vendredi 2 août 2019

SINBAD LE MARIN


SINBAD LE MARIN


Version française – SINBAD LE MARIN – Marco Valdo M.I. – 2019
d’après la traduction italienne – SINDBAD IL MARINAIO – Gian Piero Testa – 29-07-2014
Texte : Lefteris Papadopoulos – Λευτέρης Παπαδόπουλος
Musique : Manos LoizosΜάνος Λοΐζος
Interprétation : Manos LoizosΜάνος Λοΐζος


ConstantinImperator Caesar Flauius Valerius Aurelius Constantinus Pius Felix Inuictus Augustus, Germanicus Maximus, Sarmaticus Maximus, Gothicus Maximus, Medicus Maximus, Britannicus Maximus, Arabicus Maximus, Adiabenicus Maximus, Persicus Maximus, Armeniacus Maximus, Carpicus Maximus



Dialogue Maïeutique

Regarde, Lucien l’âne mon ami, Riccardo propose une traduction française de cette chanson de Sinbad le Marin juste au moment où je terminais ma version française de cette même chanson.

Et lors ?, demande Lucien l’âne.

Alors ? Rien. Je m’en vais, répond Marco Valdo M.I., proposer la mienne, que j’ai faite en manière de clin d’œil à Gian Piero Testa par-dessus l’orbe de la Sphère-Monde et ainsi, il y en aura deux pour une comme aurait conclu Erich Kästner,
(https://fr.wikipedia.org/wiki/Deux_pour_une), du moins en français ; en allemand, le titre original est « Das doppelte Lottchen », une jolie histoire de jumelles séparées par le divorce de leurs parents et qui in fine, les réconcilient. Comme tu le comprends, cette histoire derrière l’anecdote est plus significative que ce qu’on en a fait : il suffit de se souvenir qu’en 1949, il y avait deux Allemagne, dont la jeunesse était séparée par les conflits de la génération antérieure.

Ah, Marco Valdo M.I. mon ami, toi et ton penchant à la digression. Je t’en prie, revenons à Sinbad et sa chanson, car je n’en sais toujours rien. Par ailleurs, je suis persuadé que Riccardo a tout comme toi pensé à Gian Piero testa, qu’il connaissait personnellement. Mais tant qu’on y est, ne dirais-tu pas quelques mots de la chanson ?

Donc, on a deux versions françaises et comme tu peux le voir, Lucien l’âne mon ami, elles sont sensiblement différentes – et c’est un bien, même si elles viennent toutes les deux de la même source : la traduction en italien de la chanson grecque de Lefteris Papadopoulos, grand parolier grec et la chose à son importance, comme on va le voir, fils d’un réfugié grec qui avait été chassé de la Grèce d’Asie par les Turcs.
Ainsi, la chanson s’intitule Sinbad le Marin logiquement, du fait qu’il n’y est nullement question de Sinbad – comme l’aurait soutenu Raymond Queneau qui disait que le titre du roman de Boris Vian « L’Automne à Pékin » était parfait puisque le roman ne parle ni de l’automne, ni de Pékin.

Comment ça ?, dit Lucien l’âne, un peu ahuri.

Certes, reprend Marco Valdo M.I., Sinbad a raconté ses aventures maritimes extraordinaires, mais enfin, il n’était pas Grec et en outre, il vivait en un temps où les Vénitiens étaient encore des pêcheurs dans la lagune et n’avaient pas encore d'empire maritime ; la Sérénissime viendra quelques siècles plus tard. Il en va de même pour les Sarrasins. En plus, je rappelle que les histoires marines de Sinbad se déroulent dans l’Océan indien et les alentours – comme celles de Sandokan. Pas en Méditerranée ; et puis, Sinbad est un Perse de Bassorah ; aujourd’hui, cette ville est passée à l’Irak. Comme on peut le voir, la chanson chante une tout autre histoire.

Sans doute, dit Lucien l’âne, mais ne pourrais-tu préciser ?

