mercredi 19 février 2014

PAUVRE DIABLE

PAUVRE DIABLE



Version française – PAUVRE DIABLE – Marco Valdo M.I. – 2014
Chanson italienne – Povero diavolo – Modena City Ramblers – 2011



Pape sàtan, pape sàtan aleppe! 
Pape Satan, Pape Satan, à l'aide !




Voici, Lucien l'âne mon ami, une canzone comme nous les aimons ... Je crois bien qu'elle te plaira, comme elle m'a plu... Une chanson pour tout dire « dantesque »... Mais au sens ancien du terme, je veux dire au sens où non seulement, la canzone est tout entière construite autour de l'Enfer de Dante, mais également autour des personnages antiques que lui-même avait revivifiés dans la Divine Comédie... Un texte qui ne date pas d'hier, comme tu sais...


Ah, Dante... Je m'en souviens très bien de celui-là quand nous allions – lui à côté de moi, car je portais ses bagages et ses livres... (ses armes, il les portait lui-même) au travers des plaines, des vallons et des montagnes. Ce fut un de ces voyages extraordinaires que seul, je crois bien sans me vanter, moi, l'âne Lucien, au travers des siècles de mon existence, j'ai pu faire... Bref, ce fut un beau voyage... Mais on marchait, on marchait de l'aube au crépuscule...


Mais, mon bon ami Lucien l'âne, il devait te prendre pour son Virgile...


En effet, Marco Valdo M.I. mon ami... pour son Virgile... Et d'un certain point de vue, on vivait l'enfer, car celui-là, je parle du Dante, il n'arrêtait pas de parler, du fait que – comme le fera Flaubert avec son gueuloir – il testait à pleine voix ses vers dans mes oreilles... Les pauvres, l'épreuve était rude... Car, imagine toute la Divine Comédie y est passée et plusieurs fois... Et puis lui, le Dante Alighieri, c'était un de ces hommes qui tiennent de l'adage : cent fois sur le métier, remettez votre ouvrage. Sauf que le métier, c'était mon entendement. Bon, d'accord, la chose se justifie... Il ne pouvait quand même pas écrire en marchant et les chemins étaient souvent escarpés. Certes, je suis un âne et mes sabots sont rugueux et à toute épreuve et j'en ai quatre ; crois-moi, c'est un avantage ; ça répartit le poids et l'effort. Passons, ce fut un beau voyage et voilà tout. Cependant, tu as raison, c'était il y a déjà bien longtemps, dans les débuts du Treizième siècle à compter de zéro. Donc, tout ce que je puis espérer, c'est qu'elle tienne la route cette canzone...


Oh, tu verras, mais je pense que oui. Cependant, si toi tu connais ton Dante et tu comprends aisément les allusions diverses qui la parsèment cette chanson, ce n'est pas le cas de tous ceux qui nous lisent ou nous écoutent, c'est selon. D'ailleurs, elle commence en plein mystère, cette histoire et bien des érudits s'y sont cassé les méninges sur ce vers : « Pape sàtan, pape sàtan aleppe! », tout droit venu de l'Enfer. Il y avait pour moi une complication supplémentaire, puisqu'il me fallait le garder intégralement et en même temps lui donner une signification. J'ai donc ajouté un vers à l'ensemble – gardant la version dantesque et y adjoignant ma « traduction »... et une nouvelle signification, dont je me demande si toi, tu l'approuveras...Écoute et dis-moi :
« Pape sàtan, pape sàtan aleppe! 
Pape Satan, Pape Satan, à l'aide ! »


Oh, dit Lucien l'âne en agitant frénétiquement sa queue, à cause d'une mouche frivole... Oh, qu'est-ce que je l'ai entendu cette rengaine-là. Bien sûr, que je la reconnais cette antienne, on dirait une formule kabbalistique... C'en est peut-être une, au demeurant... En ce qui concerne la traduction ou la version que tu en donnes, pour ce que j'en sais et qui me reviens en mémoire, elle me paraît assez exacte, d'autant plus qu'il faut considérer le fait qu'elle est placée dans la bouche d'un diable... À mon sens, et Dante sans doute aurait tenu le même langage, ta version est parfaite. D'autant plus qu'elle respecte le rythme et quasiment la sonorité de l'originale... Ce qui n'est pas rien et ça met cette étrange invocation en écho. Et puis, ce petit air de litanie, n'est pas mal venu, lui non plus...


