BALLADE
DU POÈTE FRANÇOIS VILLON
Version
française – BALLADE DU POÈTE FRANÇOIS VILLON – Marco Valdo
M.I. – 2013
d'après
la version italienne de Riccardo Venturi – 2013
Texte et musique : Wolf Biermann
La
police le cherche depuis un bon bout de temps, le sieur François
Villon ; les dernières nouvelles remontaient à 1465, lorsqu'il
s'était éclipsé après avoir commis une série impressionnante de
délits et avoir risqué plusieurs fois de finir comme les fameux
pendus à propos desquels il composa une célèbre ballade. Les
nouvelles sur ce dangereux délinquant ont toujours été
fragmentaires, et sans doute, il doit avoir joui d'un très
considérable réseau d'appuis pour avoir réussi à s'en sortir
pendant tout ce temps ; on fut cependant proche de la capture cinq
cents ans après, en 1968, quand le fugitif s'était évidemment
caché en Allemagne, et plus précisément à Berlin, dans un
appartement de la Chausseestraße au numéro 131. Un refuge de
fortune, accueilli par une espèce de collègue, le dénommé Wolf
Biermann, confiné là par les Autorités d'État de la disparue
République Démocratique Allemande pour avoir formulé à la susdite
des critiques un peu trop poussées dans ses chansons et ses écrits.
Et pensez que ce Wolf Biermann, de famille communiste et lui-même
d'une telle croyance, tout en étant originaire de l'Allemagne
fédérale, avait choisi volontairement de se transférer dans
l'Orientale ; en somme, pour résumer, le voici là dans son
appartement, à écrire des chansons rassemblées dans un album
intitulé comme l'adresse de maison (une pratique qui sera répétée,
des années après, seulement d'un auteur-compositeur de Modène qui
habitait via Paolo Fabbri 43, à Bologne - Francesco Guccini ), à
les enregistrer comme il pouvait, et à héberger dans son placard
son « frère aîné » en fuite depuis des siècles,
le poète François Villon, qu'il appelle amicalement « Franz ».
Il
lui fallut le cacher dans le placard, naturellement, car il est
recherché. Certes, le loup a perdu son poil mais pas ses vices :
alcool et femmes, et à n'en pas douter, dans tous ces siècles, il a
même découvert le tabac. Ainsi, en 1968, François Villon s'était
établi à Berlin et il y serait resté encore pendant longtemps,
jurant et faisant certaines choses avec la grosse Margot en comptant
sur la discrétion de son hôte, si ne s'était pas mise en travers
la Marie, qui évidemment devait être l'amante, ou tout comme, de
son hôte ; elle arrivait le soir, avec d'évidentes intentions
d'accomplir d'héroïques gestes d'amour avec le sieur Biermann, et
donc le poète François Villon, qui n'avait aucune intention de
faire le voyeur du placard, devait déloger. Il s'en allait faire ses
promenades sur un mur étrange et très long , alors construit depuis
peu d'années, dont le poète ne devait pas comprendre à quoi il
servait ; il était plein de guérites, de miradors, d'emplacements
de garde avec des hommes armés, de barbelés. Et les gardes ne
rigolaient pas, pensant peut-être qu'il était quelqu'un qui voulait
s'enfuir : en somme, ils lui tiraient dessus. Inutile ; en étant
plus ou moins immortel, François Villon se laissait tranquillement
transpercer par les balles, en versant de discrètes quantités de
vin rouge. Ensuite, il se mettait à jouer de la harpe sur les
barbelés, en tirant des Vopos tout le sens de l'harmonie qu'ils
avaient (en somme, nous sommes aussi toujours dans le pays de Bach et
de Beethoven). À l'aube, lorsque la dame Marie avait réduit le
sieur Biermann à l'état de lavette et se préparait à aller au
travail, le poète François Villon rentrait à maison et il se
remettait tranquille dans le placard.
Il
y aura peut-être eu une dénonciation, et puis la STASI que
faisait-elle ? Une nuit, le sieur Biermann entend frapper à sa porte
; et quelqu'un qui frappe à cette heure n'est probablement pas venu,
car il passait par là et voulait tailler une bavette en buvant un
petit café. En somme, la Police sait tout. Et le sieur Biermann
panique, totalement. Mettez-vous du reste à sa place : confiné chez
lui, défense absolue de publier ses chansons, enregistrées
clandestinement. Qu'auriez-vous fait à sa place ? Ni une, ni deux,
il dénonce immédiatement à la Police son « frère aîné »,
comme il l'appelle dans la chanson. Mors tua, vita mea ; et, du
reste, de vie d'oiseau sauvage, il en a déjà eu assez : cinq
siècles peuvent suffire pour éviter que les cinq prochains siècles
en prison, pour ne pas dire pire, les y passe le sieur Biermann. Pour
cet ivrogne délinquant et dégoûtant ! Et dans le placard, vraiment
là, vous pouvez le prendre ce maudit provocateur qui dérange les
Gardes du Peuple, et emmenez-le. Seulement le poète François Villon
s'est encore une fois enfui , à sa manière. Il s'est dissous en
vomis, en entendant toute cette belle petite scène. Il aura pensé,
peut-être, qu'il aurait mieux fait de se cacher dans la maison de
Georges Brassens. [RV]
1.