En fait, vois-tu Lucien l’âne mon ami, cette songerie de Sinbad raconte l’histoire séculaire des Grecs et de leur délivrance par apport à deux dominations : la vénitienne et la turque. Quant au Saint Constantin, il n’est pas évoqué par hasard, car il s’agit de l’empereur ConstantinImperator Caesar Flauius Valerius Aurelius Constantinus Pius Felix Inuictus Augustus, Germanicus Maximus, Sarmaticus Maximus, Gothicus Maximus, Medicus Maximus, Britannicus Maximus, Arabicus Maximus, Adiabenicus Maximus, Persicus Maximus, Armeniacus Maximus, Carpicus Maximus, fondateur de Constantinople, capitale de l’Empire « orthodoxe » et « grec » – anciennement, Byzance, devenue l’actuelle Istanboul, la plus grande métropole de l’actuelle Turquie et sa véritable capitale économique et culturelle. Comme on le sait, la Grèce actuelle – comme tous les Balkans – a réussi à se libérer de l’occupation et de la domination turques (ottomanes), mais au prix de terribles amputations.

Bof, dit Lucien l’âne, les siècles n’ont pas fini de s’écouler ; les empires naissent, grandissent, s’étiolent et meurent. Ainsi va le monde mal mené dans cette Guerre de Cent Mille Ans, dont nul ne sait le début, ni la fin. Alors, tissons le linceul de ce vieux monde, où pourtant nous vivons et que quand même, pour le temps qu’on y passe, nous aimons, un vieux pauvre monde malmené, déchiré, exploité, absurde et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Par le tuyau d’ivoire de ma pipe,
Les galères lentement nagent,
Et les équipages vont à l’abordage,
Et les pirates traquent le vin,
Dans le troquet d’un port lointain.


Mer mer amère,
Pourquoi devrais-je t’aimer ?


Sarrasins et Vénitiens, en tas,
Capturent et lient au mat
Le capitaine Yannis en personne, moi,
Le rebelle, le valeureux, le fier,
Le puissant homme des mers.


Mer mer amère,
Pourquoi devrais-je t’aimer ?


Et là, dans l’incendie du massacre,
Je mords les cordes, je les détache.
Et par Saint Constantin,
Je les jette tous dans la fournaise,
Les mains liées sur les reins.


Mer mer amère,
Comment ne pas t’aimer ?


jeudi 1 août 2019

Le Cahier vert



Le Cahier vert


Lettre de prison 39
19 juillet 1935


J’écris trois pages par jour.
J’y mets tout l’art,
J’y insère tout le savoir
Et La Loge de Renoir.



Dialogue Maïeutique

Le Cahier vert ?, s’étonne Lucien l’âne. Je me demande ce qu’il peut contenir.

Sans aucun doute, il peut contenir tout, absolument tout, tout un univers ou alors, répond Marco Valdo M.I., rien, au départ sûrement, rien du tout. En fait, je ne sais pas et je ne sais même pas si ce carnet vert a été conservé. Cependant, on peut être sûr qu’il a existé et ce que je peux en dire, c’est que c’est la première fois qu’il est mentionné.

Pour moi, dit Lucien l’âne, un carnet vert, bleu, rouge, jaune ou de n’importe quelle couleur, peu importe, mais un tel carnet s’impose. On devrait en remettre un à chaque prisonnier qui le demande, surtout à ceux qui sont mis en isolement. Un carnet et un miroir, ça briserait le cercle de la solitude. En quelque sorte, ce serait plus humain, comme vous dites.

Ce serait certainement une bonne idée, dit Marco Valdo M.I., il aiderait le prisonnier à se réfléchir et à regarder passer le temps. Pourtant, il ne sert pas à grand-chose d’épiloguer sur ce carnet mystérieux. Peut-être un jour le retrouvera-t-on et peut-être, comme pour ces lettres, quelqu’un pensera à le publier ; mais d’ici-là, on ne peut que patienter.

Pour ce qui est de ce cahier vert, dit Lucien l’âne, je ne vois pas d’autre solution. Mais pour ce qui est de la lettre, ça, tu peux en parler.

