jeudi 11 juillet 2013

UN JUGE


UN JUGE


Version française – UN JUGE – Marco Valdo M.I. – 2010
Chanson italienne – Un Giudice - Fabrizio De André – 1976



Riccardo a bien fait d'insérer cette chanson de De André ; d'autant que je l'avais traduite en 2010 et que j'avais tout simplement omis de la transférer aux CCG... Voici donc la version 2010 ne varietur, sans changement, telle quelle, telle qu'en elle-même...




À un moment donné, les auteurs de chansons, les poètes eux-mêmes, du moins certains d'entre eux à l'esprit un peu systématique en viennent à vouloir passer à un travail plus ample, à une création multiple et à développer – tels des musiciens – un thème en plusieurs œuvres qu'il relie. Ce fut le cas d'Edgar Lee Masters avec son « anthologie », ce qui exprime clairement le but, l'objectif du poète. Je m’explique : anthologie est un mot d'origine grecque dont le sens est des plus éclairants, puisqu'il dit tout simplement : anthos - fleur et legein – lier, rassembler... en franco-latin : florilège. Somme toute, un bouquet, un bouquet de poésies, que peut-il y avoir de mieux ? Il rassembla tout le village sous la colline; cela donna l'anthologie de Spoon River.




Moi, dit Lucien l'âne en grattant son sabot sur un caillou plus rugueux, moi, dit Lucien l'âne, je la connais cette colline comme bien d'autres semblables. C'est un lieu où les humains ont pris l'habitude de poursuivre leur vie éternelle.




Donc, vois-bien la chose Lucien l'âne mon ami, Fabrizio De André qui passait par là – du côté de Spoon River, y a trouvé matière à chansons, à un florilège... Il fit donc une série de chansons à partir des poèmes d'Edgar Lee Masters et traça ainsi à son tour une sorte d'anthologie. Ce qui est en jeu, c'est précisément ce souhait, cette volonté, cette œuvre liée. Alors que L'Odyssée ou la Chanson de Roland sont des chansons et elles ont de l'ampleur, la chanson, vois-tu Lucien l'âne mon ami, a vu ses particularités progressivement et fortement perturbées par l'évolution désastreuse de la radio, du disque... et bien évidemment, du commerce qui s'ensuivit ou qui en fut le moteur. Pauvre chanson : on l'a raccourcie, on l'a fait naine. On l'a en quelque sorte châtrée. En fait, la chanson et avec elle la poésie ont subi le même destin que la peinture quand au cours des ans et des siècles, cette belle représentation en pleine lumière, largement établie sur les murs... fut réduite, mise en prison dans le cadre de plus en plus restreint de l'habitat privé, fermé. C'est tout le phénomène de la « privatisation »... Détestable manie ! On a ainsi atrophié, puis étouffé carrément la peinture, on lui a enlevé ses couleurs, ses formes tumultueuses, ses grandes respirations, pour finir par la mécaniser, par l'automatiser, au travers de l'appareillage photographique. Depuis, la photo s'est libérée, la créature a échappé à son destin réducteur... La liberté, le besoin d'espace finit toujours par trouver sa voie.




Si je te suis bien, dit Lucien l'âne en souriant, tu vas ainsi doucement vers une conception de la chanson multiple, de la chanson comme une œuvre intégrant un monde complexe, de la chanson élément d'une plus grande chanson, englobant plusieurs, voire un grand nombre de chansons qui entretiendraient entre elles des liens de parenté, de familiarité de sorte à reconstituer un monde entre elles. À retrouver le temps de raconter, le temps du conteur qui prend ses aises, qui prend les aises de la vie... Passant, sembles-tu me dire, arrête-toi, prends le temps de t'arrêter, laisse courir le temps, tu le rattraperas toujours assez tôt et écoute ma chanson.




Oui, c'est exactement ça. Le temps du conte ne peut être compté; que ce soit le temps du conteur ou le temps du vent.... C'est un temps entre parenthèses... mais, sais-tu Lucien l'âne mon ami, ce que signifie cette parenthèse, ces parenthèses auxquelles je te convie, à la manière de Sterne... Ces parenthèses sont des excursions en dehors de la route droite, de la route efficace et rectiligne, de cet autoroute qui conduit si vite à la mort. Prendre le temps du conte, c'est en fin de conte, suivre sa ligne de vie, laquelle par essence, est sinueuse et imprévisible.




