vendredi 23 octobre 2015

ET NOUS, QUE FAISONS-NOUS ?

ET NOUS, QUE FAISONS-NOUS ?

Version française – ET NOUS, QUE FAISONS-NOUS ? – Marco Valdo M.I. – 2015

Chanson italienne – Noi che facciamo?Rocco Scotellaro – 1946

Poème de Rocco Scotellaro, publié en avril 1949 d’abord sur le « New York Times Magazine » et puis, sur l’« Avanti ».
Ensuite dans le recueil intitulé « È fatto giorno. 1940-1953 », publié en 1954, l’année qui suit la mort du poète.
Mis en musique par le groupe Têtes de Bois dans leur disque intitulé « Avanti Pop » de 2007, le morceau s'intitule « Rocco et ses frères ». Malheureusement je n'en ai pas trouvé le texte ... mais le morceau bénéficie de la partecipation d’ « Il Coro dei Lucani » (Choeur des Lucains), constitué de Rocco De Rosa, Rocco Papaleo, Canio Loguercio, Ulderico Pesce et de Claudio Santamaria.






Et nous, que faisons-nous ?








Comment dire, Lucien l’âne mon ami, combien Rocco Scotellaro est important à mes yeux et combien il est important pour la poésie, mais pas seulement… On peut y ajouter la chanson et aussi, le monde « au-delà d’Eboli », ce monde qui préexistait à l’influence du monde urbain (venu de l’Urbs) et de sa civilisation christiano-étatique. Car la voix de Rocco vient de là et c’était une voix qui prenait la parole contre l’immobilisme des territoires de Lucanie. Ceci m'impose une petite citation de Carlo Levi, qui de retour à Aliano – après la guerre découvre le nouveau monde se substituant à l’ancien : « … mi vienne incontro tutto il nuovo che andava nascendo in quella realtà, una storia chi cresceva come le persone o le piante che non contradicono, per le nuove foglie, la loro natura.
Questo nuovo ebbe per me un aspetto e un nome : il piccolo biondo e lentigginoso di unragazzo, che aveva in sé la qualità per essere, e lo fu, un gran poeta, il poeta della libertà contadina : Rocco Scotellaro ». Insiem a lui, una generazione di giovani, e un popolo intero che prendeva, nell’azione quotidiana, conscienza di esistere. » (Carlo Levi, Ritorno in Lucania in Le Tracce della memoria, Donzelli, Roma, 2002. pp. 127-128) et en français (le mien) : « … vînt à ma rencontre tout le nouveau qui naissait dans ce réel, une histoire qui croissait comme les personnes ou les plantes qui ne contredisent pas, par leurs nouvelles feuilles, leur propre nature.
Ce nouveau eut pour moi un aspect et un nom : le petit visage blond et parsemé d’éphélides d’un jeune homme, qui avait en lui la qualité pour être, et il le fut, un grand poète, le poète de la liberté paysanne : Rocco Scotellaro. Avec lui, une génération de jeunes, et un peuple entier qui prenait, dans l’action quotidienne, conscience d’exister. »

Tu imagines bien, Marco Valdo M.I. mon ami, que ce monde-là, je l’ai parcouru longuement et que je le connais bien. c’est mon monde, mais aussi celui de Till, de Sancho, des ânes et des sorcières : toutes figures de mon panthéon.

Ce sont aussi les figures du mien et mutatis mutandis, de celui de Rocco Scotellaro et de Carlo Levi, car on ne peut séparer ces deux amis et ces deux complices dans la défense des pauvres « somari » de Lucanie et d’ailleurs. Maintenant, je voudrais un peu parler de Rocco pour ceux qui ne le connaissent pas. De Rocco, mais pas seulement, comme tu vas le voir. On oublie un peu vite dans notre univers d’amplification électronique et de voix digitales, que le poète – en l’occurrence : Rocco Scotellaro – est véritablement la voix humaine, la voix des humains, la voix porteuse de la pensée, de l’émotion et du sentiment. Ainsi en allait déjà l’aède Homère, ainsi en a-t-il été de Rocco et son aura précède de beaucoup sa fin tragique. Rocco Scotellaro vient d’un monde analphabète, de ce monde des sans-voix, des perpétuels écrasés, des sempiternels méprisés… de ces « braccianti » (ces « bras ») que les sergents recruteurs des maîtres (des « padroni ») louaient à bon prix sur les places de village ; un peu comme à la criée. Pour les mener ensuite aux champs comme un troupeau.