Oui, en effet, répond Marco Valdo M.I. ; d’abord, elle annonce le prochain départ de Carlo Levi pour son lieu de confinement ; mais comme celui ne lui a pas encore été révélé, le prisonnier s’interroge :

« À la mer, à la montagne ?
Dans les collines ? Dans la campagne ?
Vraiment, je n’en sais rien.
Je le saurai demain. »

Ensuite, autre nouveauté qui montre que la situation a changé : la promenade, qu’il devait ordinairement effectuer seul, soudain se peuple. L’isolement se desserre. Deux autres relégats sont autorisés à l’accompagner. Comme dit le prisonnier : « C’est toujours ça ».

Oh, dit Lucien l’âne, c’est bizarre ces deux compagnons soudains. La question qu’on doit se poser à leur propos est de savoir lequel des deux (au moins) est un mouton, un espion ?

Certes, Lucien l’âne mon ami, ta prudence est légitime et tu peux facilement imaginer celle de Carlo Levi, qui depuis des années est dans la clandestinité, qui vit dans un pays où sévissent la dénonciation et la délation et qui sait très bien où il se trouve et pourquoi il s’y trouve, ce qu’il peut dire ou ne pas dire à des inconnus, c’est bien lui. Il sait aussi combien il faut se méfier de ces moments de relâchement.

Oh oui, dit Lucien l’âne. Comme on dit chez nous, ce n’est pas au vieux singe qu’on apprend à faire la grimace ; et puis, s’il raconte ça, c’est aussi pour informer de cette pratique ceux de ses amis qui lui succéderont entre les mains de la police fasciste. Finalement, que dit-il d’autre dans cette lettre ?

En fait, Lucien l’âne mon ami, tu fais bien de poser cette question, car la fin de cet envoi n’est pas négligeable du tout. Les deux derniers quintains annoncent l’écrivain et ce petit cahier vert est le premier volume de son œuvre ; une œuvre qu’il créera durant les quarante années qui vont suivre, mais c’est là, toute une autre histoire, même si en effet :

« Un livre infini, circulaire
Qui englobe toutes les choses,
Une vision unique, unitaire,
Comblant le désordre élémentaire
En une sphère totalement close. »

est une description assez précise et prémonitoire de son dernier livre, intitulé curieusement « Quaderno a cancelli » – en français : « Cahier à grilles ou cahier à barreaux ». Je le connais assez bien ce livre infini, dont j’ai tiré les trois volumes de Chansons lévianes : « Le Guerrier afghan », « Le Grand Rat » et « L’Homme en Pain d’Épice ».

Quand même, conclut Lucien l’âne, ce Cahier à Grilles paraît sous un autre jour quand on a lu ces lettres. Pour le reste, attendons la suite et tissons le linceul de ce vieux monde rusé, toxique, létal et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Quand vous recevrez ce courrier,
J’aurai déjà quitté
Rome et ses quartiers,
Sans les avoir vus,
Pour un paysage inconnu.

Où ce sera ? Près, loin ?
À la mer, à la montagne ?
Dans les collines ? Dans la campagne ?
Vraiment, je n’en sais rien.
Je le saurai demain.

À la promenade, on est trois.
Moi et deux garçons
En attente de relégation.
On fait la conversation,
C’est toujours ça.

J’ai mon cahier vert
Et je vais écrivant,
Mais lentement.
L’inertie est un ver
Qui vous ronge en dedans.

J’écris trois pages par jour.
J’y mets tout l’art,
J’y insère tout le savoir
Et La Loge de Renoir.
Pour le finir, il faudra beaucoup de jours.

Un livre infini, circulaire
Qui englobe toutes les choses,
Une vision unique, unitaire,
Comblant le désordre élémentaire
En une sphère totalement close.

mercredi 31 juillet 2019

LA CAPITAINE



LA CAPITAINE


Version française – LA CAPITAINE – Marco Valdo M.I. – 2019
Chanson italienne – CapitanaFrancesco Camattini – 2019



« Capitana », chanson dédiée à la Capitaine Carola Rackete – texte et musique : Francesco Camattini








Je voudrais juste signaler à l’attention la chanson que Marco Valdo M.I. avait faite – à la fin du mois de juin – en hommage à la Capitaine Carola Rackete ; cette chanson de langue française s’intitule : Le Petit Navire, la Capitaine et les Réfugiés. Cette chanson, se terminait par un envoi :
« Envoi :

Quant au sinistre ministre, (bis)
Il n’a plus qu’à, qu’à, qu’à aller jouer (bis)
Avec son canard en plastique !
Ohé ! Ohé ! Matteo, Matteo navigue sur les flots !
Ohé ! Ohé ! Matteo, Matteo navigue sur les flots ! ».


