vendredi 15 août 2014

REQUIEM POUR UN ENNEMI INCONNU

REQUIEM POUR UN ENNEMI INCONNU

Version française – REQUIEM POUR UN ENNEMI INCONNU – Marco Valdo M.I. – 2014
Chanson italienne – Requiem per un nemico ignoto – Gesualdo Bufalino – 1944
Musique et interprétation de Marco Rovelli (2014)
Poème de Gesualdo Bufalino
De "Annali del Malanno"
in "L'amaro Miele", Einaudi, Collezione di poesia 176, 1982.






Qu'espérais-tu, héros,
De nous à qui tu portas la tempête
Et la haine, à la tête
D'une abjecte troupe de héros ?






Au sens habituel, ce n'est pas une chanson, et ce ne l'a jamais été. C'est une poésie, et une des plus terriblement belles, de Gesualdo Bufalino. Jusqu'à ce qu'il parvienne à ses soixante et un ans, on n'avait rien su de ce réservé, discret et très cultivé professeur de Comiso en Sicile; sur l'insistance de quelques amis, parmi lesquels Leonardo Sciascia, il publia "Diceria dell'untor" et se retrouva catapulté d'un jour à l'autre parmi les écrivains italiens majeurs du XX siècle. « Le discours s'adresse à un officier allemand, moribond après une attaque partisane, amené en urgence dans ma chambre d'hôpital » ; ainsi s'explique brièvement Bufalino dans son petit volume de poésies de toute une vie. Le poème fut écrit à l'hôpital de Scandiano, en province de Reggio Emilia, en février 1944. Il y a quelques jours, à la maison de ma mère où il gisait depuis vingt ans, j'ai repris son « Amaro miele » (Miel amer) et je l'ai ramené chez moi. Bufalino n'était pas un écrivain-né, ni un poète au langage simple ; il écrivait d'une manière rare, recherchée mais en même temps, pleine d'humanité populaire. On le baptisa « sicilien atypique », mais ne sachant ce qu'est un sicilien « typique », je m'abstiendrai de quelque autre commentaire à ce sujet. Je sais seulement que sa poésie plonge dans les recoins de l'être humain souffrant, et face à la mort dans un climat de haine qu'on ne peut refuser et d'une violence qui s'insinue jusque dans les fissures des existences ; et (poésie) qu'on ne trouvait nulle part dans ce « grand réseau » qui n'a pas encore réussi à être aussi grand que les pages des livres. D'une d'elles, je tire ce poème, le livrant à la connaissance. Non, je ne pouvais pas faire moins. [RV]


Gesualdo Bufalino n'aimait pas les diableries modernes ; déjà lorsqu'il dut abandonner les disques 78 tours, il avait souhaité aller en enfer. Comment donc aurait-il réagi en apprenant que son poème, grâce à l'introduction dans une diablerie authentique comme un site internet, aurait été choisi, mis en musique et chanté. Pourtant c'est vraiment ce qui s'est passé : il a suffi de quelques mois à compter du 15 avril 2014 pour que Marco Rovelli l'y trouva, le prenne et il lui donne une musique. Il l'a présenté pour la première fois le 4 août passé à Fosdinovo, au festival « Fino al Cuore de la Rivolta », en rendant du haut de la scène, un hommage à cette diablerie de site. Nous vous la présentons ici, en sortant avec grand plaisir le poème de Bufalino, qui est devenu une chanson, des « Extras » où on l'avait confiné. Il nous plaît de penser que notre diablerie aide, dans un cas comme celui-ci, la poésie à trouver musique et instruments ; et nous concédons que Gesualdo Bufalino a émis un grognement, mais accompagné d'un sourire.

Riccardo Venturi - 13/8/2014 - 13:11




Deux mots pour notre ami Venturi, qui se plaint de trous de mémoire...
On pourrait lui appliquer ce début de la chanson
« De trous noirs tout meurtri,
Leutnant Riccardo Venturi...
Dans cette chambre de géhenne »...


Trêve de jeux de mots, moi qui suis là depuis la plus haute antiquité et qui devrait être la mémoire des mémoires, des trous dans la mémoire, j'en ai aussi et pas un peu. Pour tout dire, les mots m'échappent et quand j'arrive à en rattraper un, il s'en éclipse mille autres. C'est le privilège de mon grand âge. Il n'y a rien là que de très normal... Les mots s'en viennent, les mots s'en vont. Pour montrer ce qui finalement en découle, voici une version française de ce Requiem.



Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane








De trous noirs tout criblé,
Leutnant Adolf Henne Henne
Dans cette chambre de géhenne,
Je te cède la place volontiers .

À mon « Morior ergo sum »
Déclamé contre le mur
Tu viens ajouter le murmure
Monotone de ton « Warum ? »

Viens, viens ici sur ton lit en fer ;
Entre mon lit de camp et la porte,
Il y a aussi ta mort,
Mon pauvre malheureux frère.

Mais d'abord, faisons au moins connaissance,
Échangeons un ja contre un sí,
Leutnant Rudolf Onneséqui
D'Onneséou du côté de Coblence.

Ouvre les yeux, vois : scintille
Sur les vitres et se tord une anguille
De lumière sèche se colorant
Au sang de ton pansement.

Le soleil à la fin juin
Est cruel ; il culmine,
Se hérissant de poils et d'épines,
Il se fait dur comme le poing.

C'est un temps sublime et lâche,
Vous l'avez fait ainsi.
Le talion ne fait pas relâche:
Couteau contre fusil.

Te souviens-tu ? Hier encore,
Tu plantais de tes mains rouges
Dix croix sur dix tombes…
Ne me demande pas miséricorde.

Qu'espérais-tu, héros,
De nous à qui tu portas la tempête
Et la haine, à la tête
D'une abjecte troupe de héros ?

Parfaite machine maléfique
Étrangère, tu nous fus antipathique
Du bord de ta casquette
À la pointe de tes bottes !

Et pour ton dernier dîner
Bonne ou mauvaise guerre
Il te faudra la manger, la terre
Où fleurit l'oranger.

Les Gretchen, les Liselotte,
Dans ta maison là-bas au Nord,
Sous la lampe, tricotent
Ignorant ta mort.

Tout seul : à qui parler ?
À elles ou au furet rassasié
Qui sous le drap te déchire
Paresseusement les viscères ?

Et ce gargouillis qui peut-être
Dans ta langue dure
Me dit une chose et se perd,
Est-ce remords, cri ou prière ?

Tu presses avec les ongles ton abdomen,
Dans un effort, tu te retournes ; par en dessous
Tu me regardes ; tu sais déjà que je t'ai absous,
Leutnant Hermann Sansnom. Amen.



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