La chose se voit encore aujourd’hui, même en Italie mais parmi les « somari » contemporains, on a mêlé les « sans papiers », les « réfugiés », les « immigrés »… en une sorte d’esclavage précaire. Toutes bêtes de somme et souvent, d’une autre couleur. Mais au fond, c’est pareil.

J’ajouterais volontiers : pas seulement en Italie. Toute l’Europe cherche cette main d’œuvre à bas prix, ces êtres « discount » et elle cherche à justifier pareille vilenie à coups de dispositions réglementaires. Pour en venir à la canzone elle-même, et singulièrement à son titre, il me paraît que cette question : « Et nous, que faisons-nous ? » (« Noi, che facciamo ? ») se pose à chacun tous les jours. Elle est un impératif de vie. Et ce n'est pas une question en l’air. On en voit tout de suite la portée si on la replace, comme le fait Rocco Scotellaro, dans cet affrontement continu qui se trouve au cœur de la Guerre de Cent Mille Ans [[7951]] ; cette guerre que depuis des temps immémoriaux, les riches font aux pauvres pour asseoir leur domination par la peur, pour assurer leurs richesses par la loi du plus fort, pour étendre leurs privilèges par la persuasion et perpétuer l’exploitation qu’ils font des hommes et du monde par la propagande.

Je ne peux qu’approuver Rocco Scotellaro et son interrogation, même si elle est angoissante, même si elle révèle combien cette condition des pauvres est difficile à renverser. Ce « Que faisons-nous ? » sonne comme un appel urgent à la fin de l’acceptation du monde tel qu’il est et tel qu’on veut le maintenir – tous pouvoirs confondus et tous alliés. Ainsi, il importe que nous reprenions notre tâche et que nous tissions le linceul de ce vieux monde méprisant, dominé, épuisé, morbide et cacochyme.

Heureusement !


Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane




Ils nous ont crié la croix protège les maîtresPour tout ce qui arrive et même pour les chutesQui vont glissant sur les argiles.
Et nous, que faisons-nous ?

Muets, nous nous tenons, à l’aube,
Sur les places pour être achetés
Le soir, le retour en files,
Encadrés par des cavaliers.
Ce sont nos camarades, la nuit,
Au bivouac, tous couchés avec les brebis.

Et nous, que faisons-nous ?

Nous ne pouvons pas nous grouper pour chanter,
Ni même nous lire les feuillets imprimés
Où on écrit du bien de nous !
Nous sommes les faibles des années lointaines
Quand les bourgs périrent dans les flammes
Du Château ruiné.
Nous sommes les fils des pères enchaînés.

Et nous, que faisons-nous ?

Nous sommes encore appelés
Frères dans les Églises
Mais vous avez votre chapelle
Personnelle d’où vous nous regardez.
Et cessez de nous toiser
Cessez de nous menacer
Même les troupeaux du corral s'échappent
Pour un brin perdu dans la neige.
Vous sentiriez notre dureté
Le jour où nous viendrons armés
Dans ce même château en ruines.
Même les troupeaux cassent les barrières
À cause de vous qui vous armez de votre rage.
Et nous, que faisons-nous ?

Pendant ce temps, nous chantons la chanson
De votre rédemption.
Car votre pouvoir nous entraîne
À l’abîme, au précipice.
Nous sommes les pauvres
Sages brebis de nos maîtres.



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