Voilà pourquoi on offre ici, un joli canard jaune au « sinistre ministre » afin qu’il aille jouer dans sa baignoire ou son bac à sable.
Ainsi Parlait Lucien Lane




Le vent siffle fort,
La tempête fait rage,
La Capitaine Rackete
Se déplace légère :
D’abord sur les brise-glace
Au cercle polaire,
Puis, dans le néant et la Sibérie
Et revient en haute mer.


On peut passer son existence
À rechercher un sens,
À lever les voiles
Sans trouver le vent.
Haïr est plus payant,
Détruire, accuser,
Abattre, ambitionner,
Et au fond de la mer, noyer les gens.


Haïr est plus payant,
Détruire, accuser,
Abattre, ambitionner,
Et au fond de la mer, noyer les gens.


Ca-pi-tai-ne-ne…
– À vos ordres, Madame !
– En route pour Lampéduse… ! –
Hisse haut, oh, hisse !


Antigone moderne,
Guerrière magnifique
Qui vogue sur les flots
De ceux qui n’ont pas de drapeau :
« Il n’y a qu’une seule loi :
La vraie loi humaine
Qui dicte aussi le droit,
Qui dit : « Détester la haine ! »


C’est une vague géante
Qui vient de loin,
Qui vient demander des comptes
De ce qui est encore humain…
C’est la vague de ceux qui crient
Sous nos murs fortifiés,
Celle de ceux qui font la fête
Quand les ports sont fermés.


Ca-pi-tai-ne-ne…
– À vos ordres, Madame !
– En route pour Lampéduse… ! –
Hisse haut, oh, hisse !


On fait ce qui est juste.
On prend le risque en compte,
Même si la mer est haute,
On paye et il n’y a pas de « trêve »
Pour ce qui vaut la peine.
Quoi autrement, on navigue ?
Pour redevenir humains
Redevenir, oui humains.


Il est beaucoup plus difficile
De désarmer un cœur fier
Que de nourrir l’enfer.
Et causer de la douleur
Haïr est plus payant,
Détruire, accuser,
Abattre, ambitionner,
Et au fond de la mer, noyer les gens.


Haïr est plus payant,
Détruire, accuser,
Abattre, ambitionner,
Et au fond de la mer, noyer les gens.


Ca-pi-tai-ne-ne…
– À vos ordres, Madame !
– En route pour Lampéduse… ! –
Hisse haut, oh, hisse !


Et calme est maintenant de vent,
La tempête se fait discrète.
La capitaine Rackete,
Est à bon port à présent.
Créon est encore plus fragile
Et par la grâce de cette femme,
Il s’enfonce dans la poussière.
Il coule, voyez, il coule !


Créon est encore plus fragile
Et par la grâce de cette femme,
Il s’enfonce dans la poussière.
Il coule, voyez, il coule !

lundi 29 juillet 2019

LA BANANE


LA BANANE



Version française – LA BANANE – Marco Valdo M.I. – 2019
à partir de la traduction italienne LA BANANA de Krzysiek Wrona
d’une chanson polonaise (inédite) – Banan – Jacek Kleyff2018
Paroles et musique : Jacek Kleyff
Jacek Kleyff :
guitare et métronome, enregistrement sur dictaphone.
Texte transcrit à l’oreille par YT.














Dialogue Maïeutique


Qu’est-ce que c’est encore, Marco Valdo M.I., que cette histoire de banane ? D’abord, d’où vient-elle ? Puisque c’est une version française, elle vient forcément d’ailleurs. Est-elle africaine, sud-américaine, antillaise comme sont les bananes ? Vient-elle du Pérou ou de la Martinique ? Ou d’ailleurs, mais nécessairement, d’un pays où poussent les bananes qui sont des pays chauds, très chauds pour ce que j’en sais, car sur les rivages que j’ai fréquentés par ici, il n’y en avait pas, sauf à titre de curiosité.


