lundi 1 juin 2015

CHANSON DE GUERRE D'UN ENFANT

CHANSON DE GUERRE D'UN ENFANT




Version française – CHANSON DE GUERRE D'UN ENFANT – Marco Valdo M.I. – 2015
Chanson allemande - Kriegslied eines Kindes – Walter Benjamin – 1925-27
Musique et interprète : Hanns Eisler

Triple disque “Hanns Eisler”, édité en 1971 par l'éditeur discographique Wergo.
“Zeitungsausschnitte”, « Extraits de journaux », est un cycle de chansons constituées de parodies de nouvelles parues dans les journaux, revues et aux médias allemands de l'époque.




Qui a tué Walter Benjamin ?






Un enfant est témoin de l'appel sous les drapeaux de sa mère (« O Deutschland, bleiche Mutter ! » écrira Bertolt Brecht quelques années plus tard) de son départ pour les tranchées de la Grande Guerre et de son retour dans un hôpital de campagne où l'attend un lit à baldaquin, qui n'est autre chose qu'un cercueil (troulalatroulala)...


Dis, Marco Valdo M.I. mon ami, toi qui viens de faire cette version française, comment comprends-tu cette drôle d'histoire d'une mère qui s'en va se battre dans les tranchées ? Il me semble à moi que ces dames restaient à l'arrière, en quelque sorte pour tenir la maison pendant que ces messieurs allaient entr’égorger, quand ce n'était pas s'asphyxier, s'éventrer, se revolvériser, de brûler, s'exploser...


De fait, Lucien l'âne mon ami, tu as parfaitement raison. Les dames n'étaient pas appelées – comme on dit – sous les drapeaux. Dès lors, aussi, que vient faire cette mère-militaire ? Qui est la mère et par conséquent, qui est l'enfant ? La chose est simple, quand y réfléchit, cette mère est ce qu'on appelle généralement la « mère-patrie », une mère-père, en quelque sorte, si tu veux bien te souvenir que « pater » est le père. En l'occurrence ici, l’Allemagne. Ainsi, la mère (patrie) se fait soldat, se vêt d'uniformes, porte le casque, tire au fusil… s'enfonce dans les tranchées et finit en cadavre. C'est en résumé, la guerre de 1914-18. Et l'Allemagne de Guillaume a en effet disparu.

Et l'enfant, alors, qui est-il ?


Le peuple allemand, tous ces jeunes (et moins jeunes gens) qui s'en allèrent, comme leurs pères, comme leurs mères, fusil au vent… finir dans les tranchées ici ou là. Il y en eut des millions. Et chaque fois que la fantaisie militaire reprendra la mère, il y en aura d'autres millions…

Ces mères-patries sont redoutables, dit Lucien l'âne. À ce compte-là, vaut mieux ne pas avoir de mère du tout…

Tu parles d'or, Lucien l'âne mon ami. Car ces mères-là s'appellent aussi « nations »et sont la source de cette étrange maladie que l'on nomme, bien évidemment, nationalisme. Il n'y a rien de plus pernicieux que ces entités maléfiques, broyeuses d'humanités entières. Maintenant, deux mots sur l'auteur de cette jolie fable, à savoir Walter Benjamin, qui entre autres choses fut le traducteur de Baudelaire et de Proust, mais aussi connu comme philosophe, penseur, historien… Walter Benjamain comme beaucoup d'intellectuels de langue allemande (Tucholsky, Mann, Zweig…) avait dû fuir et partir en exil. Il finit sa vie à Portbou au pied des Pyrénées. Longtemps, on a dit qu'il s'était suicidé ; on pense plutôt à présent qu'il fut assassiné. Tout ceci, me fait dire qu'on ne peut prendre à la légère cette chanson.


Voilà donc encore une chanson qui comme nous tisse le linceul de ce vieux monde national, militaire, combatif et cacochyme.


Heureusement !



Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane





Ma mère se fait soldat,
Elle enfile des pantalons rouges
Avec des glands rouges,
Taratata, ma mère se fait soldat.

Elle enfile des bottes
Avec de longues tiges,
Elle enfile une veste
Avec des boutons plats,
Elle reçoit un casque
Avec dessus le Kaiser Guillaume.
Taratata, ma mère se fait soldat.

Elle reçoit même un fusil d'assaut
Elle tire par ici, par là
Alors, dans la tranchée, elle va
Où mangent les corbeaux.
Ma mère se fait soldat.

Enfin, elle arrive à l'hôpital,
Elle entre dans le lit fatal,
Taratata, ma mère se fait soldat.


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