samedi 3 août 2013

BALLADE DU POÈTE FRANÇOIS VILLON

BALLADE DU POÈTE FRANÇOIS VILLON

Version française – BALLADE DU POÈTE FRANÇOIS VILLON – Marco Valdo M.I. – 2013
d'après la version italienne de Riccardo Venturi – 2013
d'une chanson allemande - Ballade auf den Dichter François Villon – Wolf Biermann1968

Texte et musique : Wolf Biermann



La police le cherche depuis un bon bout de temps, le sieur François Villon ; les dernières nouvelles remontaient à 1465, lorsqu'il s'était éclipsé après avoir commis une série impressionnante de délits et avoir risqué plusieurs fois de finir comme les fameux pendus à propos desquels il composa une célèbre ballade. Les nouvelles sur ce dangereux délinquant ont toujours été fragmentaires, et sans doute, il doit avoir joui d'un très considérable réseau d'appuis pour avoir réussi à s'en sortir pendant tout ce temps ; on fut cependant proche de la capture cinq cents ans après, en 1968, quand le fugitif s'était évidemment caché en Allemagne, et plus précisément à Berlin, dans un appartement de la Chausseestraße au numéro 131. Un refuge de fortune, accueilli par une espèce de collègue, le dénommé Wolf Biermann, confiné là par les Autorités d'État de la disparue République Démocratique Allemande pour avoir formulé à la susdite des critiques un peu trop poussées dans ses chansons et ses écrits. Et pensez que ce Wolf Biermann, de famille communiste et lui-même d'une telle croyance, tout en étant originaire de l'Allemagne fédérale, avait choisi volontairement de se transférer dans l'Orientale ; en somme, pour résumer, le voici là dans son appartement, à écrire des chansons rassemblées dans un album intitulé comme l'adresse de maison (une pratique qui sera répétée, des années après, seulement d'un auteur-compositeur de Modène qui habitait via Paolo Fabbri 43, à Bologne - Francesco Guccini ), à les enregistrer comme il pouvait, et à héberger dans son placard son « frère aîné » en fuite depuis des siècles, le poète François Villon, qu'il appelle amicalement « Franz ».

Il lui fallut le cacher dans le placard, naturellement, car il est recherché. Certes, le loup a perdu son poil mais pas ses vices : alcool et femmes, et à n'en pas douter, dans tous ces siècles, il a même découvert le tabac. Ainsi, en 1968, François Villon s'était établi à Berlin et il y serait resté encore pendant longtemps, jurant et faisant certaines choses avec la grosse Margot en comptant sur la discrétion de son hôte, si ne s'était pas mise en travers la Marie, qui évidemment devait être l'amante, ou tout comme, de son hôte ; elle arrivait le soir, avec d'évidentes intentions d'accomplir d'héroïques gestes d'amour avec le sieur Biermann, et donc le poète François Villon, qui n'avait aucune intention de faire le voyeur du placard, devait déloger. Il s'en allait faire ses promenades sur un mur étrange et très long , alors construit depuis peu d'années, dont le poète ne devait pas comprendre à quoi il servait ; il était plein de guérites, de miradors, d'emplacements de garde avec des hommes armés, de barbelés. Et les gardes ne rigolaient pas, pensant peut-être qu'il était quelqu'un qui voulait s'enfuir : en somme, ils lui tiraient dessus. Inutile ; en étant plus ou moins immortel, François Villon se laissait tranquillement transpercer par les balles, en versant de discrètes quantités de vin rouge. Ensuite, il se mettait à jouer de la harpe sur les barbelés, en tirant des Vopos tout le sens de l'harmonie qu'ils avaient (en somme, nous sommes aussi toujours dans le pays de Bach et de Beethoven). À l'aube, lorsque la dame Marie avait réduit le sieur Biermann à l'état de lavette et se préparait à aller au travail, le poète François Villon rentrait à maison et il se remettait tranquille dans le placard.

Il y aura peut-être eu une dénonciation, et puis la STASI que faisait-elle ? Une nuit, le sieur Biermann entend frapper à sa porte ; et quelqu'un qui frappe à cette heure n'est probablement pas venu, car il passait par là et voulait tailler une bavette en buvant un petit café. En somme, la Police sait tout. Et le sieur Biermann panique, totalement. Mettez-vous du reste à sa place : confiné chez lui, défense absolue de publier ses chansons, enregistrées clandestinement. Qu'auriez-vous fait à sa place ? Ni une, ni deux, il dénonce immédiatement à la Police son « frère aîné », comme il l'appelle dans la chanson. Mors tua, vita mea ; et, du reste, de vie d'oiseau sauvage, il en a déjà eu assez : cinq siècles peuvent suffire pour éviter que les cinq prochains siècles en prison, pour ne pas dire pire, les y passe le sieur Biermann. Pour cet ivrogne délinquant et dégoûtant ! Et dans le placard, vraiment là, vous pouvez le prendre ce maudit provocateur qui dérange les Gardes du Peuple, et emmenez-le. Seulement le poète François Villon s'est encore une fois enfui , à sa manière. Il s'est dissous en vomis, en entendant toute cette belle petite scène. Il aura pensé, peut-être, qu'il aurait mieux fait de se cacher dans la maison de Georges Brassens. [RV]





1.

