jeudi 26 février 2015

DE L'OBSCURITÉ

DE L'OBSCURITÉ

Version française – DE L'OBSCURITÉ – Marco Valdo M.I. – 2015
Chanson allemande – Aus dem DunkelGertrud Kolmar1937

Poème de Gertrud Chodziesner, en art Gertrud Kolmar, dans le recueil intitulé « Welten » (poésies composées entre août et décembre 1937) publié posthume en 1947.
Musique du compositeur anglais Julian Marshall dans sa cantate intitulée « Out of Darkness », 2009
Voir aussi en français : http://www.espritsnomades.com/sitelitterature/kolmargertrud/kolmargertrud.html





Et puis, j'ai descendu l'escalier,
Le porphyre rouge vif a volé en éclats fissurant ma semelle.




Gertrud Kolmar et née Gertrud Käthe Chodziesner le 10 décembre 1894 à Berlin et mourut le 2 mars 1943 à Auschwitz. Elle composa 450 poèmes sauvés par des correspondances avec sa sœur Hilde. Elle prit comme pseudonyme Gertrud Kolmar en référence au nom de la ville natale de son père Chodziez (Poméranie), Kolmar en allemand.

La vie adulte de Gertrud Käthe Sara Chodziesner, juive, née à Berlin en 1894, commença et se termina dans la tragédie.
À un peu plus de vingt ans, Gertrud tomba amoureuse d'un officier, marié, qui la mit enceinte, puis la poussa à avorter (avec le soutien de sa famille à elle) et ensuite, l'abandonna. Gertrud tomba dans une profonde dépression, elle tenta même de se suicider et elle se reprit difficilement seulement grâce à l'écriture poétique (son premier recueil fut publié en 1917) et à son travail avec les enfants sourds-muets dans les années suivantes entre Paris et Dijon. 
En 1928, elle dut retourner à Berlin pour assister sa mère mourante. Elle vécut donc jour après jour la montée de l'antisémitisme et l'ascension du nazisme. Après la venue de Hitler au pouvoir, la vie de Chodziesner, comme celle de tous les Juifs, surtout à Berlin, devînt un enfer, mais son vieux père – un avocat pénaliste, qui s'obstinait orgueilleusement à se vouloir un citoyen comme tous les autres – ne voulut pas émigrer.
Un peu plus tard, les Chodziesner furent forcés à abandonner leur belle propriété de Finkenkrug et de se transférer dans un misérable appartement dans un édifice connu comme Judenhaus, dans la périphérie de Berlin.
Entre temps Gertrud, toujours sous le nom d'artiste de Gertrud Kolmar qu'elle avait choisi, continuait à publier ses poésies, toujours dominées par le traumatisme de la perte de son enfant, mais en 1938, son dernier recueil, « Die Frau und die Tiere », sortit au moment de la « Kristallnacht », le grand pogrom déchaîné des nazis en novembre de cette année-là, et tous les exemplaires de son livre furent détruits.
En 1941, Gertrud aussi fut expédiée aux travaux forcés dans une fabrique d'armements, pendant que son père, trop âgé pour travailler, fut déporté à Theresienstadt, où mourut de privations en février 1943.
Presque au même moment, Gertrud Kolmar fut arrêtée et déportée à Auschwitz, où elle disparut, probablement tuée à son arrivée, dans les premiers jours de mars.



Femme, je viens de l'obscurité.
Je porte un enfant et je ne sais plus, de qui ;
Je l'ai su autrefois.
Mais maintenant, il n'y a plus d'homme pour moi…
Tous ont disparu derrière moi comme le ruisselet,
La terre les a bus.
Je vais encore et encore.
Car je veux être avant le jour à la montagne, et les astres
S'effacent déjà.

De l'obscurité, je viens.
J'ai marché solitaire par les ruelles sombres,
Soudain, la lumière tombant avec ses griffes
A déchiré la douce noirceur,
Comme le léopard la biche.
Au loin, une porte ouverte crache des cris laids,
De sauvages clameurs, des hurlements bestiaux.
On se roule ivre…
J'ai balayé tout ça de l'ourlet de ma robe sur le chemin.

Et je déambulais sur le marché désert.
Des feuilles nageaient dans les flaques qui reflétaient la lune.
Des chiens maigres et avides flairaient des déchets sur les pierres.
Des fruits pourrissaient écrasés,
Et un vieux en loques tourmentait encore son pauvre
instrument à cordes
Et chantait de sa voix mince, fausse et plaintive
Inaudible.
Et ces fruits avaient mûris au soleil et à la rosée,
Rêvant encore de l'odeur et de la chance de la floraison amoureuse,
Mais le mendiant geignard
Avait oublié depuis longtemps et ne connaissait plus rien d'autre que la faim
et la soif.

Devant le château du puissant, j'arrêtais,
Et puis, j'ai descendu l'escalier,
Le porphyre rouge vif a volé en éclats fissurant ma semelle. -
Je me suis tournée
Et j'ai regardé vers le haut la fenêtre dénudée, la bougie tardive
du penseur,
Celui méditait et méditait et ne trouvait jamais la solution à la question,
Et au lumignon couvert de l'infirme qui quand même
N'apprenait pas,
Comment il devrait mourir.
Sous l'arche du pont,
Deux horribles squelettes se disputaient autour de l'or.
J'ai soulevé ma pauvreté comme un bouclier gris devant mon visage
Et je suis passée sans danger.

Dans le lointain, le fleuve parle avec ses rives.


Je trébuche là sur le sentier pierreux et difficultueux.
Les éboulis, les épineux de feu blessent mes mains aveugles et tâtonnantes.
Une caverne attend.
Dans l'aven le plus profond, le corbeau vert de gris accueille celui qui
N'a pas de nom.
J'entrerai là,
Sous la protection des grandes ailes ombreuses, moi
Accroupie et immobile,
Pour écouter en maudissant la parole muette de mon
Enfant
Et dormir, le front tourné vers l'orient,
Jusqu'au lever du soleil.

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