En effet, Lucien l’âne mon ami, la banane est un fruit résolument exotique ; mais, il y a aussi une excellente raison d’en faire une version française, car si la banane est née en Afrique, la chanson est absolument polonaise. C’est ce qui lui donne toute son originalité.


Une chanson sur la banane polonaise ? Tu m’en diras tant, Marco Valdo M .I. mon ami. J’ai beaucoup de mal à le concevoir ; j’avais le souvenir que la Pologne était plutôt la patrie des pommes.


Arrête, Lucien l’âne mon ami, ne t’emballe pas, je vais tout t’expliquer. D’abord, laissons de côté la banane et parlons de la chanson. Je voudrais dire un mot à propos de la chanson polonaise et de celui – Krzysiek Wrona – qui fait ce travail de nous les faire connaître en langue originale et de les traduire en italien, ce qui me donne la possibilité d’en présenter des versions en langue française. Tout ce truchement, même s’il est lent, est bénéfique. Je trouve fascinant de pouvoir ainsi découvrir ces territoires inconnus et jusque-là, inaccessibles.


Oui, dit Lucien l’âne, c’est fantastique et je ne peux qu’abonder dans ton sens ; on connaîtra ainsi tous ces pays dont nous parlent toutes ces chansons. Mais si tu veux bien revenir à la banane. Je me souviens d’ailleurs qu’il n’a pas toujours été facile d’en avoir des bananes ; des fois même, il n’y en avait pas, même en Amérique où tout est pléthorique, comme le disait une chanson de 1923 « Yes! We Have No Bananas » (Frank Silver et Irving Cohn), qu’il faudrait regarder de plus près, car elle a toute une histoire elle aussi.


Sans doute, reprend Marco Valdo M.I., mais pour ce qui est de la banane polonaise, je veux dire la chanson « Banan », elle aurait pu s’intituler : La véridique histoire d’une banane, car, elle suit exactement cet itinéraire biographique depuis la cueillette jusqu’à l’étal du commerçant quelque part en Pologne. Elle retrace ce parcours et elle fait surgir certains paradoxes et dénonce certaines iniquités que je te laisse découvrir. Tout comme la guerre de la banane où les enjeux sont terribles. La banane est au cœur d’un affrontement international qui est un aspect de cette Guerre de cent Mille Ans que les puissants et les riches font aux faibles pour accroître leur emprise, multiplier leurs profits, écraser toute concurrence, éteindre toute conscience et liquider toute résistance à leurs lubies. La seule remarque à faire à ce sujet, c’est que la la banane que l’on trouve dans les commerces ne vient pas principalement d’Afrique, mais des exploitations vivrières des compagnies américaines d’Amérique latine, où les conditions de travail sont épouvantables.


Oh, je sais, dit Lucien l’âne, ces histoires de bananes sont fort complexes et la guerre de la banane est intercontinentale ; de toute façon, nous les ânes, on ne mange pas de bananes. Alors, tissons le linceul de ce vieux monde incohérent, complexe, exploiteur et cacochyme


Heureusement !


Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane









La banane croît, croît, croît
Dans un village du Libéria.
Elle est encore verte ;
Tout le village la surveille.
On la met dans la caisse,
Le vélo tient à peine,
Car les accessoires coûtent.


La banane voyage, voyage
Sur le vélocipède.
Le négociant va
Pour les achats
Dans la brousse du Libéria
Tant que le vélo roule.
Il transporte ses deux caisses.


À présent la banane dans sa caisse
Grimpe sur le porte-bagage
D’une vieille Willys
Ou d’une Peugeot,
Restes des guerres et des embrouilles
Où les Yankees et les mangeurs de grenouilles
Ont fait du sale boulot.




La banane dans sa caisse
Est déjà moins verte ;
Avec son chargement de quarante caisses,
La voiture avance à peine
Et l’habile colonisateur
Fait tourner le moteur
Au pétrole d’Arabie ou de Perse.


