dimanche 4 mai 2014

HOP LÀ ! NOUS VIVONS !

HOP LÀ ! NOUS VIVONS !

Version française – HOP LÀ ! NOUS VIVONS ! – Marco Valdo M.I. – 2014
Chanson allemande – Hoppla! Wir leben! – Walter Mehring – 1927

Texte de Walter Mehring.
Musique de Edmund Meisel (1894-1930)






Éclipse de Soleil
Peinture de George Grosz








C'est la chanson qui porte le titre au célèbre spectacle théâtral « Hop là, wir leben ! , ein Vorspiel und fünf Akte », écrit par d'Ernst Toller (1893-1939), écrivain, dramaturge et révolutionnaire allemand, juif, qui s'est suicidé le 22 mai 1939 à New York (comme le jeune révolutionnaire protagoniste de l'opéra), où il était réfugié pour échapper aux nazis. Le drame, mis en scène par Erwin Piscator, fut représenté en 1927 à Hambourg et à Berlin.

« Hop là, wir leben ! » est l'histoire d'un militant communiste spartakiste qui, à son retour à la liberté après des années d'internement dans un asile judiciaire, trouve une société inhumaine et corrompue et ses camarades d'antan intégrés dans le système. Il voudrait tuer l'un d'eux, devenu ministre, mais il est précédé par un tueur de droite. Cependant, il est arrêté à la place du meurtrier et en finit en se pendant. Une constatation lucide et désespérée de la faillite des idéaux juvéniles de révolution sociale et une analyse impitoyable de la République de Weimar maintenant presque à la fin de sa course, sur le point de céder au nazisme. (de Sapere.it)
« Hop là, nous vivons ! » elle a été proposée pour la première fois en Italie par Giorgio Strehler en 1951 (traduction d'Emilio Castellani et Giorgio Strehler, musiques de Fiorenzo Carpi, Fritz Hollander, Gino Negri, Kurt Weill).


Il y avait déjà une référence à cet opéra dans les CCG : voir celui de notre Marco Valdo M.I.




Ils ont raison les amis des CCG, le Holà, nous vivons ! que j'avais écrit est bien une allusion directe à Ernst Toller et à son Hop là, nous vivons ! Et à la révolution allemande manquée après la guerre de 1914-18 et à la République des Conseils Ouvriers de Bavière. Une allusion aussi au fait que Toller est un de ces inclassables libertaires anarchisants, proche d'Erich Mühsam [[38381]]. Mais pour en venir à la chanson de Walter Mehring, qui s'intitule elle aussi Hop là, nous vivons ! Et qui renvoie elle aussi à Toller, vu qu'elle figure dans l'opéra, on y trouve – on est en 1926, lorsque Toller écrit la pièce d'origine – une lucidité incroyablement précise, une analyse de ce qui adviendrait dans les années suivantes... En fait, on y annonce purement et simplement la remontée du militarisme et sa conséquente guerre mondiale : « Vor dem nächsten Weltkrieg » ( « avant la prochaine guerre mondiale ») et comme à Troie, Cassandre a raison. Ernst Toller et Walther Mehring font une analyse politique de ce qu'il se passe et de ce qu'il va se passer... et de l'inéluctabilité des choses à partir du moment où la guerre est un des moteurs du développement. Écoute bien ce qu'ils disent :
« Nous avons à nouveau besoin d'une guerre
Et de temps plus héroïques !
C'est la seule politique :
Hop là, nous vivons -
Nous vivons et nous comptons ! »... Ainsi, la Guerre est, en effet, le moteur du développement, et réciproquement : le développement est le moteur de la Guerre.


Ce que tu dis là est très exactement à replacer dans le cadre de la Guerre de Cent Mille Ans et également dans les errements du rêve d'Otto. En fait, les guerres ponctuelles – mondiales ou non, celles faites par les militaires, les armes, avec leurs tueries sont des états paroxystiques particuliers, mais la Guerre, elle, est permanente... Elle est la justification ultime du pouvoir... Du pouvoir de certains sur tous ; elle est le fondement de la domination des riches et des puissants (très minoritaires) sur les pauvres (innombrables). En fait, Orwell touchait juste lorsqu'il mettait au jour certaine sentence de novlangue : « La Guerre, c'est la paix... » et j'ajouterais volontiers, et inversement.