Donc, selon toi, j'ai bien fait. Me voilà déjà rassuré, car ton jugement pèse son poids d'or... Cela dit, et devançant ton habitude, qui est de me réclamer le contenu de la chanson, je te dis tout de suite que – comme le titre le suggère, c'est l’histoire d'un pauvre diable – au sens propre et littéral du terme, un pauvre serviteur de l'Enfer, un homme de Satan ou une de ces multiples figures, allez savoir. Ce pauvre diable est bien malheureux et je te donne en mille pourquoi ? C'est que vois-tu, Lucien l'âne mon ami, ce pauvre diable, un peu comme toi, a été propulsé – pour des raisons que j'ignore – dans notre siècle et il se rend compte qu'il va bien avoir du mal à accomplir sa mission de diable, car les hommes de notre temps ont bien mal évolué ; du moins, ceux qui intéressent le diable, les gens de mauvaises vie et mœurs, les arsouilles, les pendards, les fripouilles, les truands, les vauriens, les débauchés, les voyous, les chenapans, les loubards, les crapules, les gouapes, les frappes, les bandits, les canailles, les coquins, les gredins, les faquins, les marauds, les scélérats, les voleurs, les brigands, les coupe-jarrets, les escarpes, les filous, les forbans, les exacteurs, les détrousseurs, les faussaires, sans compter les honnêtes assassins... ne sont plus ce qu'ils étaient. Antérieurement, c'était sa clientèle, c'était son fonds de commerce à ce pauvre diable. Et tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes... Mais – et c'est là le sel et le sens de la chanson, mais les vivants d'aujourd'hui ne sont plus les mêmes et ces gens-là (les escrocs et les autres cités ci-dessous) ont bien évolué et le diable s'en plaint :
« Un temps je vous comptais parmi les gens immondes
Mais ces gens-là maintenant vont fièrement par le monde ».
Ses clients ne le comptent plus pour rien, ils sont devenus des hommes d'affaires et des politiciens ou tout bonnement, s'ils ont gardé leur ancienne stature, ils ont été supplantés par ces nouveaux venus. Balayés, les escarpes, les pillards, les larrons de bas étage... Et le pauvre diable est condamné à la faillite, à la misère, au chômage... L'Enfer est mis en liquidation ; on n'a plus besoin de lui... On se galvaude fièrement, à présent ! En somme, c'est le Grand Pan est mort, version infernale.


M'est avis, Marco Valdo M.I., qu'elle est bien intéressante cette chanson... et que, tout comme nous, elle tisse – à sa manière – le linceul de ce vieux monde indélicat, tartufe, ambitieux, avide et cacochyme.



Heureusement !



Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Pape sàtan, pape sàtan aleppe! 
Pape Satan, Pape Satan, à l'aide !
Un temps je vous comptais parmi les gens immondes
Mais ces gens-là maintenant vont fièrement par le monde
L'ange rebelle compte à présent pour du beurre
Les abysses infernales ont perdu toute leur valeur
Le feu éternel s'est éteint dans le marécage vert,
Là où on trouvait la pitié bien morte à cette heure
Il ne reste qu'une affiche « en vente en enfer »

Vous n'étiez pas faits pour vivre comme des brutes
Mais vous vous êtes habitués à vivre comme des brutes
Vertus et savoir vous avez négligés
Et être pécheurs n'est plus un péché
Pauvre diable Pauvre diable Pauvre diable oublié !
Pauvre diable Pauvre diable Pauvre diable désœuvré !

Caron le nocher a vendu son bac à l'encan
Son œil de braise est éteint à présent
Il se ronge ivre de fiel et de honte
À la queue du bureau de chômage
Cerbère, qui fier, terrible et cruel terrorisait
Aboie maintenant sans joie au bout d'une chaîne
Gardien de ces injustes qui un temps dévorait
Le voir dans cet état me provoque grand peine

Vous n'étiez pas faits pour vivre comme des brutes
Mais vous vous êtes habitués à vivre comme des brutes
Vertus et savoir vous avez négligés
Et être pécheurs n'est plus un péché
Pauvre diable Pauvre diable Pauvre diable oublié !
Pauvre diable Pauvre diable Pauvre diable désœuvré !

Vous n'étiez pas faits pour vivre comme des brutes
Mais vous vous êtes habitués à vivre comme des brutes
Vertus et savoir vous avez négligés
Et être pécheurs n'est plus un péché
Pauvre diable Pauvre diable Pauvre diable oublié !
Pauvre diable Pauvre diable Pauvre diable désœuvré !

Mais depuis que le monde est monde, moi, diable damné
Je cherche à vous égarer de la bonne vie
Et peut-être tout ce que maintenant, je vous ai raconté
Est mon ultime ruse, tout juste une fantaisie.

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