Je vois bien ce que tu me dis. Prendre le temps du conte, c'est échapper à la logique de la rentabilité, c'est sortir du carcan de l'argent et de la misère mentale imposée par les riches dans la guerre de Cent Mille Ans. Car, vois-tu Marco Valdo M.I. mon ami, je crois bien que les riches ne supportent pas l'idée qu'on puisse vivre la pauvreté comme l'état idéal pour une plénitude du monde. Dès lors, étendre la chanson, prendre le temps du conte, c'est comme tisser le linceul de ce vieux monde pressé, stressé, ennuyeux et cacochyme. C'est à mon sens aussi, le sens profond des Canzoni Contro la Guerra (de Cent Mille Ans que le riches mènent contre les pauvres afin de les dominer, de les réduite en esclavage, de leur prendre leur temps....)




Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane.






J'ajouterai juste ceci, dit Lucien l'âne... Tu commentes ainsi Fabrizio De André et Edgar Lee Masters... Tu traces une nouvelle naissance à la chanson (et sans doute n'es-tu pas le seul...) et tu appliques toi-même cette exigence dans tes séries de chansons : Dachau express (24 chansons tirées de l'histoire de Joseph Porcu), Le Cahier Ligné (104 chansons tirées de Carlo Lévi) et les Histoires d'Allemagne (100 chansons tirées de Günter Grass).








Ce que veut dire avoir
Un mètre cinquante de taille
Ce sont les yeux qui vous le révèlent
Et les réflexions des gens
Ou la curiosité
D'une fille irrévérencieuse
Qui s'approche seulement
En raison d'un doute impertinent
Elle veut découvrir si c'est vrai
Ce qu'on dit des nains
Qu'ils sont fourni de la vertu
La moins apparente
Entre toutes les vertus
La plus indécente.


Passent les ans, passent les mois,
Et si on compte aussi les minutes,
Il est triste de se retrouver adultes
sans avoir grandi;
La médisance insiste
Elle bat sa langue sur un tambour,
jusqu'à dire qu'un nain
Est une charogne pour sûr
Car il a le cœur trop
Trop proche du trou de son cul.


Et alors, ma taille
Ne dispensa plus la bonne humeur
À celui qui debout à la barre
Me disait : « Votre Honneur »,
Et de le confier au bourreau
Fut pour moi un vrai plaisir
Avant de m'agenouiller
À l'heure de l’adieu
En ne connaissant pas du tout
La taille de Dieu.




Judge Selah Lively

Edgar Lee Masters (1868–1950).  Spoon River Anthology.  1916.



Suppose you stood just five feet two,
And had worked your way as a grocery clerk,
Studying law by candle light
Until you became an attorney at law?
And then suppose through your diligence,
And regular church attendance,
You became attorney for Thomas Rhodes,
Collecting notes and mortgages,
And representing all the widows
In the Probate Court? And through it all
They jeered at your size, and laughed at your clothes
And your polished boots? And then suppose
You became the County Judge?
And Jefferson Howard and Kinsey Keene,
And Harmon Whitney, and all the giants
Who had sneered at you, were forced to stand
Before the bar and say “Your Honor”—
Well, don’t you think it was natural
That I made it hard for them?



LE JUGE SELAH LIVELY

Version française – LE JUGE SELAH LIVELY – Marco Valdo M.I. – 2010
Poème – « Judge Selah Lively »
de Edgar Lee Masters
tiré de l'Anthologie de Spoon River



Supposez que vous ayez tout juste cinq pieds deux pouces
Et que vous ayez commencé comme employé à l'épicerie
Étudiant le droit à la chandelle
Jusqu'à devenir un juge.
Et supposez que par votre vigilance
Et votre assidue présence à l'église
Vous deveniez juge au Tribunal Collectionnant les documents et les hypothèques
Et représentant toutes les veuves
Face à la Cour des Successions et des Tutelles.
Et que malgré tout
Ils se moquent de votre taille
Et rient de vos habits de vos chaussures vernies
Et alors supposez
Que vous deveniez Juge du Comté
Et que Jefferson Howard et Kinsey Keene,
Et Harmon Whitney, et tous les géants
Qui ont ricané de vous, soient forcés de se tenir
evant vous au bar et dire : « Votre Honneur »...
Eh bien, ne pensez-vous pas qu'il
soit naturel
Que je le leur fasse durement sentir ?



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire