mercredi 23 juillet 2014

NI RAISINS, NI AMANDES

NI RAISINS, NI AMANDES

Version française – NI RAISINS, NI AMANDES – Marco Valdo M.I. – 2014
d'après la version italienne de Riccardo Venturi
d'une chanson yiddish Nitkayn rozhinkes, nit kayn mandlen – Isaiah Shpigl – Dovid Beyglman [David Beygelman] – 1943




Ni raisins secs, ni amandes,
Papa est parti pour affaires

Dors, mon enfant, dors !
Dors, mon enfant, dors !

(Photo du ghetto de Lodz : Henryk Ross)



Paroles d'Isaiah Shpigl (1906-1990), écrivain, poète et professeur qui survécut à la liquidation du ghetto de Łódź et à l'Holocauste
Musique de David Beyglman, qui par contre fut tué Auschwitz en août 1944, peu de jours après sa déportation de Łódź.
La chanson a été interprétée par beaucoup, par exemple par Abraham Brun dans l'album « Songs of the Ghetto », Folkways Records, 1965.

Le texte translittéré du yiddish a été trouvé sur Music and the Holocaust ; le texte original en caractères hébraïques est par contre une image reproduite de Der Yidisher Tem-Tem, revue pour l'apprentissage de la langue yiddish. L'image reproduit même le portrait de l'auteur des vers, Isaiah Shpigl.


Isaiah Shpigl écrivit cette chanson en mémoire de sa fille Eva, morte de privations dans le ghetto, la même fin que fit la femme de Beyglman.

Il l'écrivit en parodiant avec douleur et amertume une célèbre berceuse yiddish, Rozhinkes mit mandlen, composée en 1880 par le poète juif russe Abraham Goldfaden. À la tendresse et à l'optimisme du texte original (un père est lointain pour affaires mais il reviendra en apportant à son enfant des raisins secs et des amandes pour qu'il grandisse en bonne santé et puisse devenir un étudiant et un homme d'affaires lui aussi) se substitue ici le désespoir d'une mère qui, malgré tout, cherche de quelque façon à consoler son enfant, en le leurrant mais sans lui cacher la vérité : "papa reviendra, il n'y a pas doute, avec un sac de petits raisins et d'amandes, mais il n'y a maintenant rien à manger, car papa est parti et pas pour affaires ; il est loin, si loin, à la fin du monde, pendant que tout autour de nous, ululent les hiboux et hurlent les loups…"




Ni raisins secs, ni amandes,
Papa est parti pour affaires
Dors, mon enfant, dors !
Dors, mon enfant, dors !

Il nous a laissés,
Au bout du monde, il s'en est allé.
Dors, mon enfant, dors !
Dors, mon enfant, dors !

Ululent les chouettes, hurlent les loups,
Dieu nous aide et ait pitié de nous,
Dors, mon enfant, dors !
Dors, mon enfant, dors !

Il est quelque part et cherche
Des tas de raisins secs et d'amandes
Dors, mon enfant, dors !
Dors, mon enfant, dors !

Il reviendra un jour et alors
Il prendra soin de toi, mon trésor,
Dors, mon enfant, dors !
Dors, mon enfant, dors !



mardi 22 juillet 2014

LE SEIGNEUR DES AGNEAUX

LE SEIGNEUR DES AGNEAUX


Version française – LE SEIGNEUR DES AGNEAUX – Marco Valdo M.I. – 2014
Chanson italienne – Il signore degli agnelli – Riccardo Scocciante – 2006




Certaines fois, à Rome, sur une place énorme,
Paraît un homme à l'accent un peu étrange.
Des foules, des foules viennent et l'attendent ;
Il se montre et puis, psalmodie son message.



Lorsque Riccardo Scocciante, ou bien le dégoûtant personnage qui se cache derrière ce pseudonyme, m'a envoyé la chose qui suit, il m'a dit : « Écoute, tête de nœud, je sais que tu es en cheville avec un site de chansons contre la guerre. Voilà, tiens, j'ai écrit une chanson contre la guerre et même contre le pape, qui pour moi est cette espèce de zombie, dont certains affirment qu'il a fait partie de la SS, et qui me casse un peu les couilles. Veille à l'insérer, sinon cette nuit, je viens tuer ton chat. »
Je lui ai fait remarquer que je n'ai pas de chat, et que si j'en avais un, je lui scalperais les gencives au marteau-piqueur à ce tueur de chat, si seulement il touchait à un poil du minou ; mais puisque ce site accueille tout, mais vraiment tout (ou presque), je vous présente quand même sa « chanson » (dont je ne sais si elle a ou non une musique, mais la chose n'a pas beaucoup d'importance), espérant que soit la première et la dernière. Mais je ne nourris pas d'excessifs espoirs à ce sujet : il m'a dit d'en avoir prêtes d'autres. Que dire ? Je dois m'enlever cette dent, en espérant qu'il se calme et qu'il ne se manifeste pas au moins pour un temps. Mais je crains que nous en entendrons reparler. [RV]




Le Seigneur des Agneaux pour désigner Joseph Ratzinger... Pourquoi pas ? Mais par quel sacrement ? Le sacrement de l'agneau ou celui du buffle ? Ainsi pourrait-on poser la question, à la manière de l'écrivain allemand Heinrich Böll, assez catholique au demeurant, dit d'un ton quelque peu pensif Marco Valdo M.I..


Mais enfin que vient faire ici, Heinrich Böll ? Que vient faire ce – je te l'accorde – cet étonnant écrivain catholique allemand...


Mais enfin, la chose me paraît, à moi, évidente. Car ce pacifiste allemand, cet écrivain catholique et allemand aurait – s'il eût encore vécu, pu ratifier complètement la chanson de Riccardo Scocciante. Et sa manière de poser la question aurait été celle qu'il a posée dans son roman Billard und halb zehn – en français : « Les deux Sacrements », précisément les sacrement de l'agneau (on dirait ici celui qui institue les pauvres, les faibles, les opprimés...) et le sacrement du buffle (qui institue les riches, les puissants, les nazis...). En fait, il ne s'agit pas d'être du côté de l'agneau ou du buffle, il faut le vouloir, le désirer... Là passe la frontière. Pour résumer la chose, par ailleurs assez complexe : selon Böll, à un moment de sa vie (peut-être même dès la prime jeunesse), l'humain(e) bascule dans un camp ou dans l'autre, touché(e) par le sacrement du buffle ou de l'agneau. À première vue, ça a l'air un peu manichéen, je te l'accorde, sauf qu'il n'y a pas de prédestination. Il me semble que le sacrement résulte d'une volonté de l'être ; en somme, c'est une confirmation, une affirmation, également... Ceci dit, contrairement à ce que dit Venturi, la chanson de Scocciante est de première grandeur. Satyrique, certes, mais de bonne facture.


Ah, voilà qui va ravir Riccardo Scocciante, d'être ainsi conforté... Évidemment, pour ce qui est du Seigneur des Agneaux, on pourra toujours prétendre qu'il s'agit d'une chanson ancienne (2006) et qu'entretemps (mais quelles en sont au juste les raisons ?), l'ÉCAR (Église Catholique Apostolique et Romaine) a changé de pape et que si dérive il y a eu, le nouveau pape lave plus blanc que blanc (tout en étant issu de l'ordre noir ; sur son lit de mort, Montesquieu en confiant ses derniers manuscrits à son amie, disait ne pas faire confiance à la Société – en clair, aux Jésuites, qui les réclamaient et se proposaient de les éditer)... Mais tout cela, c'est ésotérisme et compagnie (de Jésus?). Quant à nous, qui ne sommes pas chrétiens (Noi, non siamo cristiani...) ni des branches, ni des racines..., reprenons notre tâche lente et longue qui consiste à tisser le suaire de ce monde croyant, crédule, criminel et cacochyme.



Heureusement !



Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Certaines fois, à Rome, sur une place énorme,
Paraît un homme à l'accent un peu étrange.
Des foules, des foules viennent et l'attendent ;
Il se montre et puis, psalmodie son message.

Il parle bas, mais qu'importe,
Il y a là de puissants haut-parleurs.
Et dessous, à cent mille, ou plus encore,
Ils prient et implorent le Seigneur.

La guerre éclate ; Lui, il prie
Mais en son cœur, il s'en fout.
Le conflit éclate ; Lui, il prie
Le Seigneur pourvoira à tout.
La bombe éclate ; Lui, il prie,
Que Lui importe après tout.

Il dit « paix » en serrant les dents
Puis, défilent en lente procession
Ministres, roi, tyrans et présidents
Pour recevoir sa bénédiction.

On écoute, en un pieux silence, sa grande voix
C'est un expert, Lui, en deuils et en guerres
Car sous la bannière du Christ-Roi
On en a fait de plus rudes et de plus sévères

La guerre éclate ; Lui, il prie
Mais en son cœur, il s'en fout.
Le conflit éclate ; Lui, il prie
Le Seigneur pourvoira à tout.
La bombe éclate ; Lui, il prie,
Que Lui importe après tout.

La guerre est une folie, ce sont ses mots
Il parle tellement bien, ce dévot.
Ma tante me l'a dit, Dieu est avec Lui ;
Gott mit uns, qu'il dit.

Puis, dans ses appartements, il se retire,
S'assied sur ses papales fesses
Et à des sujets palpitants s'intéresse :
Peut-on baiser avant d'aller à messe ?

La guerre éclate ; Lui, il prie
Mais en son cœur, il s'en fout.
Le conflit éclate ; Lui, il prie
Le Seigneur pourvoira à tout.
La bombe éclate ; Lui, il prie,
Que Lui importe après tout.

Son autre occupation essentielle
Est : comment amasser plus d'argent ?
Pour Lui, pas question de bagatelle,
Il faut renflouer les comptes du Vatican.

Il a une banque magnifique et sûre
Qui gère de secrètes finances;
Mais Lui, il n'en a cure.
Pour le reste, l'Église veille.

La guerre éclate ; Lui, il prie
Mais en son cœur, il s'en fout.
Le conflit éclate ; Lui, il prie
Le Seigneur pourvoira à tout.
La bombe éclate ; Lui, il prie,
Que Lui importe après tout.

Régulièrement éclate un scandale
Une Éminence vend des indulgences aux croyants
Dans les bras d'une putain meurt un Cardinal
Un Évêque encule un bel enfant

Un Monseigneur est pris dans un foutoir,
L'Archidiacre est un exploiteur ,
L'Archevêque trafique l'argent noir,
Et le Nonce soutient le dictateur.

La guerre éclate ; Lui, il prie
Mais en son cœur, il s'en fout.
Le conflit éclate ; Lui, il prie
Le Seigneur pourvoira à tout.
La bombe éclate ; Lui, il prie,
Que Lui importe après tout.

Lui, radieux, se montre au balcon ;
Il paraît ; en bas, la foule de l'acclamer.
Et tous les jours, grâce à la télévision,
Le monde par Lui est illuminé.

Le monde, le monde explose, brûle et meurt
Les dieux ont soif : Charité ? Amour ? Bonheur ?
Les hommes meurtris sont toujours plus pieux.
Haine et sang sont le pain et le vin des dieux.

La guerre éclate ; Lui, il prie
Mais en son cœur, il s'en fout.
Le conflit éclate ; Lui, il prie
Le Seigneur pourvoira à tout.
La bombe éclate ; Lui, il prie,
Que Lui importe après tout.



dimanche 20 juillet 2014

Les Vacanciers

Les Vacanciers
Chanson française - Les Vacanciers – Ricet Barrier – 1968

Auteurs compositeurs : Ricet Barrier - Lelou
http://www.dailymotion.com/video/x4iqk6_ricet-barrier-les-vacanciers_music



C'est les vacances, c'est la transhumance
Les vacanciers, c'est comme les fourmis




Tiens Lucien l'âne mon ami, comme c'est la saison des vacances, je m'en vais te faire voir les vacances du point de vue de ceux qui sont envahis par les vacanciers. Car les vacances, c'est un peu la blitzkrieg annuelle. Cette ruée des colonnes motorisées vers les côtes rappelle furieusement la fuite des réfugiés, la débâcle et la progression concomitante des armées survoltées volant vers la victoire.




Je sais, je sais, dit Lucien l'âne en maugréant. D'autre part, c'est aussi la soupape de sécurité du système et si j'ose te le dire, la carotte de l'âne. Dis-moi qui, dis-moi quoi, car à propos des vacances, je pense comme toi que c'est un attrape-couillons. Faire courir onze mois les gens pour quelques jours, au mieux quelques semaines, d'arrêt-buffet. Mais nous ne sommes pas là pour faire une sociologie des vacances. Alors, parle-moi de la chanson...




Alors, voilà. Qui ? Ricet Barrier, un fameux bonhomme, un gars qui a fait une foutue quantité de chansons de qualité. Bien entendu, elles ne sont pas toutes à présenter dans les Chansons contre la Guerre, mais il y en a déjà quelques-unes. Et comme tu sais, Ricet Barrier ne fait pas dans la chanson triste ; son moteur, c'est l'humour. Voilà pour le qui. Maintenant, le quoi. « Les Vacanciers », qu'elle s'intitule sa chanson. Elle est construite comme les Histoires d'Allemagne ; elle raconte les vacanciers tels qu'ils sont vus (et reçus) par un témoin privilégié, par un paysan qui les voit débarquer chez lui, chaque année, comme une invasion de sauterelles... Et imagine que la chanson date de 1968... Ça ne s'est pas arrangé depuis. Bref, toute une ambiance à découvrir.




Moi, dit Lucien l'âne en maugréant, moi, qui ai depuis si longtemps circulé parmi les pauvres des campagnes, des montagnes, des bords de mer, des maquis, des déserts... Moi, je trouve que ce déferlement n'est pas humain. C'est même souvent odieux la façon dont ces envahisseurs traitent les gens, les animaux, les lieux... Ce n'est plus ces moments où on allait quelques jours en famille, où on prenait un temps de retrouvailles... Cette vaste débandade commerciale ne me dit rien qui vaille et je n'arrive pas à digérer le mépris de ceux qui – même quelques jours par an – écrasent l'autre, les autres sous la férule de l'argent, qui exigent d'autrui d'accepter des conditions qu'ils refuseraient si on leur proposait, qui se muent instantanément en colonisateurs, en conquérants... avec tout ce que cela comporte. Mais, écoutons Ricet Barrier, c'est toujours un plaisir. Pour le reste, comme ni toi, ni moi, ne pouvons arrêter pareille avalanche, reprenons notre tâche et tissons lentement mais sûrement le linceul de ce vieux monde mercantile, méprisant, méprisable et cacochyme.






Heureusement !






Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane







Cré vin dieu !
Voilà l'été, les vacanciers vont arriver
Voilà l'été, les vacanciers vont arriver
Y s'en viennent on sait pas d'où
Y s'en vont par un autre bout
Voilà l'été, c'est l'invasion des vacanciers.

Lucien (c'est mon fils !)
Écris donc « œufs frais » sur la porte
En deux mots imbécile !

C'est les vacances, c'est la transhumance
Les vacanciers, c'est comme les fourmis
Ça se répand partout dans le pays
Plus ça va et plus ça s'enhardit
L'an dernier, j'en avais ben trouvé un dans mon lit, oui !

Le vacancier du mois d'août, c'est vraiment une race à part
C'est comme des hiboux avec leurs lunettes noires
Y se promènent quasiment nus
On voit plus de poil que de tissu
Moi je rigole quand y s'assoient dans mes gratte-culs.

Viens donc voir Germaine (c'est ma femme !)
Regarde-moi celui-là
Oh ben, c'est y un homme ou une femme ?
Oh, ben, c'est une femme !
Elle a pas de braguette.

C'est les vacances, c'est la transhumance
Les vacanciers, c'est comme les sauterelles
Quand ça tombe, c'est pire que la grêle
D'un seul coup, on en voit partout
Y a vraiment que la pluie qu'arrive à en venir à bout, ouh !

Le vacancier quand y roule, faut se jeter dans le bas côté
Va falloir laisser les poules au poulailler
C'est bien pis quand y s'arrête
Y pense plus qu'à son gésier
Faut que je mette du barbelé à mes poiriers, yé !

Attention Sophie (c'est ma cadette !)
Je veux bien que t'ailles au bal
Mais avec ton frère
Pas faire comme ta mère, euh !

C'est les vacances, c'est la transhumance
Les vacanciers, y sont comme la pluie
Quand elle vient, on lui dit merci
Mais on se sent mieux quand elle est partie
Pourtant ça me plairait d'en trouver pour la Marie, oui !

C'est mon aînée! Et je sais pas quoi que je vais en faire.

Cré vin dieu !
Voilà l'été, les vacanciers vont arriver
Voilà l'été, les vacanciers vont arriver
Y a qu'une chose que je comprends pas
C'est pourquoi qu'y viennent ici
Moi, quand je veux des belles vacances
Je monte à Paris !

Avec la Jeannette, la Jeannette c'est… hum !! 

jeudi 17 juillet 2014

DÉSERTEUR

DÉSERTEUR

Version française – DÉSERTEUR – Marco Valdo M.I. – 2014
d'après la version italienne de Riccardo Venturi d'une
Chanson tchèque – DEZERTÉR – Jaromír Nohavica – 1982

Texte de Jiří Šotola
Musique de Jaromír Nohavica








Nous croyons que cette chanson, sur un texte du poète Jiří Sotola et sur l'air d'une chanson populaire, est vraiment un des moments les plus élevés de l'art du grand Jarek Nohavica. Un soldat de garde tout seul, dans la nuit, sous la pluie, qui choisit peut-être la forme extrême de rébellion, de désertion, de dire « Je ne marche pas » : se tuer. Porter l'arme à la bouche en un « baiser glaçant » et se flinguer. Par l'auteur de la version tchèque du Déserteur. Personne ne peut savoir ce qui, alors, s'est passé dans la tête du soldat, dans cette nuit de solitude ; quelles pensées, quelles angoisses, quelles rages. Il est certain que cette chanson nous rappelle beaucoup, trop d'épisodes du genre arrivés réellement. Car il peut se passer qu'une personne en proie à mille problèmes, de quelque nature, ou simplement au mal de vivre, soit en même temps appelée « à servir la patrie », comme on dit, et à devoir passer une soirée sous la pluie à une garde d'inutiles, de stupides armureries loin d'un amour, d'un travail, d'une famille ou qui sait quoi qui s'en vont à la dérive. Le fameux « devoir », un « devoir » inutile qui ne tue pas seulement avec la guerre, mais même avec l'éloignement des choses vraiment importantes dans la vie d'une personne. Mais face à un épisode du genre, semble nous dire Nohavica, chaque jugement est inutile et risque d'être seulement une série de banalités. Car, au fond, nous sommes des étrangers. Indifférents au désespoir d'autrui, comme la pluie battante qui tombe sur chaque chose, en ne s'en souciant pas le moins du monde ; mais qui a, ajoutons-nous, au moins l'excuse d'être seulement pluie, et pas un être humain. [RV]




Juste deux mots pour indiquer que cette chanson de Nohavica est généralement connue sous le titre de Dezertér... raison pour laquelle je lui rends son titre, au moins dans la version française : DÉSERTEUR ; un titre qui dans les Chansons contre la Guerre s'impose... Ceci dit, cet éternel déserteur ou ce déserteur pour l'éternité vient de la Tchécoslovaquie de 1982 (sans doute même d'avant) et à l'époque, il n'était pas de bon ton, sinon pire, de parler de désertion, l'armée étant un des piliers de la nation et du système – peu importe le système. Dézerter, c'est net quand on entend la chanson, c'est bien le mot, l'essence du poème de Jiří Šotola et c'est à l'audition, le mot qui ressort. On ne peut donc esquiver la parenté avec celui de Boris Vian, qui inaugura les CCG. Mais si le Déserteur de Vian était un Déserteur en quelque sorte putatif, celui-ci est un déserteur accompli, complet, terminé, selon la définition du mort par le même Vian, dans « L'Herbe rouge » : « On n'est pas complet quand on n'est pas mort » ; bien entendu, la sentence vaut pour tout le monde. Et puis, comme le soldat en question est n'importe quel soldat, car n'importe qui aurait pu et pourrait faire ce qu'il a fait... j'ai pensé au soldat de Ramuz.