François
Villon, mon frère aîné
Habite
la même chambre que moi
Quand
des gens viennent fouiner chez moi
Villon
va toujours se cacher
Alors
il se planque dans le placard
Avec
une bouteille de Pommard
Et
attend que l'air redevienne pur
Le
poète pue la mort en fleur
Il
devait ainsi fleurer
Avant
même, le jour et l'heure
Où
comme un chien, ils l'ont enterré
Quand
un ami est là, par bonheur
Et
trois belles filles
Alors,
il sort de sa penderie
Et
trinque jusqu'aux premières lueurs.
Et
chante parfois une chanson
Des
ballades et des histoires
S'il
oublie son texte, je lui souffle
Du
Brecht, des poésies et des chansons
2.
François
Villon, mon frère aîné
Fut
souvent arrêté
Alors,
arrivait Margot la grosse
Qui
chaque fois faisait jurer
Le
vieux vieil homme
J'aimerais
bien savoir ce qu'elle lui faisait
Je
ne veux pas insister, mais
C'est
loin déjà aussi
Avec
ses prières et
Ses
supplications
Villon
s'est souvent sorti
Des
dettes et des prisons.
Il
s'en est bien tiré, lui.
Il
échappa en suppliant
Souvent
au nœud coulant
Il
ne voulait pas que son cul
Lui
fasse un cou trop distendu
3
Il
sentait la vanité des puissants
À
des lieues et il dut
Immortaliser
certains culs
Qu'il
honora. Cependant,
François
Villon fut insolent.
Mon
grand colocataire
Avala
l'air frais et le vin rouge, ressuscita
Et
avec impudeur et beauté chanta
Comme
l'oiseau libre dans les airs
À
propos d'amour et de coups fumants
Assis
là, il baragouine maintenant
Le
schnaps d'Adlerhof bientôt
Lui
tape au ciboulot
Il
lit le Neues Deutschland péniblement
(Il
lit mal l'allemand)
Le
latin de haute école
Savoir,
comme homme cependant
Il
a surtout vécu avec le peuple.
4
La
Marie me rend parfois visite le soir
Alors
Villon sort un moment dans le noir
Se
promener sur le Mur et là
Met
les sentinelles en émoi
Les
balles le traversent
Mais
des trous de Villon
Ne
coule pas le sang vermillon
Seul
du vin rouge en perce
Comme
d'une grande harpe
Les
gardes frontières tirent en rythme
Variable
selon les nécessités
Dès
que tôt, Marie me quitte
Tout
est bu quasiment
Et
Marie se lève tout doucement
Pour
aller travailler en ville.
Et
jure et crache et est toujours plein de
Compréhension
pour nous deux.
5
On
ne peut rien cacher
Dans
notre pays, l'ordre règne toujours
Comme
chez les Sept nains.
Frappent
à ma porte
Au
petit matin, vers trois heures
Trois
messieurs de notre grande armée
De
la Police Populaire.
Monsieur
Biermann, disent-ils, voilà
Vous
nous êtes bien connu comme fidèle
Enfant
de la RDA
La
Patrie nous appelle
Debout
sans rappel !
Depuis
un an environ,
N’habiterait
donc pas chez vous
Un
certain Franz Fillon
Aux
cheveux roux ?
Nuit
après nuit, un contestataire
De
manière provocante
Fait
peur aux gardes frontières...
Je
réponds à voix basse
6
Certes,
il m'a d'ailleurs harcelé
Avec
ses chansons d'insolence
Pourtant,
je vous dis en confidence :
Ce
gredin me fait gerber !
Si
je n'avais pas ces jours derniers
Lu
l'écrit de Kurella
Sur
les chauves-souris et Kafka
Je
serais encore paumé.
Une
chance que vous veniez le chercher enfin
Il
me soûlait avec ses gamineries
J'en
avais marre de ses conneries
Je
suis un paroissien respectueux
Je
suis un petit agneau de Dieu
Un
citoyen tranquille ; il y a seulement
des
fleurs dans les chansons que je chantonne doucement.
Ces
messieurs de la police
Forcèrent
alors le placard
Ils
n'y trouvèrent que des vomissures
Coulant
dans le noir.
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