Soit, mais peut-être est-il temps de resituer dans l’extraordinaire bouillon artistique et culturel qu'était cette Allemagne qui, un court moment (ce fut l'éphémère et incertaine République de Weimar), disposa d'espaces de liberté. Il importe aussi souligner ici le fait que Mehring ne fut pas seulement un cabarettiste et qu'il s'inscrivait résolument et depuis longtemps dans la mouvance dada (on y trouve notamment, George Grosz (Georg Groß), Helmut Herzfeld, alias John Hearthfield...) et dans ce qui portera un temps le nom de « simultanéisme » (ce qu'on entend nettement dans cette chanson chorale, où s'entremêlent les discours assez discordants... Où va le monde, Monsieur ? On ne sait trop, mais ainsi va le monde et il y va sûrement... et qu'on retrouve dans le Simultan Berlin, autre chanson de Mehring) et qui fut dans un premier temps, la transposition au cabaret en effet de ce que tentèrent les peintres cubistes. En fait, Mehring est cabarettiste car il veut aussi intégrer la matière sonore et le mouvement dans la poésie et que le cabaret (celui du Berlin de ces années) est le lieu le plus commode et le plus foisonnant pour l'art comme forme de création d'inédit et de révolution. Ainsi, avec Mehring (et les autres poètes, penseurs, artistes, écrivains, satiristes, chanteurs, musiciens, peintres, photographes, imagiers en tous genres), on est dans un univers où on ne peut séparer le fond, la forme, le temps, le son, la couleur ... Un univers très bousculé où tout s’entrechoque... Avec la descendance de Dada et l’expressionnisme, on navigue quelque part du côté de Kurt Tucholsky, Tristan Tzara, Karl Krauss, Erich Kästner, George Grosz, Alfred Döblin... Et puis d'un coup, les égouts débordent, le magma excrémentiel accumulé comme la lave d'une coulée volcanique se régurgite, le monde soudain est noyé dans un océan de bêtise et de fumier. En vérite, je vte le dis, le travail de Bartelby, Venturi sur la chanson allemande de la première moitié du siècle dernier est en train de faire revenir au monde cet univers submergé sous la bave puante de la barbarie fasciste et son clone national-socialiste. Certes d'autres l'avaient fait, mais pas dans un contexte aussi largement ouvert et diversifié que celui des Chansons contre la Guerre.


Oh, tu sais Marco Valdo M.I., j'ai bien perçu combien le texte de Mehring (comme ceux des autres de la même époque) est chargé de signification. Et son antienne terrifiante « Hop là, nous vivons - Nous vivons et nous comptons ! » me paraît convenir très bien aux temps présents... On dirait le mantra de nos élites. REGARDEZ CE QU'ILS FONT AUX GRECS ! ILS VOUS LE FERONT AUSSI... Compter, compter, c'est tout ce qu'ils savent faire... Et compter, crois-moi, moi, je déteste ça. Ça me paraît une perversion mentale qui gangrène le cerveau, le cœur et les pensées. Cela dit, reprenons notre tâche et tissons le linceul de ce vieux monde surarmé, inféodé, sur le bord du gouffre et cacochyme.


Heureusement !


Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Dans cet « Hôtel de la Terre »
C'est la crème de la société que l'on convie
Elle porte d'une main légère
La lourde charge de la vie !
Elle fut toujours bien nourrie
Jusqu'à ce qu'on notifie
En paiement d'un chèque une déclaration de guerre
Les diplomates vinrent là
Pour débattre du cas.
Ils dirent : Nous avons à nouveau besoin d'une guerre
Et de temps plus héroïques !
C'est la seule politique :
Hop là, nous vivons -
Nous vivons et nous comptons !

Bruits de sabre - extase de peuple -
Quelle danse danse-t-on demain ?
Hop là !
Gaz moutarde - phrases d'humains
Nos angoisses !
Hop là !
Notre cœur saigne
Devant la noirceur du noir d'encre.
Hop là !
Liberté - derrière des barres -
Tranchées.
Hop là ! Nous vivons !

Dans cet « Hôtel de la Terre »
Ce sont les militaires que l'on convie
Nous combattions pour leur guerre -
Pour nous, ils ont haï !
Ils ont fait des frais sanguinaires,
Ils ont donné des prothèses, comme pourboire
Aux cadavres, un charnier -
Au bout du compte comme ils devaient payer
Pour toutes les agonies du mouroir :
Alors, notre Generalfeldmarschall
Et le clergé à l'unisson -
Ont chanté des héros l'émouvant choral :
Hop là, nous vivons -
Nous vivons et nous comptons !

Les troupiers - et les rouges,
Seront demain nos adversaires.
Hop là !
Et ces quelques millions de morts -
Nos remords !
Hop là !
Notre cœur désespère
Sous les minerais de fer !
Hop là !
Liberté - derrière des barres -
Tranchées.
Hop là ! Nous vivons !

Dans cet « Hôtel de la Terre »
C'est encore la crème de la société que l'on convie
Elle porte toujours d'une main légère
La lourde charge de la vie !

Les ennemis ont eu le dessous
Donnez-y au mutilé un sou !
Nous l'avons à peine nous-mêmes !
Ministres, philosophes et poètes :
Ce sont à nouveau les mêmes têtes !
Tout est de nouveau comme avant la guerre -
Juste avant la prochaine guerre mondiale -
Fascistes tambours musique militaire -
Écoute quand même ! Miséreux !
Quand allons-nous en finir avec eux ?

Si nous démolissons tout le machin
Quelle danse danse-t-on demain ?
Hop là !
Si à la place des leurs régissent
Nos exigences.
Hop là !
Cherchez auprès de votre dieu protection
Contre l'échafaud à haute tension.
Hop là !
Dehors vos Généraux !
Nous ordonnons : Hop là ! Nous vivons !
Et nous comptons !

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