Dans le port, la banane passe
De la voiture au conteneur ;
Des gens la chargent
Qui voulaient vivre au paradis,
Mais pour eux, c’est râpé :
Ce marché est contrôlé
Par quatre compagnies.


Ah, comme elle est douce la chair de la banane ;
En bouche, elle se mue en moelleuse mousse.
Je la veux tout de suite.
Elle a été cueillie par le singe
Noir comme l’asphalte
Qui l’a transportée sur son vélo.
Je m’empiffrerai dans mon studio.


Le ramassage des , maintenant,
C’est l’affaire des enfants.
Ils mettent dans un sac ce qu’ils trouvent,
De temps en temps, ils mangent un morceau.
Affamés, ils n’ont pas la force
De leur père qui les surveille,
Ployant sous la caisse qui pèse sur son dos.


Le quai nettoyé,
Les câbles d’acier
Un à un, tous les conteneurs tirent,
Ils chargent le navire
Qui, de plus, marche au pétrole
Et rejette le trop-plein à la mer
Où dans la boue grasse, les oiseaux s’enferrent.


Le bateau vogue déjà
Loin du Sénégal, il s’en va.
Où sévit une infernale sécheresse
Et où plusieurs petits puits
Qui datent d’avant la guerre,
Les moteurs à sec, sans pétrole,
Ne peuvent pas pomper.


Déjà, le Danemark est contourné,
Skagerrat, Kattegat sont passés.
En route, le navire s’est ravitaillé
Avec l’argent envoyé par la société.
Reste la mer Baltique à traverser,
Car, à Gdynia, notre belle cité,
Le navire est arrivé.


À Gdynia, sur le port,
Des grues portuaires encore.
La banane a mûri dans sa caisse
Les portefaix du port
Qui viennent de gagner leur grève
Pour sauver le quatorzième salaire
Ont daigné décharger la marchandise.


Du quai zébré, dans le conteneur,
La banane dans sa caisse
Part dans un train qui roule
À l’électricité et au pétrole
Pour la région lointaine
De Masovie ou d’ailleurs,
Sans s’arrêter, il va sans peine.


Ah, comme elle est douce la chair de la banane ;
En bouche, elle se mue en moelleuse mousse.
Je la veux à l’instant.
Ce qui est bon, le sait mon enfant
Qui en mange trois à la fois.
Il n’aime plus les pommes maintenant.
Je vais en acheter tout un tas.


Mais à la jonction de la grande voie,
D’une énorme grue, encore une fois
S’écoule le flot de bananes
Dans un camion après l’autre
Qui s’en vont vers les petites villes
En labourant le nouveau bitume,
Payé par l’Union Européenne.


Les financements de l’Union
Permettent de nouvelles routes
Et soutiennent la civilisation
Qui vient des mêmes gens
Qui ont conquis l’Afrique
Le Christ à la main,
Se goinfrant tels des vampires humains.


La banane est désormais jaune et belle.
L’attendent tant et tant de camionnettes ;
Du conteneur avec un élévateur,
On monte la banane
Sur la galerie d’un transporteur.
Toutes les mains restent propres,
Personne n’est en sueur.


Et maintenant la banane s’en va
À l’entrepôt du voisinage,
D’où l’emporte
Dans sa boutique, l’épicière
Et là, sur l’éventaire,
Mesdames et Messieurs, Messieurs dames,
C’est à n’y pas croire, à n’y pas croire !


Il est moins cher d’acheter cette banane
Qu’une pomme polonaise
Non loin de Grójec, le verger de la Pologne,
C’est à n’y pas croire, à n’y pas croire !
C’est une chose stupéfiante :
À quatre euros, les pommes ;
À deux euros, les bananes.


Ah, comme elle est douce la chair de la banane ;
En bouche, elle se mue en moelleuse mousse.
Je la veux à l’instant.
Moi, je vais m’en débarrasser,
J’achèterai un bélier.
Et je briserai ce marché
Car j’y suis déterminé !


La banane croît, croît, croît
Dans un village du Congo, cette fois.
Elle est encore verte
Tout le pays la surveille.
Il la met dans la caisse,
Son vélo tient à peine,
Car les accessoires coûtent.