François Villon, mon frère aîné
Habite la même chambre que moi
Quand des gens viennent fouiner chez moi
Villon va toujours se cacher
Alors il se planque dans le placard
Avec une bouteille de Pommard
Et attend que l'air redevienne pur
Mais l'air n'est jamais tout-à-fait pur

Le poète pue la mort en fleur
Il devait ainsi fleurer
Avant même, le jour et l'heure
Où comme un chien, ils l'ont enterré
Quand un ami est là, par bonheur
Et trois belles filles
Alors, il sort de sa penderie
Et trinque jusqu'aux premières lueurs.


Et chante parfois une chanson
Des ballades et des histoires
S'il oublie son texte, je lui souffle
Du Brecht, des poésies et des chansons

2.

François Villon, mon frère aîné
Fut souvent arrêté
L'église et la police
Voulaient le pendre
Et lui contait, riait et pleurait
Alors, arrivait Margot la grosse
Qui chaque fois faisait jurer
Le vieux vieil homme

J'aimerais bien savoir ce qu'elle lui faisait
Je ne veux pas insister, mais
C'est loin déjà aussi
Avec ses prières et
Ses supplications
Villon s'est souvent sorti
Des dettes et des prisons.
Il s'en est bien tiré, lui.




Il échappa en suppliant
Souvent au nœud coulant
Il ne voulait pas que son cul
Lui fasse un cou trop distendu

3

Il sentait la vanité des puissants
À des lieues et il dut
Immortaliser certains culs
Qu'il honora. Cependant,
François Villon fut insolent.
Mon grand colocataire
Avala l'air frais et le vin rouge, ressuscita
Et avec impudeur et beauté chanta
Comme l'oiseau libre dans les airs
À propos d'amour et de coups fumants
Assis là, il baragouine maintenant
Le schnaps d'Adlerhof bientôt
Lui tape au ciboulot
Il lit le Neues Deutschland péniblement
(Il lit mal l'allemand)

Savoir, on lui a enseigné enfant
Le latin de haute école
Savoir, comme homme cependant
Il a surtout vécu avec le peuple.

4

La Marie me rend parfois visite le soir
Alors Villon sort un moment dans le noir
Se promener sur le Mur et là
Met les sentinelles en émoi
Les balles le traversent
Mais des trous de Villon
Ne coule pas le sang vermillon
Seul du vin rouge en perce

Puis, par blague, il joue du barbelé
Comme d'une grande harpe
Les gardes frontières tirent en rythme
Variable selon les nécessités
Dès que tôt, Marie me quitte
Tout est bu quasiment
Et Marie se lève tout doucement
Pour aller travailler en ville.

Alors, Villon rentre et tousse avec aplomb
Trois livres de plomb
Et jure et crache et est toujours plein de
Compréhension pour nous deux.

5

Naturellement, la chose est venue au jour
On ne peut rien cacher
Dans notre pays, l'ordre règne toujours
Comme chez les Sept nains.
Frappent à ma porte
Au petit matin, vers trois heures
Trois messieurs de notre grande armée
De la Police Populaire.

Monsieur Biermann, disent-ils, voilà
Vous nous êtes bien connu comme fidèle
Enfant de la RDA
La Patrie nous appelle
Debout sans rappel !
Depuis un an environ,
N’habiterait donc pas chez vous
Un certain Franz Fillon
Aux cheveux roux ?

Nuit après nuit, un contestataire
De manière provocante
Fait peur aux gardes frontières...
Je réponds à voix basse

6

Certes, il m'a d'ailleurs harcelé
Avec ses chansons d'insolence
Pourtant, je vous dis en confidence :
Ce gredin me fait gerber !
Si je n'avais pas ces jours derniers
Lu l'écrit de Kurella
Sur les chauves-souris et Kafka
Je serais encore paumé.

Il est assis dans le placard, ce chien
Une chance que vous veniez le chercher enfin
Il me soûlait avec ses gamineries
J'en avais marre de ses conneries
Je suis un paroissien respectueux
Je suis un petit agneau de Dieu
Un citoyen tranquille ; il y a seulement
des fleurs dans les chansons que je chantonne doucement.

Ces messieurs de la police
Forcèrent alors le placard
Ils n'y trouvèrent que des vomissures
Coulant dans le noir.

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