Je me souviens très bien de ce soldat et de la musique de Stravinski. Un opéra appelé « L'Histoire du Soldat »...


Donc, tu connais cette marche du soldat qui l'introduit :
« Entre Denges et Denezy,
Un soldat qui rentre chez lui...
Quinze jours de congé qu'il a,
Marche depuis longtemps déjà.
A marché, a beaucoup marché.
S’impatiente d’arriver,
Parce qu’il a beaucoup marché... »

Ainsi, tu peux voir d'où vient le fait que j'ai fait disparaître l'article comme Georges Perec fit disparaître la lettre « e » dans son roman « La Disparition ». Je te montre le premier couplet :

« Soldat sous pluie, déjà presque matin
Soldat sous pluie surveille dépôt d'armes,
Soldat là, pleut à verse
Déjà un peu jour, relève vient... »




Pour finir, quelques mots de présentation de l'auteur Jiří Šotola, qui somme toute mérite d’être connu lui aussi. Vers la fin des années 1960, Jiří Šotola se tourne vers la prose. Mais suite à l'écrasement du « Printemps de Prague », son premier roman ne sera pratiquement pas distribué et son auteur se verra réduit au silence jusqu'à son « autocritique », publiée au début de 1975. Ce roman,  Tovaryšstvo Ježíšovo (La Nuit baroque, 1969), bien que situé au XVIIe siècle, au moment où le pouvoir impose de force à la Bohême protestante la religion catholique par l'intermédiaire de la Compagnie de Jésus, n'est pas sans évoquer la mise au pas, après 1968, de la Tchécoslovaquie par un pouvoir étranger. Jiří Šotola s'inspire des faits historiques pour mieux cerner les problèmes du présent. La plupart de ses héros sont des petites gens. Marionnettes broyées par la Grande Histoire, qui essayent en vain, tantôt de la fuir, comme le héros tragi-comique de son roman Kuře na rožni (Les Jambes c'est fait pour cavaler), publié d'abord en samizdat – édition clandestine, en 1974. On pourrait dire un dissident, un résistant.


Jiří Šotola



Ainsi, dit Lucien l'âne, voici deux nouveaux résistants tchèques qui viennent rejoindre Chveik le soldat à la capacité de résistance infinie. Ce que nous devrions faire aussi si l'on en croit la devise que nous avons été chercher en Italie : Ora e sempre : resistenza ! À propos du sens de « La Nuit Baroque » (Tovaryšstvo Ježíšovo) de Jiří Šotola dans lequel on voit la Compagnie de Jésus instaurer par la force et par la ruse son ordre noir (et catholique) sur la Bohème de Huss, il est intéressant de remarquer que cette même Compagnie conquérante, colonisatrice et dictatoriale vient de placer un des siens (et pour la première fois) à la tête de l'ÉCAR – Église Catholique Apostolique et Romaine. La chose est plus qu'inquiétante, les Jésuites sont une armée et un ordre combattant... Il est utile de lire ou de relire cette « Nuit Baroque ». Quant à nous, hic et nunc, ici et maintenant, reprenons notre tâche et tissons le linceul de ce monde suicidaire, assassin, militarisé et cacochyme.



Heureusement !



Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane.


Soldat sous pluie, déjà presque matin
Soldat sous pluie surveille dépôt d'armes,
Soldat là, pleut à verse
Déjà un peu jour, relève vient.

Soldat prend fusil, porte canon à bouche
Amer baiser de glace,
Ce qui passe par tête,
Nul ne peut savoir, vraiment personne.

Étendu, ne respire pas, pluie lave blessure,
Sang coule, terre… avale, terre emporte…
Sang inutile, soldat inutile,
Pour toujours inutile, éternel déserteur.

Maintenant on est là et on voudrait donner un avis,
Ça ne se fait pas, un homme ne meurt pas ainsi,
Pour ce corps étendu là, ce corps humide,
Pour lui, aucun jugement, aucune sagesse.


Qui jamais lui donna un vêtement, qui l'aida vraiment
Les nuits où assis sur le lit, se sentait malade,
Parfois nous sommes étrangers, indifférents
À coups de fusil, de fusil, on tue nos camarades.