles.
Muets,
nous nous tenons, à l’aube,
Sur les places pour être achetés
Le soir, le retour en files,
Encadrés par des cavaliers.
Ce sont nos camarades, la nuit,
Au bivouac, tous couchés avec les brebis.
Sur les places pour être achetés
Le soir, le retour en files,
Encadrés par des cavaliers.
Ce sont nos camarades, la nuit,
Au bivouac, tous couchés avec les brebis.
Nous
ne pouvons pas nous grouper pour chanter,
Ni même nous lire les feuillets imprimés
Où on écrit du bien de nous !
Ni même nous lire les feuillets imprimés
Où on écrit du bien de nous !
Nous
sommes les faibles des années lointaines
Quand les bourgs périrent dans les flammes
Du Château ruiné.
Nous sommes les fils des pères enchaînés.
Quand les bourgs périrent dans les flammes
Du Château ruiné.
Nous sommes les fils des pères enchaînés.
Nous sommes encore appelés
Frères dans les Églises
Mais vous avez votre chapelle
Personnelle d’où vous nous regardez.
Et
cessez de nous toiser
Cessez de nous menacer
Même les troupeaux du corral s'échappent
Pour un brin perdu dans la neige.
Cessez de nous menacer
Même les troupeaux du corral s'échappent
Pour un brin perdu dans la neige.
Dans
ce même château en ruines.
Même les troupeaux cassent les barrières
À cause de vous qui vous armez de votre rage.
Même les troupeaux cassent les barrières
À cause de vous qui vous armez de votre rage.
Et
nous, que faisons-nous ?
Pendant ce temps, nous chantons la chanson
De votre rédemption.
Car votre pouvoir nous entraîne
À l’abîme, au précipice.
Nous sommes les pauvres
Sages brebis de nos maîtres.
Pendant ce temps, nous chantons la chanson
De votre rédemption.
Car votre pouvoir nous entraîne
À l’abîme, au précipice.
Nous sommes les pauvres
Sages brebis de nos maîtres.
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